En dépit d’un ultime accord conclu avec le représentant d’Imprimerie Nationales de France sur le prix de la carte d’identité biométrique, une curieuse impasse continue de régner sur l’avènement de ce nouveau produit annoncé pour juin 2018 – et dont la conception technique avait valu au Mali des fières chandelles de la part des institutions sous régionales (CEDEAO). Et pour cause : ni l’attribution définitive du marché, ni la levée des écueils administratifs et juridiques n’auront été assez dissuasives pour freiner les ardeurs cupides et les honteuses convoitises, Une boulimie mercantiles de haut vol mais très avilissante pour un pays qui veut booster les initiatives en convainquant par l’assainissement de son climat des affaires.
Le marché en question avait été arraché de haute lutte, depuis 2016, par l’entreprise Cissé Technology. En vertu de son statut d’unique détenteur de brevet dans le domaine, le représentant d’Imprimeries Nationales de France au Mali n’avait pas de concurrent dans le pays.
Nonobstant, il a dû passer par une procédure de sélection au même titre que d’autres prétendants, au nombre desquels un cacique du monde malien des affaires comme Graphique
Industrie. Ce dernier, en dépit de son élimination de la course pour insuffisance technique, ne s’est visiblement jamais remis de l’amertume de voir filer entre ses doigts une mise aussi importante. C’est pourquoi Cissé Technology n’en était pas au bout de son chemin de croix malgré l’attribution définitive du marché. Il fallait encore esquiver les manœuvres et surmonter les crocs-en-jambe de forces invisibles tapies dans le système. Il en est ainsi des curieuses et très prétentieuses tentatives du plus teigneux des soumissionnaires,
Graphique Industrie, de renverser la vapeur. Au moyen notamment d’une proposition de prix certes moins-disant, mais qui avait le malheur d’intervenir bien après l’ouverture des plis. Sans compter qu’elle émane d’un soumissionnaire déjà disqualifiée sur l’offre technique remportée haut la main par Cissé Technology, avec à la clé une validation en bonne et due forme par des experts de la Cédéao.
-Transactions au forceps
Ce n’est pas tout. Après son attribution définitive, l’exécution du marché devait à nouveau patauger dans deux autres embûches de taille émanant cette fois du département de l’Economie et des Finances : une contestation auprès de l’Autorité de régulation des marchés, puis une action judiciaire près la Cour suprême. De guerre lasse, l’hôtel des Finances se résigne finalement à des transactions en coulisses sur les aspects financiers de l’appel d’offres. En atteste l’échange de nombreuses correspondances entre le gouvernement et le prestataire retenu, qui s’est conclu sur l’acceptation du prix que la partie gouvernementale a elle-même jugé supportable par la bourse du Malien lambda.
Pour 6 000 francs CFA donc, Cissé Technology s’est finalement engagé à doter les concitoyens d’une carte d’identité nationale.
D’une validité de 5 ans et en phase avec les normes de sécurité et les objectifs sous régionaux de lutte contre la criminalité transfrontalière, le nouveau produit malien, cerise sur le gâteau, comporte l’enviable avantage d’être en outre utilisable pour les besoins d’identification des adhérents à l’Assurance maladie, conformément au décret y afférent.
Les premiers échantillons étant du reste attendus en juin prochain, tout a été mis en œuvre par le concepteur pour être dans les délais. Des équipements appropriés ont été acquis pour ce faire et un personnel qualifié a été positionné pour être déployé sur le terrain dès
janvier 2018, en vue de répertorier les potentiels usagers du nouveau document et engager l’élaboration d’un fichier.
-La Primature se joint à la cadence
C’est dans ces entrefaites que le gouvernement, par le truchement de la Primature, s’est fendu d’une irruption aussi musclée que malencontreuse dans le processus d’exécution de la commande publique.
Par une correspondance signée des mains du chef du Gouvernement, l’adjudicataire est soudainement invité à reconsidérer le couplage de la carte d’identité avec la carte AMO, contrairement à l’esprit et à la lettre du décret relatif au marché.
Il s’agit apparemment moins d’une réelle intention de découpler les deux documents que d’un dessein dolosif d’ouvrir une brèche à des prébendiers, à en juger du moins par la détermination du Gouvernement à parvenir à ses fins en défigurant la commande telle que léguée par le gouvernement précédent.
