Des déplacés peulhs fuyant des violences qui s’intensifient dans le Centre ont trouvé refuge à Bamako. Disséminés dans plusieurs camps, notamment, à Niamana, Faladié (Grabal)… Celui de Faladié où notre équipe s’est rendue, le mardi 26 février dernier, est au milieu d’une décharge d’ordures de Bamako et ses occupants cohabitent avec des animaux. Ainsi, ces déplacés vivent un véritable calvaire entre insalubrité et manque de moyens. Reportage !
Partout des ordures, des enfants jouent sur les détritus, des femmes font la lessive et des chèvres paissent entourées par les ordures. Les tentes de fortunes qui forment le camp de Faladié, dans le centre de Bamako, sont elles-mêmes fabriquées à partir de déchets, des bouts de toiles et des restes de nattes. Plus loin, une procession de femmes et d’enfants qui n’ont d’yeux que pour un carton rempli de vivres. Un don envoyé par un particulier qui a appris l’existence du camp via les réseaux sociaux.
Le camp est installé sur un tas d’ordures. L’odeur est insupportable et il faut imaginer que ces déchets sont en permanence en train de brûler. D’ordinaire cette zone non-constructible en raison de sa proximité avec l’aéroport de Bamako n’est occupée qu’occasionnellement par des éleveurs de passage au marché au bétail de Faladié. Les habitants du camp sont des Peuls, qui ont fui les conflits intercommunautaires du centre du Mali. La violence des affrontements, fondés sur des litiges fonciers entre les éleveurs peuls et les agriculteurs dogons, s’y est intensifiée récemment.
« Ces déplacés viennent de la région de Mopti (Centre), ils ont commencé à arriver il y a six mois, mais cela s’est accéléré depuis le mois de décembre 2018. En ce moment à Faladié, il y a 483 adultes et 203 enfants de moins de 15 ans », nous confie Kola Cissé, un responsable d’association humanitaire qui s’occupe des déplacés. « Nous avons aujourd’hui plus de personnes dans ce camp et les gens continuent de venir, même le samedi dernier, nous avons reçu 60 personnes en provenance de Mima (cercle de Bankass) où ils ont fui les combats intercommunautaires. Comme la plupart des refugiés », explique M. Cissé. Pourquoi ce choix de s’installer au marché de bétail ? La plupart des déplacés ont un parent qui réside dans le parc, indique Kola Cissé.
Les femmes sont aussi en nombre dans ce camp, habillées en haillons, les yeux rivés dans le vide. Parmi elles, beaucoup sont enceintes en état avancé, et ont dû faire le trajet Koro-Bamako dans des conditions extrêmement difficiles. « L’équation était simple : soit on part, soit on meurt. Je n’ai plus de nouvelles de mon mari et de mon premier enfant, je ne sais s’ils sont vivants ou pas. Je suis venu avec mes trois enfants », raconte Assétou récemment venues au camp.
Situation précaire
Ici, les gens sont obligés de brûler les déchets pour diminuer un peu le volume mais le problème c’est qu’il très difficile d’éteindre un feu ici, il couve toujours quelque part. Il arrive que des tentes prennent feu et la fumée de ces ordures qui brûlent est dangereuse, toxique. Aussi, la fumée qui s’échappe des ordures s’invite directement dans les abris faits de plastiques, vieux sacs et tissus récupérés sur les tas d’ordures. N’ayant pas d’autres solutions, c’est sur les tas d’ordures également qu’ils font leurs besoins naturels. Le manque d’eau dans le camp accroît également les risques sanitaires. Ils passent des nuits et des jours sous des hangars en plastique déplorables.
Trois enfants ont perdu la vie L’accès à l’unique toilette du camp reste très difficile vu le nombre de plus en plus important de réfugiés. Ainsi, ces personnes qui ont tout perdu n’ont pas le moyen de s’offrir le luxe d’aller aux toilettes. Résultat : hommes, femmes et enfants, tous, se mettre à l’air libre pour se laver ou pour d’autres besoins… Des grincements de dents se font entendre parmi les personnes travaillant dans la zone, à cause de cette situation. « La nuit tombée, tu les verras sur les tas d’ordures déféquer. Allez constater derrière », raconte Issa, travaillant dans le marché à bétail, contigu au camp des déplacés.
