Procès de Daouda Yattara : Ombre d’une vérité

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    Tout le monde l’attendait. Beaucoup de tambours se sont faits résonner pour une affaire ordinaire, reprochée à un homme ordinaire. Voilà que c’est arrivé. Et c’est fait sans que la terre ne tremble. Il s’agit de l’affaire Daouda Yattara qui s’est autoproclamé Sitanè (c’est-à-dire le Satan). L’enfant de Markala et son co-accusé Modibo Keita dit Van poursuivis pour assassinat, jugés le 5 juillet dernier par la Cour d’Assises de Bamako, ont écopé chacun cinq ans de réclusion criminelle. Ce procès a-t-il permis d’établir toute la vérité ?rn

    Ce jour, 5 juillet 2007, la salle d’audience de la Cour d’Appel de Bamako était pleine à craquer de monde. Des curieux venus de toutes parts, voulaient savoir le sort que la Cour allait réserver au Satan et à son disciple. Rarement, la Cour d’Appel a enregistré une telle affluence. Nombreux sont ceux qui croyaient assister à une éventuelle partie de sorcellerie. Sans compter que la Cour, présidée par Zoumana Cissé, avec à ses côtés, Moussa Bagayogo, occupant le banc du ministère public, dominait la situation. A la barre, Daouda Yattara dit Sitanè et son bras droit Modibo Keita dit Van, entourés de leurs conseils, écoutaient attentivement l’arrêt de renvoi lu par le greffier. De quoi s’agissait-il ? Dans la nuit du 30 au 31 mars 2005, le nommé Modibo Keita dit Van se présente au domicile de Kassim Camara dit Kassim dafara (c’est-à-dire la bouche fendue) entre 19 heures 30 minutes et 20 heures.

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    Après s’être brièvement entretenus, les deux hommes s’embarquent à bord de la voiture de Kassim dafara pour une destination inconnue. Tard dans la nuit, Modibo Keita dit Van retourne seul pour reprendre sa moto garée devant la famille Camara. Laissant derrière lui Kassim Camara. Ce dernier ne retournera plus jamais à la maison. Le 1er avril 2005, c’est un coup de téléphone provenant d’une certaine Aïcha qui fera lever le lièvre. Celle-ci informe les parents de Kassim Camara que leur fils serait victime d’assassinat de la part de Daouda Yattara, tout en précisant que les faits se seraient passés non loin de Sitanèbougou, son domicile et que pour toute information complémentaire, ils pourraient s’adresser à Modibo Keita dit Van.

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    Les Camara se lancent à la recherche de leur progéniture et trouvent Van au domicile de Daouda Yattara. Interpellés, Modibo Keita dit Van et Daouda Yattara restent évasifs, incapables pour eux de donner d’amples informations aux parents de leur ami commun, porté disparu. Inquiets, ces derniers saisissent le commissariat de police du 5e arrondissement. Modibo Keita dit Van est arrêté et le domicile de Daouda Yattara est perquisitionné pour les besoins de l’enquête. Peu après, la voiture de Kassim Camara est retrouvée sous un baobab dans la zone aéroportuaire de Sénou, le pare-brise arrière brisé, les deux portières défoncées. A l’intérieur se trouvait un gros caillou. Mais, elle ne portait aucune trace de sang. L’étau se resserre autour de Daouda Yattara.

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    La police du 5e arrondissement hésite à arrêter. Le mercredi, 6 avril 2005, la Gendarmerie du Camp I le met aux arrêts.  Les parents de la victime sombrent dans l’expectative jusque dans la journée du 8 avril 2005, date à laquelle, un corps dit celui de Kassim Camara dit Kassim dafara est repêché par la police du 12e arrondissement dans le fleuve Niger au niveau de Moribabougou.  Interrogés par la Cour sur les faits qui leur sont reprochés, les deux accusés les nient en bloc même s’ils soutiennent avoir connu le défunt. Mais, les témoins à charge disent le contraire.

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    Le ministère public assimile Daouda Yattara à la terreur

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    Le ministère public, représenté par le Substitut du procureur Général, Moussa Bagayogo n’est pas un homme qui avale ses mots. Dans son réquisitoire, il affirme que Daouda Yattara dit Sitanè était « l’équivalent de la terreur. » Il ne comprend pas non plus pourquoi Sitanè a-t-il pris la tête des opérations de recherche de la victime ? Pourquoi a-t-il proposé aussi la cagnotte de deux millions de FCFA et une Mercedès au père de Kassim Camara ? Pour acheter son silence ? Selon le parquetier de choc, il y a bel et bien meurtre avec préméditation et guet-apens avant de demander à la Cour de retenir les accusés dans les liens de la culpabilité.

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    La réplique infernale de la défense

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    La défense des accusés était composée de Mes Alassane Diop, Patrice Vincent Diarra, Alou Diarra, Waly Diawara et Gaoussou Diakité. Dans leurs plaidoiries, ils ont refusé de faire de cadeaux au ministère public. Me Alassane Diop, avocat à la Cour, agissant au nom de Daouda Yattara et Modibo Keita, s’attaque avec virulence au réquisitoire du ministère public. Il dit en ces termes : « le discours du ministère public est juridiquement inconsistant. Il n’a pas apporté la preuve selon laquelle nos clients seraient les auteurs de l’assassinat reproché à eux. Il n’y a que des suppositions, des conjectures, et avec celles-ci, on ne va pas condamner nos clients. ». Tentant de démontrer l’innocence de ses clients, il trouve que Daouda Yattara a été victime de sa vantardise et d’une machination orchestrée par certains islamistes. Mes Gaoussou Diarra, Aliou Diarra, Waly Diarra, Patrice Vincent Diarra, tous ont abondé dans le même sens. Ils ont dénoncé l’insuffisance de l’instruction et ont demandé à la Cour qu’il lui plaise de relaxer purement et simplement de leurs clients.

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    Une Cour clémente

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    La Cour, dans sa délibération, a retenu Daouda Yattara dit Sitanè et Modibo Keita dit Van dans les liens de la culpabilité. Elle les a condamnés chacun à cinq ans de réclusion criminelle et au paiement du franc symbolique réclamé par la partie civile. Mais ce qui reste entier, c’est le flou autour du corps retrouvé dans le fleuve Niger dix jours après la disparition de Kassim Camara dit Kassim dafara. Comment un corps jeté dans les eaux d’un fleuve peut-il faire plus d’une semaine sans être entièrement décomposé ? Est-ce réellement la victime ? A-t-elle été tuée le jour où elle est sortie avec son ami Modibo Keita ? Est-ce que le corps retrouvé à la hauteur du village de Moribabougou sur la route de Koulikoro, distant de plusieurs kilomètres de Sébénicoro, est-il bien celui de Kassim ? Ce qui revient aux propos de Me Waly Diawara qui a parlé des insuffisances non seulement dans l’instruction, mais aussi dans l’enquête préliminaire. C’est ici que réside l’ombre de la vérité. Cette affaire aurait fait provoquer un véritablement mouvement tectonique si les enquêteurs y avaient mis un peu de sérieux. C’est vraiment la victoire des accusés.

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    O. BOUARE

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