Pour ce faire, la Primature n’a pas daigné faire l’économie d’une honteuse tentative d’instrumentaliser la Cour suprême et l’Autorité de régulation des marchés publics, au détour notamment d’une saisine pour avis aux relents de sollicitation.
Non seulement le PM n’aura pas gain de cause, mais il a été rappelé à ses souvenirs que les arbitrages de l’Autorité de régulation sont à la fois exécutoires et contraignants. Quant à la plus haute juridiction du pays, elle a tout simplement refusé le suicide qui consiste à se dédire sur une affaire déjà jugée en faveur de Cissé Technology.
Mais il en fallait sans doute plus pour dissuader la Primature puisqu’elle est revenue à la charge en instruisant aux différents départements concernés par le dossier de franchir le Rubicon suivant : l’annulation pure et simple d’un marché dont la régularité a été confirmée par toutes les autorités habilitées pour le faire au Mali.
Une missive adressée à ce sujet aux deux ministres en charge de la Solidarité et de la Sécurité avance des arguments d’autant fallacieux qu’aucun ne relève une quelconque défaillance du bénéficiaire du marché. Elle évoque plutôt le problème posé par le couplage en termes de différence des normes juridiques applicables à l’identité nationale et à l’AMO, la nécessité de prendre en compte la loi relative aux conditions générales d’exonération postérieure au marché concerné, ou encore la nécessité de préparer une nouvelle loi en adéquation avec le couplage, entre autres.
Faut-il accorder du crédit au chapelet de raisons déroulé par le Premier ministre
Abdoulaye Idrissa Maïga ? En tout cas, le feuilleton évolue vers un épisode si spectaculaire qu’on est en droit de répondre par le négatif.
Sans notification formelle d’un retrait total ou partiel du marché à l’adjudicataire, les hautes autorités viennent d’annoncer les couleurs d’une volonté irréversible de parvenir au découplage par superposition, à travers le lancement d’un autre appel d’offres relatif à l’acquisition d’une nouvelle carte d’Assurance maladie universelle dissociée de l’identité nationale.
-Le honteux tripatouillage
À la différence du marché en rapport avec le couplage, le nouvel appel d’offres ouvert ne s’est point embarrassé de lourdeurs procédurières. En dépit du volume très important de la commande, l’étape du conseil des Ministres est habilement contournée au moyen d’un éclatement qui en dit long sur l’affairisme qui l’entoure. Plusieurs dizaines de milliards de nos francs ont été disloqués avec un talent de chirurgien afin qu’aucun lot ne puisse atteindre le seuil nécessitant un aval du Conseil des ministres. Approchés par nos soins sur le sujet, nombre d’observateurs s’accordent au moins sur une chose : les présomptions d’une ingénierie mercantile aux relents d’un grand partage de gâteau auquel les élections de 2018 ne semblent guère étrangères. À leurs yeux, tout porte à croire que le clientélisme
– qui consiste à mettre des rentiers dans la posture de pouvoir renvoyer l’ascenseur
– a pris le dessus sur le devoir de préserver les ressources publiques.
Difficile en tout cas de s’expliquer autrement des dépenses aussi exorbitantes pour une identification des bénéficiaires de l’AMO qui serait beaucoup moins coûteuse en étant combinée avec l’identité nationale.
Seulement voilà : il semble que les décideurs du jour n’en ont cure, pas plus qu’ils ne se font de souci sur les implications désastreuses d’une annulation unilatérale du marché adjugé à l’entreprise Cissé Technology, qu’elle soit partielle ou totale. Or il se trouve que le représentant exclusif de “Imprimeries
Nationales de France” se prévaut d’importantes dépenses déjà engagées et en passe d’être supportées par le trésor public, qui saigne déjà si abondamment par la faute d’indélicatesses similaires des gouvernants.
Le contribuable malien n’a pas fini de solder ses dettes pour le tort causé aux Établissements Sanké évalué à plusieurs dizaines de milliards suite au retrait unilatéral de on exclusivité sur un certain dépôt de carburant.
Exemple parmi tant d’autres, qui prouve que les marchés publics ne s’accommodent pas toujours de la légèreté affairiste et des artifices grossiers susceptibles d’affecter l’intérêt des usagers et de discréditer l’Etat. Autant de périls qui vont hanter, les autorités actuelles si tant il est que leurs engagements n’ont pas plus de consistance que le support qui en porte la signature.
Abdramane Keita