Problématique des faux biens publics de la loi N° 01- O79 du 20 août 2001 : Une relecture du Code pénal s’avère nécessaire

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    La loi pénale malienne, sans donner une définition des biens publics, en a établi une liste tout en prévoyant la sanction de leurs atteintes. L’infraction d’atteinte aux biens publics suppose au Mali et dans nombre de pays africains l’atteinte à la propriété des Collectivités publiques. La doctrine française a mis du temps à admettre la propriété des personnes publiques. De nos jours, cette propriété ne fait l’objet d’aucune contestation dans la législation française. Mieux, elle a été établie clairement par un certain nombre d’auteurs.

    Parmi ceux-ci, nous pouvons citer le Professeur Yolka dans sa thèse qui a porté sur «La propriété publique, élément pour une théorie».  De plus en plus, lorsqu’on évoque les biens publics dans notre pays et ailleurs, notamment en France, on aborde incontestablement la notion de valeur. Cette notion relève de la science économique. En effet, la valeur fait entrer de plein pied dans le monde économique. La science juridique a pu s’approprier de cette notion de valeur et a initié sa propre conception. De nos jours, la notion susdite  occupe une importante place dans la science juridique. Mieux, les évolutions du droit, public notamment, ont, quelque peu, obligé les juristes à investir le concept. Il importe de se rendre désormais compte que non seulement le droit créé la valeur, mais aussi l’appréhende. L’évocation du concept de propriété fait penser à la notion de valeur qui est donc devenue une notion juridique depuis la valorisation des biens publics et privés de l’administration publique. Cette étude nous conduira à examiner la notion de biens publics et leur propriété, avant d’aborder la protection desdits biens.

    La notion de biens publics

    Au même titre que les particuliers, l’administration publique possède des biens. Pour ce qui est des particuliers, ils exercent sur leurs biens un droit de propriété qui vient du droit romain et qui a été consacré par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Cette déclaration, selon Gustave Peiser, a hissé le droit de propriété au même rang que la liberté et l’égalité. Le code civil détermine entre autres le régime juridique du droit de propriété. Ce Code civil, qui date de 1804, détermine aussi les modes de transmission qui se font par contrat, par succession ou par l’intermédiaire des régimes matrimoniaux. Ces modes de transmission privilégient la volonté du propriétaire. Les particuliers sont donc soumis au régime de droit commun et à celui de la responsabilité des articles 1382 et 1386 du Code civil. Quand en est-il des collectivités publiques ?

    L’administration publique qui comprend l’Etat et les collectivités territoriales, -c’est le principe de la science administrative qui entre ici en ligne de compte- possède aussi, comme plus haut souligné, des biens. Cependant, le régime juridique de ces biens échappe, en grande partie, aux règles de droit commun en général et à celles du droit civil en particulier. En effet, «de même qu’il existe un droit administratif général qui soumet à un régime particulier les actes et les activités de l’administration, il existe un droit administratif spécifique pour les biens de l’administration».

    Mais, la détermination du champ d’application des règles de cette dernière discipline n’est pas facile dans tous les cas. En effet, il y a lieu de tenir compte de la nature juridique du droit de l’administration sur ces biens, d’où la distinction domaine public-domaine privé. On ne perd pas de vue non plus la possibilité pour les collectivités publiques d’acquérir des biens (souvent par décision unilatérale de l’administration), ce qui est le régime de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Enfin, l’administration peut être amenée à réaliser des travaux sur ces biens. C’est ici le régime des travaux publics différents, faut-il le rappeler, des travaux dits privés des personnes physiques et des autres personnes morales de droit privé.

    Il est nécessaire de rappeler que les collectivités publiques possèdent deux catégories de biens. Il s’agit des biens du domaine public et de ceux du domaine privé. L’administration a sur ces deux catégories de biens un droit de propriété ; d’où le régime de la propriété des personnes publiques. Ce droit de propriété est quand même différent du droit de propriété privé.

    La protection des biens publics

    La détermination effective des biens du domaine public et du domaine privé est délicate. Ces biens, dans tous les cas bénéficient d’un régime de protection. Au Mali, de l’indépendance à nos jours, le législateur a entendu accorder à ces catégories de biens une protection particulière. Il a voulu, par un système juridique préventif, préserver l’intégrité de ces biens contre la volonté d’usurpation des usagers des services publics et même des administrateurs. A titre d’illustration, on peut citer la loi n° 61- 99 AN-RM du 3 août 1961 portant Code pénal. A cette loi du lendemain de l’indépendance, peuvent être ajoutées les Ordonnances n° 39 CMLN du 25 octobre 1971 et n° 6 CMLN du 12 février 1974. Plus récemment, nous pouvons évoquer les lois n° 82- 39/ AN-RM du 20 février 1982 portant répression du crime d’enrichissement illicite et n° 01-079 AN-RM du 20 août 2001 portant Code pénal en République du Mali.