Les déplacés du centre que nous avons rencontré sont partagés entre colère et espoir, Amadi Cissé, venus de Koro avec sa femme et ses trois enfants nous interpelle : « Vous faites toujours des vas et viens pour nous demander mais rien d’autres. Ici, nous avons faim, nous avons soif, nos enfants sont malades mais ça ne vous regarde pas. En plus, vous voulez profiter de nous pour monter des projets. On ne vous dira rien. Vous voyez vous-même tout », après ces paroles lancées avec hargne, il détourne son regard et s’enferme dans le mutisme.
«Peulh ici, Peulh, Songhay, Tamashek et Dogon cohabitent. Nous sommes tous les mêmes ici. Nous sentons tous la douleur de la même façon mais le gouvernement lui ne sait même pas que nous sommes ici », nous fait remarquer Amadou Diallo, qui fait office de porte-parole., il reconnait être allé voir le maire de la commune VI pour des explications. « A notre arrivée, par deux fois, des jeunes sont venus se présenter à nous de la part des autorités du quartier. Ils nous demandaient de leur payer pour chaque famille la somme de 3 000 francs pour notre installation et qu’on devait payer 1 000 franc par mois. Alors, nous avons effectué un déplacement à la mairie pour discuter avec le maire. Celui-là a mis à notre disposition trois policiers et ils n’ont plus été revus depuis. »
Elan de Solidarité
« Beaucoup de personnes viennent nous voir, d’autres écrivent ce que nous disons, et d’autres nous filment. Ils disent tous vouloir nous aider. Mais, on ne voit rien après. Plusieurs personnes sont passées ici et tous ont promis de l’aide, certaines sont venues mais nous attendons encore les autres », précise Boureyma, un autre porte-parole des déplacés.
« C’est Dieu qui nous a fait Maliens et nous en sommes fiers. Dogon, Peulh, Songhay ou autres, on est tous frères d’abord, Maliens et de notre ethnie après mais les autorités qui représentent le Mali ne nous a pas laissé une bonne impression », se plaint Amadou Cissé. Un refugié du camp. Il reconnait que des aides leur soient parvenues mais pas celles des représentants du gouvernement juste celles provenant des particuliers.
Aicha veuve et mère de trois enfants ; venue de Bankass, dans une lamentation, susurre « Nous souhaitons pouvoir manger à notre faim, regardez ces enfants, ils n’ont pas mangé ce matin, ils sont couchés parce qu’ils ont faim. On est malade mais on ne peut aller à l’hôpital. Souvent des gens viennent nous voir et nous donnent des médicaments selon le mal qu’on leur dit sans consultation. Souvent c’est bon, souvent c’est mal ».
Plusieurs organisations humanitaires nationales, des particuliers, des citoyens maliens ou d’ailleurs, alertés par les publications sur les réseaux sociaux, ont décidé de venir en aide aux déplacés. Déjà, un secrétariat est mis en place par ces associations pour coordonner la réception des différents dons. La direction du développement social a aidé à installer de nouveaux abris, et plusieurs personnalités publiques ou anonymes ont promis de mettre la main à la poche.
Parmi elles, Hadja Bah qui a décidé d’aider les déplacés : « Les mots manquent pour exprimer ma douleur. Au début, ils n’étaient pas nombreux. C’était facile de les aider. Mais plus le nombre augmente, plus on a des difficultés. Heureusement que beaucoup de personnes sont là maintenant pour les aider et ça me soulage. Les Maliens sont humanistes ».
Elle fait aussi part du don du Général Ismaïla Cissé qui a mis à la disposition des réfugiés à Sénou, non loin de Bamako, un espace de 5 hectares déjà aménagé avec une infirmerie , une mosquée , une école, de l’eau et de l’électricité, un espace qu’elle estime très propice et près à héberger dès maintenant tous les réfugiés dans la plus grande protection et le confort.
Pour elle et tous les habitants du site, le plus important sera de se procurer un lieu d’habitation décent et avoir de quoi manger.
La mobilisation est palpable sur les réseaux sociaux et sur le terrain, même si beaucoup reste à faire pour ces déplacés qui doivent aussi vivre dans la dignité. Nos autorités doivent penser à aider ces déplacés de sorte qu’ils soient indépendants, en attendant le retour au calme dans le Centre. Il existe à ce jour au moins quatre camps de déplacés peuls à Bamako et à ses abords, qui, selon l’association peule Tabital Pulaaku, regrouperaient près de 1000 personnes se disant victimes des miliciens dogons.
Mémé Sanogo
Mohamed Sylla