La bagatelle de 1,3 milliards FCFA, c’est la somme qui était réclamée par Iyad Ag GHALI au président Amadou Toumani TOURE la veille des attaques du 23 mai 2006 contre les camps militaires de Kidal et de Ménaka. Que représentait cet argent ? Etait-ce pour calmer les ardeurs belligérantes des ex combattants intégrés qui se plaignaient de leur mauvais sort dans les corps en uniforme de l’Etat ou pour payer la rançon après la libération des otages allemands enlevés en août 2003 par des bandits armés au nord du Mali ? Le Mali a-t-il eu raison de céder au chantage en signant l’Accord d’Alger qui fait encore couler beaucoup d’encre et de salive ?
La révélation a été faite par le général Kafougouna KONE en personne qui rencontrait, au lendemain de la signature de l’Accord d’Alger, les partis politiques au ministère de l’Administration territoriale et des collectivités locales : «Iyad réclamait 1,3 milliards FCFA au président qu’il a rencontré à Koulouba le vendredi avant les attaques du 23 mai », avait-il dit en substance. Comme on peut le deviner, cette demande était adressée au président Amadou Toumani TOURE qui avait reçu Iyad Ag GHALI à Koulouba le vendredi 19 mai, soit trois jours avant les attaques du mardi 23 mai 2006. «On s’est rencontré vendredi à Koulouba et on s’était promis de se revoir dans 10 jours », a dit le président ATT lui-même par la suite.
Liberté contre argent
Si le président Amadou Toumani TOURE n’a pipé mot du contenu de cette rencontre, c’est le général Kafougouna KONE qui a en donc donné les bribes concernant les fameux «1,3 milliards FCFA ». Mais lui aussi s’est gardé d’en dire plus : à quel titre Iyad réclamait-il cette somme faramineuse ?
Il faut remonter, pour cela, à la prise d’otages européens par le groupe GSPC qui opère dans le Sahara. En effet, en août 2003, des touristes européens (neuf Allemands, quatre Suisses et un Néerlandais) avaient été enlevés au nord du Mali par des bandits armés que l’on soupçonnait proches du groupe islamiste «Salafiste » pour la prédication qui sévit à la frontière entre le Mali et l’Algérie, sur la bande «incontrôlée » du vaste Sahara désertique que les deux pays partagent sur plusieurs kilomètres carrés.
Après plusieurs semaines de tractations, lesdits otages ont été libérés sans que l’opinion malienne ni allemande sache les véritables conditions qui ont prévalu à cette libération. A l’époque, plusieurs sources évoquaient le payement de rançon aux ravisseurs dont la TV publique ZDF citée par l’AFP du 17 août 2003 : « Les 14 otages européens enlevés dans le Sahara algérien et détenus dans le Nord du Mali ont été libérés dimanche soir par leurs ravisseurs. Les otages – neuf Allemands, quatre Suisses et un Néerlandais – seront ramenés par avion militaire à Bamako où ils recevront les premiers soins. Le secrétaire d’Etat allemand aux Affaires étrangères, Juergen CHROBOG, arrivé dimanche après-midi à Bamako, devrait rapatrier les otages allemands dans la nuit de dimanche à lundi…Une rançon avait été payée samedi par le gouvernement malien ».
Quel était le montant exact de cette rançon ? La réponse nous est donnée par notre confrère Ahmed BENTAOUS de «Le Quotidien d’Oran » dans sa parution du 22 mars 2004 : «Le pouvoir malien a choisi Iyad Ag Agaly, un chef de la rébellion touarègue, pour mener les négociations avec le groupe terroriste d’El Para…C’est dire que les autorités de Bamako ont fait preuve de laxisme et de complicité, et leur responsabilité, pleine et entière dans cette affaire, s’est confirmée, jour après jour, jusqu’à la libération des otages moyennant le paiement par l’Allemagne d’une rançon de 6 millions d’euros ». Convertie en FCFA, cette somme représente environ 3,9 milliards. La poire avait-elle été divisée en trois (soit 1,3 milliards FCFA) entre Iyad, le groupe GSPC et la partie…officielle qui aurait été en plus gratifiée de véhicules de marque allemande peu après la libération des otages ?
