Portrait : Ismaël Diadié Haïdara de Tombouctou, une des plumes d’or du Mali contemporain 

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    Né en mars 1957 à Tombouctou au quartier de Badjindé, Ismaël Diadié Haïdara a écrit ses premiers poèmes à l’âge de 15 ans (1972). A 20 ans, il est devenu membre de l’union des écrivains du Mali et de l’union des artistes du Mali devenant ainsi le plus jeune de ces deux organisations. A l’époque, le plus jeune écrivain du Mali était adulé par le premier Président démocratiquement élu du Mali, Alpha Oumar Konaré avec lequel l’homme a entretenu de très bonnes relations avant son aventure espagnole.

    Après avoir obtenu le diplôme de l’Institut National des Arts en 1981, notre écrivain a passé six années de vie professionnelle au compte du Ministère de la culture où il rencontra le professeur N’chi Idriss Mariko avant de quitter le Mali en 1987 pour l’Université de Grenade en Espagne avec une bourse de la Coopération espagnole.

    L’homme est surtout honnête et sans complexe, vous aurez l’occasion de le découvrir quand il nous parlera de sa vie. Mais il est surtout cultivé et même très cultivé avec un sang froid digne de celui d’un caméléon avec à son actif  plus d’une dizaine de livres publiés et autant d’articles. Allons à la découverte de l’homme

    Pendant que certains changent leurs vrais noms pour s’adjuger d’un nom de la famille du prophète comme pour dire qu’ils sont descendants du prophète ; Ismaël Diadié a eu la chance, aux yeux de certains, d’hériter du nom Haïdara, mais et pourtant il déclare clairement et publiquement qu’il n’est pas Haïdara, que son nom Haïdara est circonstanciel et non la vérité. « Mon père a été adopté par un Haïdara, c’est ainsi qu’on lui a donné le nom Haïdara aussi et par voie de conséquence, nous ses enfants sommes devenus Haïdara aussi. Si non en réalité, nous sommes des Qûtti », a précisé Ismaël Diadié désormais Qûtti au lieu de Haïdara. C’est une honnêteté vraiment rare aujourd’hui.

    Quand nous lui avons demandé qui êtes-vous ? Il nous répond plutôt philosophiquement en ces termes : « Connais-toi, toi même dit l’inscription de Delphes qui a inspiré Socrate et les Bambara disent savoir nager, savoir monter à cheval, se connaître soi même c’est mieux. La parole de la pythie et la sagesse Bambara se rejoignent. C’est pour dire donc toute la nécessité de se connaître et toute sa difficulté aussi. Je ne saurais dire vraiment qui je suis, mais seulement ce qui est de ma vie dans ses grands traits.

     Je suis né à Tombouctou en Mars de l’année cinquante et sept dans le quartier dit de Bajindé. J’ai fait une école primaire difficile à l’école dite Nomade puis à l’Ecole Tin A Ten. Après s’être renvoyé du premier cycle où je n’arrivais pas à passer mon examen de passage de la sixième à la septième année, passage sanctionné par le diplôme du CEP que je n’ai eu qu’après ma troisième tentative en 1972 ; j’ai traîné les pas au second cycle également, redoublant la septième année et faisant par deux fois le DEF, la seconde tentative fut la bonne. J’ai été alors orienté à l’INA (Institut National des Arts) de Bamako. En partance pour Bamako, j’ai rencontré Amadou Hampaté Bah le 24 Septembre 1977, à l’aéroport de Sevaré. Il m’invita à le rejoindre si je voulais vraiment apprendre à son école, chose que je n’ai pas faite et que je regretterais plus tard quand à  notre départ d’Alger, le poète Hamadoun Isseberé, auteur de « Les Boutures du Soleil » m’annonçait son décès à Abidjan. J’ai fait à Bamako la Section Art Dramatique. J’ai achevé mes études dans cette section en l’année 1981, mon mémoire consista à monter avec les élèves de ma classe, le Sang des Masques de Seydou Badian Kouyaté. Je suis resté en poste pour peu de mois au Ministère de la Culture avec N’chi Idris Mariko avant d’être muté à Farach dans le cercle de Goundam. Je suis passé de la  Direction Régionale de la Culture en 1982, puis à l’enseignement pour faire mon CAP comme maître du second Cycle en 1983, et à partir de l’année 1984 je suis parti de la DRJSAC (Direction Régionale de la Jeunesse, des Sports, des Arts et de la Culture)  pour le CEDRAB (Centre d’Etude, de Documentation et de Recherche Ahmed Baba) de Tombouctou. J’ai fait le concours d’entrée a l’ENSUP Philosophie en 1987 et j’ai quitté cette école ou j’eu pour professeur de philosophie antique Mamadou Lamine Traoré à qui il faut rendre des hommages mérités, j’ai quitté l’ENSUP pour l’Université de Grenade en Espagne en l’année 1989 avec une bourse de la Coopération Espagnole, là se ferme le cycle de ma formation.