     

    Tous les biens publics visés par cette dernière loi ne sont pas des biens publics, de notre point de vue. En effet, aux termes des dispositions de l’article 106 du Code pénal, «ont le caractère de biens publics les biens appartenant aux institutions et organismes suivants : l’Etat et les collectivités publiques; les sociétés et entreprises d’Etat; les établissements publics ; les organismes coopératifs, unions, associations ou fédérations desdits organismes; les associations reconnues d’utilité publique ; les organismes à caractère industriel ou commercial dont l’Etat ou d’autres collectivités publiques détiennent une fraction du capital social…».

    En quoi les biens d’une structure syndicale ou même d’une banque commerciale dans laquelle ni l’Etat ni les collectivités territoriales ne détiennent de participations peuvent-ils être des biens publics ? Les biens d’une association, fut-elle d’utilité publique, sont-ils des biens publics ? Qu’est-ce que lesdits biens ont-ils de publics ?  Peuvent-ils en avoir seulement le caractère ? Enfin, en dehors de l’administration publique, une autre structure peut-elle avoir la propriété des biens publics ?

    Les biens publics de l’administration sont soumis à un régime de droit public en l’occurrence l’inaliénabilité. En outre, on ne peut pas mettre en marge les principes d’imprescriptibilité et d’insaisissabilité qui caractérisent la domanialité publique. Est-ce que les «biens publics» des institutions et organismes visés par le code pénal répondent à ce critérium ? Assurément, la réponse est négative.

    Au regard de notre arsenal législatif, il apparaît qu’aucune disposition légale ou réglementaire ne définit les biens publics en tant que tels. Il est vrai que le Code domanial et foncier, en son article 1er, en donne quelques éléments. Selon ce texte, «le domaine national du Mali, qui englobe l’espace aérien, le sol et le sous-sol du territoire national, comprend : les domaines public et privé de l’Etat du Mali ; les domaines public et privé des collectivités territoriales ; le patrimoine foncier des autres personnes physiques ou morales».

    A la lecture de cet article, il est évident que seuls l’Etat et les collectivités territoriales sont propriétaires, à la fois, de domaines publics et de domaines  privés. Les personnes physiques et les autres personnes morales sont propriétaires de patrimoines fonciers et, certainement aussi, de domaines ou plutôt de biens  meubles. En d’autres termes, il est ici établi que les personnes physiques ainsi que les autres personnes morales de droit privé ne peuvent pas être propriétaires de biens publics.

    Le Code pénal, en son article 106, vise la propriété de «l’Etat et des collectivités publiques». Il est important de noter que l’Etat fait partie des collectivités publiques. A ce niveau le législateur aurait dû mettre «l’Etat et les collectivités territoriales», ou simplement «l’Etat les autres collectivités publiques». L’énoncé du texte fait penser que l’Etat n’est pas une collectivité publique, ce qui n’est pas exact. Il ne fait aucun doute que la domanialité publique d’un bien est déterminée par la loi. En effet, nous savons par exemple que «le domaine public immobilier est constitué de l’ensemble des biens immobiliers classés ou délimités, affectés ou non à l’usage du public».

    Mais le Code pénal, en évoquant le caractère de biens publics, évoque, sans le dire, la notion de domanialité publique. Or, il va de soi que cette notion sied à l’Etat et aux collectivités territoriales pour ce qui concerne le Mali. En effet, en dehors de ces deux institutions disposant de la puissance publique, et qui constitue l’administration publique, aucune autre structure ou organisme ne peut être propriétaire de biens publics au sens domanial du terme. La question se pose alors de savoir ce qu’est un bien public. Pourquoi seuls l’Etat et les collectivités territoriales en sont propriétaires ? Nous avons déjà évoqué l’inexistence d’une définition législative du concept. La jurisprudence malienne ne le définit pas non plus, encore moins, la doctrine qui n’existe même pas. Mais avant, on peut donner la consistance du domaine public au Mali, même si la liste ne saurait être exhaustive.