Les inquiétudes allemandes
Selon d’autres sources, les ravisseurs demandaient même plus, avant de revoir leurs ambitions financières à la baisse au fur et à mesure que l’étau se resserrait autour d’eux : «Les vendredi et samedi derniers, aucun des ravisseurs n’était directement joignables à partir de leur téléphone satellitaire. Mais un groupe de véhicules, à bord desquels des otages auraient débarqués, a été perçu. Dans la même mouvance, le Sahara malien a enregistré de son côté des échanges de tirs pour des raisons inconnues. A Berlin, la tension était devenue de plus en plus vive devant l’intransigeance des ravisseurs et vu les conditions de détention de leurs compatriotes dont plusieurs étaient tombés gravement malades. Quant aux preneurs d’otages, ils avaient le dos au mûr. Traqués de l’autre côté de la frontière par les troupes régulières de l’armée algérienne, ils faisaient désormais face à une partie des tireurs d’élite des forces maliennes. Cette stratégie relevant du plan secret adopté par le général ATT visait à couper tous les relais aux terroristes afin d’éviter leur infiltration dans la population. Ce qui fait que Ben Moktar et son groupe tenait finalement à leur propre sécurité qu’à la caution demandée.
Les échanges de tirs aux frontières entre l’Algérie et le Niger d’une part, et l’Algérie et le Mali d’autre part ont alors contribué à dissuader les ravisseurs dont l’encerclement était déjà terminé. C’était la meilleure solution. Car en payant 55 milliards de FCFA aux preneurs d’otages, cela créerait un précédent et encouragerait d’autres structures criminelles. Dans le nord Mali, les négociations plus poussées visaient l’amnistie des ravisseurs. Ces derniers craignaient des représailles coalisées des armées malienne et algérienne. C’est pourquoi ils demandaient un refuge au Mali. Nos autorités ont-t-elles été consentantes ? Les jours prochains nous édifieront », s’inquiétaient les sources allemandes.
La colère du voisin algérien
Mais l’Algérie était très remontée contre le Mali dont la gestion de l’affaire avait été jugée «laxiste » à plus d’un titre. Ceci explique-t-il cela le 23 mai (les attaques des camps militaires à Kidal et à Ménaka) et le 4 juillet 2006 (l’Accord d’Alger) ? La parution de «Le Quotidien d’Oran » du 22 mars 2004 est très édifiante en la matière : «L’affaire des quatorze otages européens libérés en août 2003 dans le nord-est du Mali est riche d’enseignements. Au-delà des tractations secrètes ayant permis un dénouement pacifique de cette prise d’otages et des implications sécuritaires pourtant prévisibles pour l’ensemble de la sous-région, cette affaire dévoile la véritable nature du régime malien et l’ambivalence de sa politique régionale: un Etat voyou qui, tout en s’attribuant les vertus de la démocratie et de la bonne gouvernance, compose avec le terrorisme.
Depuis sa genèse en février-mars 2003, cette prise d’otages, qui a tant mobilisé l’Algérie, le Niger et d’autres partenaires occidentaux, ne semble pas avoir préoccupé les autorités maliennes, ni les a conduit à adhérer «instinctivement» à la démarche collective visant la neutralisation du groupe terroriste du GSPC.
C’est dire que les autorités de Bamako ont fait preuve de laxisme et de complicité, et leur responsabilité, pleine et entière dans cette affaire, s’est confirmée, jour après jour, jusqu’à la libération des otages moyennant le paiement par l’Allemagne d’une rançon de 6 millions d’euros. Tout d’abord, toutes les interrogations ne sont pas encore levées sur la facilité inouïe avec laquelle le groupe terroriste de Abderezak El Para a pu se réfugier pendant plusieurs mois, puis se déplacer librement dans un désert si impitoyable, avec quatorze otages, en leur assurant gîte et nourriture, sans une connivence locale. La suite des évènements a révélé que les terroristes du GSPC ont bel et bien bénéficié, depuis leur passage au Nord Mali, de complicités. Autrement, comment auraient-ils pu disposer de réserves de nourriture, d’eau, de véhicules et de carburant pour «survivre» aussi longtemps…
Tout ceci tend à corroborer la thèse de l’existence, depuis au moins deux années, d’un sanctuaire du terrorisme et du grand banditisme dans le Nord Mali: les gorges de Tekace, à quelque 300 km de Taoudenni. L’existence de ce no man’s land, échappant totalement au contrôle des autorités maliennes et fréquenté aussi bien par des groupes terroristes que par des contrebandiers, est confirmée par différentes sources crédibles. Un membre de la commission malienne de médiation dans cette affaire de prise d’otages, le dénommé Mohamed Ag Mahmoud, a lui-même reconnu que les terroristes du GSPC vivent depuis plusieurs années en territoire malien sans être inquiétés ni importunés par les populations locales, encore moins par les autorités de Bamako. La présence des groupes terroristes dans cette «zone de non-droit» a été occultée par le pouvoir malien jusqu’à ce que soit ébruitée la prise d’otages.