    J’ai commencé à écrire mes premiers poèmes en 1972 à l’âge de 15 ans. A l’âge de vingt ans, je suis devenu membre  de l’Union des écrivains du Mali et membre de l’Union des Artistes du Mali.

    Les publications d’Ismaël Qûtti
    Poésie : « Territoire de la douleur » (poésie, 1977), « le Chant Equinoxial » (poésie, 1978), « Comme une blessure éclatée dans les vannes du soleil » (poésie, 1979), « Poèmes » (1980-2000, inédit) ; « Le Tombeau de Jabès » (Poésie, in Pour Saluer Jabès, Paris),

    Histoire : les « Morisques en Afrique subsaharienne, essai d’évaluation quantitative » Tunis, CEROMDI, 1993 ; les « Juifs à Tombouctou », Bamako, Editions Donniya, 1999 ; « l’Espagne musulmane et l’Afrique subsaharienne », Bamako, Editions Donniya, 1997 ; le « Soufisme », Cordoba, 1990 ; la « Conquête du Songhay : les questions logistiques », Marrakech, 1992 ; « Tombouctou et les poètes de l’exil andalous », Zaghouan, 1994 ; le « Pasha Jawdar et la conquête saadienne du Songhay »(1591-1599), Rabat, 1996 ; « Quelques sources inédites relatives au commerce juif à Tombouctou au XIXè siècle », Milan, 1997.

    Philosophie : le « Statut du monde, Nécessité, Possibilité et contingence » chez Ibn Arabi de Murcia, filosofía, Cordoba, 1992 ; «  Analecta » filosofía, inédit.

    Articles : les « Années de cuevas del Almanzora dans la vie de Jawdar Pasha », Barcelona, Studia Africa, 1991 ; « Tombouctou et la musique Arma » (en colaboracion con Reynaldo y Azucena Manzano), Marrakech, 1992 ; « Du nouveau sur la fin du pashalik Arma de Tombouctou ; une lettre de Sheik Sidi Al-Mukhtar Ahmad Lobbo du Macina, Institut des Etudes Africaines, Rabat, 1992 ; El Bajà Yawdar y la conquistasaadi del Songhay (1591 -1599), Instituto de Estudios Almeriennes/Ayuntamiento de Cuevas del Almanzora, 1993 ; la « Famille Kati »,Barcelona, Studia Africa, n°7, 1996 ; « Histoire des juifs à Tombouctou : la synagogue, le marché et le cimetière, Tapama, n°1, Bamako, 1996 ; « l’Espagne musulmane et l’or de l’Afrique subsaharienne », Tapama n°2, Bamako, 1997 ; « Essai sur la littérature andalouse au Soudan d’après le Tar’rikh al-Sûdân d’Abd al-Rahmân al-Sa’dî », Revue d’Anthropologie de Paris, 1999.

    Ces écrits d’Ismaël sont publiés en français, espagnole et latin. Certains publiés en français sont traduits en espagnole et en latin et vice versa. Ismaël est certainement le plus polyglotte des écrivains maliens. Il parle et écrit couramment le français, l’espagnole, le latin, l’arabe et l’anglais. Les livres d’Ismaël sont étudiés dans les universités espagnoles, italiennes, françaises, marocaine et tunisiennes. Mais ces livres sont superbement ignorés dans le propre pays de l’auteur, le Mali. A noté que le « l’Espagne musulmane et l’Afrique subsaharienne » a eu en 1991, le Prix de la Fondation Roger Garoudi pour la recherche historique.

    A propos de la fondation de Tombouctou, Ismaël Diadié Qûtti prend le contre pied de la plupart des versions. Il part d’une réalité pour remettre en question les versions connues de tous. « Les historiens ne s’entendent pas sur la fondation de Tombouctou. Pour Es-Saadi, Tombouctou fut fondée par les Tuaregs Imagsharan, mais quand on fait une étude toponymique de la ville on trouve que tous les noms anciens des quartiers sont en Soninké : Wangara Kunda, Jamey Kunda, Chirfi Kunda, Birunke Kunda… tous ces noms de quartiers se terminent par Kunda qui est un mot Soninké. La tradition orale dit que la ville était à une soixantaine de kilomètre au Nord Ouest et qu’elle s’appellerait Soro-Bantam Ba. C’est après la destruction de cette ville que Tombouctou fut fondée. A chacun sa vérité.»