    En effet, aux termes du Code domanial et foncier, le domaine public de l’administration comprend le domaine public naturel et artificiel de l’Etat et des collectivités territoriales. Pour ce qui est du domaine public naturel, il comprend «les sites naturels déterminés par la loi…». Parmi ces sites, nous pouvons citer :l’espace aérien ; les cours d’eau navigables ou flottables dans les limites déterminées par la hauteur des eaux coulant à pleins bords avant de déborder, ainsi qu’une zone de passage de 25 mètres de large à partir de ces limites sur chaque rive et sur les bords des îles ; les sources et cours d’eau non navigables ni flottables dans les limites déterminées par la hauteur des eaux coulant à pleins bords avant de déborder ; les lacs et étangs dans les limites déterminées par le niveau des plus hautes eaux avant débordement, avec une zone de passage de 25 mètres de large à partir de ces limites sur chaque rive extérieure et sur chacun des bords des îles ; les nappes d’eau souterraines, quelles que soient leur provenance, leur nature et leur profondeur.

    La consistance à laquelle le Code domanial et foncier fait cas est différente de celle des biens visés par le texte de l’article 106 du Code pénal. Cet article de notre loi pénale est relatif aux atteintes aux biens publics qui constituent une infraction criminelle. L’article 106 est abordé dans le chapitre 10 de la loi relative aux crimes et délits de nature économique  contre la chose publique. Mieux, les biens dont il est ici question comprennent aussi «les deniers, fonds, pièces de monnaie, valeurs fiduciaires et d’une façon générale les titres ayant une valeur estimative en deniers, qui sont entrés dans les caisses ou qui sont perçus pour être versés dans les caisses de l’Etat, des collectivités publiques ou des organismes visés à l’alinéa premier de l’article 106».

    Les biens en question ne sont pas seulement ceux visés ici. Il faut y ajouter  «les pièces et titres de paiement, les valeurs mobilières » (alinéa 4). Mais également il y a certains «actes contenant ou opérant obligation ou décharge» ainsi que «les effets mobiliers, les matériaux, matériels, armes, munitions, marchandises, denrées ou objets quelconques» (alinéa  4 et 6). Enfin, les biens publics dont il est question peuvent être des «titres immobiliers»  (alinéa 7).

    Nous avons donc ici une catégorie particulière de biens publics créée par le Code pénal. A priori, ce n’est pas tant les caractéristiques de la domanialité publique qui sont prises en compte, mais plutôt l’utilité publique tout simplement. Le législateur malien, en estimant que les structures plus haut visées ont une mission d’utilité publique, a fait de leurs biens des biens publics. En vérité, les biens dont il s’agit, de notre point de vue, ne répondent pas tous aux caractéristiques de la domanialité publique. On peut se poser la question de savoir en quoi les biens d’une structure associative, fut-elle d’utilité publique, peuvent être des biens publics. En l’occurrence, les caisses associatives qui n’ont de rapport ni avec l’Etat ni avec les collectivités locales, ne sauraient être propriétaires de biens publics. Le législateur a décidé d’élargir le champ du texte dans un souci de lutte contre la délinquance financière.

    Mais en somme, tous les biens évoqués dans le corps de ce texte ne sauraient être des biens publics. Pour ce qui est des fonds des établissements publics par exemple, ils peuvent à la limite être des biens privés. En vérité, lorsque l’Etat détient des participations dans ces établissements, ils constituent une partie de ses biens privés et non publics. Il est quand même vrai que les deniers du domaine privé de l’Etat ont le caractère de biens publics, même si ces deniers relèvent de la domanialité privé de l’Etat ou des collectivités territoriales. Christian Lemercier l’a bien fait ressortir dans son mémoire de diplôme d’études approfondies.

    Mais à ce niveau, le Code pénal est totalement en porte à faux avec les dispositions des quatre premiers articles du Code domanial et foncier. Ces deux Codes ne sont nullement complémentaires de ce point de vue. Ils sont au contraire contradictoires. En conséquence, de ce qui précède, une relecture du Code pénal s’avère aujourd’hui nécessaire, eu égard à l’importance des dispositions relatives à l’atteinte aux biens publics. Cette infraction a d’ailleurs une connotation politique. Avant aujourd’hui, la population malienne pensait à un règlement de compte politique chaque fois que des citoyens comparaissaient pour crime d’enrichissement illicite. Mieux, la juridiction compétente pour ces faits, était une juridiction d’exception. Il s’agit de la Cour spéciale de sûreté de l’Etat. Il importe de faire prévaloir l’infraction d’abus de biens sociaux qui, selon les cas, sera un crime ou un délit comme cela existe s’agissant de l’atteinte aux biens publics. Cette atteinte aux biens publics est, au regard de notre législation pénale, soit un délit, soit un crime. Il en sera de même pour l’abus de biens sociaux.

     

    Samba A. SARR

    Magistrat

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