Des révélations faites par des ressortissants maliens, très au fait de l’actualité sécuritaire dans cette région désertique, se recoupent avec les propos de Mohamed Ag Mahmoud. Ainsi, il est bien établi que les terroristes du GSPC qui activent dans la zone frontalière avec l’Algérie sont soutenus, au su des responsables maliens, en logistique militaire et autre, aussi bien par des tribus targuies installées au nord du Mali et du Niger que par des réseaux liés à Al-Qaïda. Aussi, selon des notables targuis de Kidal, plusieurs régions de la vaste étendue du nord du pays, où sont installés les terroristes et les contrebandiers, ne sont pas contrôlées par l’armée malienne. Cette défaillance du pouvoir malien, souvent justifiée à tort par le manque de moyens, fait que les groupes terroristes se sentent chez eux et se déplacent librement, pour peu qu’ils donnent de l’argent ou de la nourriture aux populations nomades paupérisées qu’ils rencontrent afin que ces dernières les «vénèrent» et les protègent.
Pis encore, l’irresponsabilité des autorités maliennes a généré une situation beaucoup plus dangereuse qui pourrait, à terme, faute de réponse appropriée de la part des Etats voisins, avoir des conséquences dramatiques sur la sécurité et la stabilité de la sous-région. En effet, des sources médiatiques maliennes ont confirmé la présence au nord de leur pays d’éléments étrangers, localisés dans la région de Tombouctou, avec d’importants moyens logistiques (véhicules tout-terrain, matériel divers, etc.). Aussi, le Nord Mali est devenu aujourd’hui une plaque tournante du trafic d’armes et de la contrebande organisée entre les différents pays et les nomades qui se livrent à cette activité lucrative ne permettent pas à l’armée malienne de pénétrer leur territoire. Cette situation paradoxale d’un Etat souverain est conditionnée en fait par la réalité sociologique et politico-économique des populations nomades et obéit en définitive à des considérations liées surtout à la sauvegarde de l’intérêt de telle ou telle tribu en conflit.
C’est précisément dans cet environnement conflictuel induisant toujours une prolifération d’armes et une propension des tribus nomades au soutien logistique de leurs alliés, fussent-ils des groupes terroristes, que le groupe du GSPC dirigé par El Para, l’interlocuteur avec l’organisation terroriste internationale Al-Qaïda, a tiré profit pour s’installer «durablement» dans le Nord Mali, au vu et au su des autorités de ce pays. En l’absence d’un pouvoir malien «effectif» capable d’administrer l’ensemble du territoire, le phénomène de circulation des armes dans ces contrées désertiques du Nord, connu des services de sécurité maliens, a pris ces derniers temps des proportions énormes. Cette tolérance des autorités maliennes a fait que certains groupes terroristes, jouissant d’une grande mobilité aux frontières, se sont transformés en véritables fournisseurs d’armes, provenant surtout des zones de conflits africains.
La voie de la médiation choisie par le pouvoir malien pour régler l’affaire des otages, même s’il a été sollicité par les autorités allemandes, reste, à juste titre, mauvaise et contre-productive. Loin d’avoir anéanti ou neutralisé de quelque façon que ce soit ce groupe du GSPC, la médiation malienne a, au contraire, permis à ce dernier de se renforcer, de se légitimer davantage et d’extorquer, en fin de compte, une rançon fort importante qui lui servira dans des opérations d’achat d’armes et de recrutement parmi les nomades et les contrebandiers. L’épisode douloureux de cette affaire n’est, à proprement parler, qu’un catalyseur qui a permis surtout à l’Algérie, bastion de la lutte contre le terrorisme et toute forme d’obscurantisme, de cerner avec précision les limites intrinsèques du pouvoir malien et d’évaluer à sa juste valeur son engagement dans la sécurisation et la stabilisation de l’espace sahélo-sahélien.
Est-ce réellement le manque de moyens matériels et humains, comme il est toujours avancé par les milieux officiels, qui empêche les autorités maliennes de s’engager promptement et efficacement dans la lutte contre les groupes terroristes établis sur leur territoire ? Ou, au contraire, c’est le manque de volonté politique qui dicte leur comportement «frileux» et leur abdication face au terrorisme ?
Pour déterminer les véritables mobiles de l’inaction du pouvoir malien, il est opportun de rappeler au moins trois éléments significatifs.