    Il aime surtout mettre l’accent sur l’aspect cosmopolite de Tombouctou et sa diversité raciale et ethnique. Victime de beaucoup de médisances à cause de son livre « les juifs à Tombouctou », Ismaël Diadié se justifie en ces termes : « Mon livre, les Juifs à Tombouctou n’avait qu’un seul but : montrer la diversité culturelle de cette ville et l’esprit de tolérance de l’islam tombouctien. Les juifs comme les autres groupes ethniques sont venus ici de la même façon pour les mêmes raisons. Il suffit de faire une étude anthroponymique pour s’en rendre compte. Il y a en effet des familles andalouses, marocaines, algériennes, libyenne, nigériane, d’autre viennent de plus près comme les Mossi, les Bambara, les Wolof, Minianka, Senufo, Berber…  Tombouctou est une ville commerciale postée sur le terme d’une route de commerce transsaharien, aussi des gens y viennent du Nord comme du Sud, s’y installent et font souche. Il y a à Tombouctou des familles Faye, Diop, Diarra, Keïta, Togola, Tuwati, Fasi, Tashkenti, Turki, Maiga… »

    A ceux qui mettent en doute l’existence de l’Université Sankoré de Tombouctou au moyen-âge Ismaël répond: « C’est un anachronisme que de confondre l’Université telle que nous l’entendons aujourd’hui et ce que furent les Universités médiévales. Dans l’introduction que j’ai donnée au seul texte qui nous reste du philosophe Ibrahim al-Khalil intitulé Philosophie et esthétique de l’existence, j’ai souligné que  Sankoré était Universitas à l’égale de l’Universitas Magistorum et scholarium Parisis studentium fondée en 1200 et reconnue par Philippe Auguste et le Pape Innocent III à travers une approbation donnée 2n 1215 par le Nuncio Robert de Curcon. Tombouctou était comme Paris ou Oxford une corporation des différentes écoles des autorités religieuses devenues studium universel par la conjonction de studium particulare. Tombouctou passant par le même système adoptera le cursus enseignant l’épistème islamique avec son propre programme et ses matières que le Dr. Zouber a donnée dans sa thèse sur Ahmed Baba.  Dans mon ouvrage intitulé L’Espagne musulmane et l’Afrique subsaharienne j’ai donné un tableau de la fréquence des disciplines étudiées à Tombouctou d’après la biographie des savants andalous faite par Ahmad Baba dans son Nayl déjà étudié par August Cherbonneau en 1846. Ces disciplines sont les suivantes : Droit, Traditions prophétiques, Politologie, Théologie, Sciences du Coran, Philologie, Grammaire, Métrique, Poésie, Philosophie, Logique, Histoire, Généalogie, Mathématiques, astronomie, Sciences naturelles, Magie. »

    A propos des manuscrits anciens, notre écrivain indique : «Les manuscrits sont les livres hier, copiés par des artisans dont l’occupation fut celle de copistes et de décorateurs. Les plus anciens manuscrits de Tombouctou sont des Xe et XIe siècles, les plus récents du XIXe siècle et même du XXe siècle. Ces manuscrits traitent de tous les sujets du cursus universitaire médiéval comme je l’ai indiqué un peu plus haut. Ismaël Diadié Qûtti est lui-même promoteur d’une bibliothèque de manuscrits, dite Fondo Kati. Cette bibliothèque est l’une des plus imposantes de la ville de Tombouctou. Ecrivain de bon teint, Ismaël a ouvert une maison d’édition au sein de sa Bibliothèque. Les manuscrits de sa bibliothèque sont exclusivement constitués par ceux écrits par les membres de sa propre famille, la famille Qûtti et beaucoup de livres imprimés. (Dans nos prochaines parutions, nous consacrerons un article à l’historique de cette bibliothèque familiale).

    Ismaël Diadié vit tranquillement à Tombouctou se consacrant principalement à l’écriture de livres et d’articles dans sa bibliothèque où toutes les conditions d’études et de recherches sont réunies. Il effectue souvent des déplacements en occident, au Maghreb et dans d’autres pays pour donner des cours et des conférences. Il passe son temps de repos à Kirshamba, son village d’origine où il a aménagé un jardin qu’il aime appeler « jardin hédoniste. » Oui, l’homme est follement tombé amoureux de la philosophie hédoniste (philosophie faisant du plaisir le but ultime de la vie). Il aime se faire appelé : hédoniste ! Ainsi donc, Aristippe de Cyrène, père fondateur de la doctrine philosophique le cyrénaïsme et précurseur de l’hédonisme, Epicure et le philosophe hédoniste  contemporain français Michel Onfray sont ses penseurs favoris. Pour la petite histoire, il compare son jardin de Kirshamba à celui d’Epicure.  
    Bonne inspiration au philosophe hédoniste, écrivain-paysan !
    M’pè. 

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