1- Les autorités nigériennes, pourtant dépourvues de moyens et dont le pays connaît une situation économique moins reluisante et beaucoup plus difficile que celle du Mali, déploient néanmoins des efforts méritoires dans la lutte antiterroriste au plan sous-régional et sont réceptives aux doléances et sollicitations de l’Algérie et des autres partenaires sur les questions sécuritaires d’intérêt commun.
2- Les autorités maliennes sont aidées généreusement, particulièrement dans le domaine économique, aussi bien par l’Algérie, la France, l’Union européenne que par les Etats-Unis. Par ailleurs, de par sa position de premier exportateur africain de coton, le Mali s’assure d’un revenu en devises conséquent, dont une partie gagnerait à être investie dans l’entretien de forces de sécurité capables de défendre l’intégrité du territoire.
3- Les Etats-Unis et la France participent aujourd’hui activement à la formation et à la modernisation de l’armée malienne. Pour les Etats-Unis, qui font de la région sahélo-sahélienne une plate-forme dans leur croisade contre le terrorisme international, une contribution fort appréciable pour la sécurisation du Mali se fait désormais dans le cadre d’un programme de partenariat appelé «initiative pan Sahel» (PSI).
L’équipement et la formation sont les deux éléments clés de ce programme américain. Déjà opérationnel, ce dispositif sécuritaire met à la disposition des autorités maliennes tous les moyens nécessaires (formation de troupes d’élite, livraison de véhicules tout-terrain, d’uniformes, de casques, de groupes électrogènes, de citernes à carburant, de matériel de communication, d’équipements médicaux, etc.) pour répondre à temps à toute menace terroriste, protéger leurs frontières et contrôler les mouvements de personnes. Pour la France, déjà omniprésente au Mali, son rôle dans la sécurisation et la stabilisation de ce pays s’exerce aussi, accessoirement depuis plus d’une année, outre les apports de la coopération bilatérale, dans le cadre du programme «Recamp» (Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix).
D’ailleurs, l’Ecole de maintien de la paix (EMP), implantée depuis 1993 à Koulikoro (à moins de 100 km de Bamako), a déjà assuré la formation de plusieurs officiers de l’armée malienne. En définitive, il ressort de l’examen de tous ces éléments que le laxisme et la démission totale du pouvoir de Bamako face à l’activisme du GSPC ne saurait se justifier ni par le manque de moyens, ni par un quelconque désintérêt de l’Algérie et des partenaires étrangers, mais par la corruption, l’égoïsme, l’irrationalité et l’inconscience des décideurs maliens. La situation se décantera et ces décideurs comprendront, tôt ou tard, que par leur profil bas dans la guerre contre le terrorisme, ils ont trahi la confiance de l’Algérie ».
Promesse ou rançon ?
Si le mystère plane sur toutes ces questions, les faits sont têtus pour leur part : Iyad avait tout perdu à cause de la fermeture des frontières algériennes en représailles à la construction du consulat libyen à Kidal. Aussi, selon des sources concordantes, s’est-il rappelé la promesse à lui faite pour «libérer » les otages allemands. Car il était le principal «médiateur » dans cette crise dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle a été dénouée après payement de rançon en espèces sonnantes et trébuchantes aux preneurs d’otages étrangers, en l’occurrence les 14 touristes européens comme indiqué plus haut. Or, après la mutinerie du 23 mai 2006 dont Iyad Ag GHALI est au centre, les insurgés accusent Koulouba de ne pas tenir ses promesses à leur endroit. Puisque Iyad y avait été reçu l’avant-veille par ATT auquel il a réclamé 1,3 milliards FCFA selon la révélation du général Kafougouna KONE, la relation de cause à effet est vite faite par nombre d’observateurs qui évoquent une histoire de «rançon mal réglée » pour expliquer en partie la nouvelle crise qui secoue le Nord du Mali et la région de Kidal en particulier.
Ce qu’il faut noter, d’autre part, c’est que les autorités maliennes avaient jusque-là privilégié la politique de «la mallette remplie d’argent » qui était gracieusement offerte à Iyad Ag GHALI devenu, à la fin de la rébellion des années 1990, le seigneur incontestable et incontesté de Kidal sur lequel il régnait en maître absolu au vu et au su de tout le monde, sinon avec la bénédiction de Koulouba de 1992 à 2006. Seulement, voici : le pouvoir s’est installé dans le système de tonneaux des Danaïdes qui ne se remplissaient jamais, la poche des rebelles étant trouée de toutes parts. Car c’est l’éternel recommencement : on vient exiger à Koulouba sa part de butin en argent, on retourne à Kidal pour le manger ; puis on revient à Bamako et ainsi de suite… Commentaires via Facebook :