Lors de la clôture du 4è congrès de l’Union soudanaise du Rassemblement démocratique africain (US-RDA) tenu à Bamako, il prononçait ses derniers mots en public : « Camarades, je vous dis au revoir. Allez au travail, confiants dans les forces du peuple, sûrs que l’avenir est à ceux qui luttent et peinent ». Mais au lieu d’un simple au revoir, c’était plutôt un adieu pour Mamadou Tiéoulé Konaté. Ses dernières paroles obéissaient-elles donc à une prémonition ou à une simple coïncidence ?
Né à Kati, Mamadou Tiéoulé Konaté fut l’élève le plus doué de sa classe. C’est donc tout naturellement qu’il poursuivit ses études à William Ponty. A l’époque, cette prestigieuse école, située sur l’île de Gorée, à Dakar, était l’une des pépinières des premiers leaders politiques africains.
Un sens élevé du devoir
Le 15 septembre 1919, Mamadou T. Konaté sortit de William Ponty comme instituteur et major de sa promotion. Il exerça ainsi la fonction de surveillant général à William Ponty même : une opportunité très rare à l’époque. Mais le nouveau surveillant avait un sens très élevé du devoir. Aussi, un de ses anciens élèves se rappelait du respect, voire de la vénération qu’il inspirait : « Un simple regard de lui suffisait pour assagir les enfants turbulents que nous étions. C’est pourquoi, sans cesse, nous disions : il ne faut pas faire de la peine à Papa Konaté ». Cet ancien élève n’était autre que le premier Président ivoirien, feu Félix Houphouët Boigny.
A partir de 1919, « Papa Konaté » exerça successivement à l’Ecole professionnelle de Bamako, à Diafarabé, à Kolokani, à l’Ecole primaire supérieure de Bamako et à l’Ecole rurale de Bamako Coura dont il sera le directeur jusqu’en 1946. Pendant 27 ans, il formera, certes, des élèves de tous horizons, mais il saura surtout insuffler, aux jeunes instituteurs, le goût et la connaissance de la profession. Il saura également susciter l’estime générale, de par sa grande tendresse. Un jour, on le vit pleurer à chaudes larmes dans sa classe, parce que quelques-uns des élèves avaient été exclus de l’école pour cause d’indiscipline. De Mamadou T. Konaté, il émanait une telle sérénité que durant ses dix ans de vie politique, aucun de ses adversaires n’avait osé le traiter en ennemi, malgré les conflits sociaux de l’époque.
C’est dans son quartier de Bamako Coura qu’il entama son odyssée politique. Ainsi, du matin au soir, la cour de sa famille était remplie de monde, car Mamadou T. Konaté, c’était l’homme sage et dévoué, le conseiller, le réconciliateur des familles et des ménages, le soutien des pauvres et des désemparés.
L’odyssée politique
A la naissance du Mouvement syndical de l’Afrique occidentale française (MS-AOF), les enseignants du Soudan français (actuel Mali) demandèrent à Mamadou T. Konaté de prendre la tête du dit mouvement. C’est ainsi qu’en 1945, il se rendit pour la première fois en France en tant que représentant du Soudan français à une conférence de
A la veille du congrès constitutif du RDA à Bamako en octobre 1946, Mamadou T. Konaté tenta l’impossible pour réaliser l’unité entre les deux entités politiques, mais sans y parvenir. Par ailleurs, l’incompréhension des militants et la répression coloniale avaient fini par transformer son parti en Union soudanaise RDA ». Elu député du Soudan français à l’Assemblée nationale française en novembre 1946, il sera chaque fois réélu jusqu’à sa mort. Les injustices coloniales le poussèrent à étendre son action politique au-delà du cercle des enseignants et de son quartier de Bamako Coura.
Président de l’Union soudanaise, il fut à la fois conseiller de l’AOF, vice-président du comité de coordination du RDA et président du groupe parlementaire RDA. Si bien que de Sikasso à Gao, en passant par Kayes et Mopti, l’Union soudanaise n’était connue que sous le nom de « parti de Konaté ». A l’Assemblée nationale, il s’imposa très vite par son talent d’orateur clairvoyant. Les élections du 2 janvier 1956 consacrèrent la victoire de l’Union soudanaise et le début de cette réconciliation des Soudanais à laquelle Konaté tenait tant. Du coup, il fut élu vice-président de l’Assemblée nationale française…à son insu, car ses amis, craignant qu’il refuse le poste, ne l’informèrent de son élection qu’après coup.
Au cours de ses dix ans de gestion parlementaire, il fut non seulement l’artisan de l’élaboration du Code du travail d’Outre-Mer, mais il participa à tous les débats en faveur de la décolonisation. Grâce à sa force de persuasion, il réussit à désarmer ses adversaires au cours de ses interventions, que ce soit à Bamako, à Dakar ou à Paris.
Un franc- parler et une philosophie
La candeur et la franchise de Mamadou T. Konaté étaient telles qu’il ne comprenait pas qu’on politicien soit incapable d’honorer ses promesses : pour lui, cela est tout simplement impensable. Mamadou T. Konaté était tout aussi friand de rires et de blagues : ce qui était inhérent à son caractère. Aussi retient-on une blague qu’il affectionnait particulièrement : « Au début des temps, Dieu proposa aux hommes de leur donner de l’or et du papier. Les Noirs, s’estimant plus malins, choisissent l’or ; tandis que les Blancs se contentèrent du papier. Mais avec leur papier, les Blancs fabriquèrent de la monnaie et s’approprièrent tout l’or des Noirs. Ceux-ci s’aperçurent alors, mais trop, tard, qu’ils avaient perdu et l’or, et l’argent. Ainsi commença la colonisation ».
Dans le journal « L’Essor », Mamadou T. Konaté relate l’histoire de son portefeuille perdu dans un taxi et ramené par un honnête homme : « Mes amis m’avaient conseillé de faire une déclaration de perte à la police. Mais en bon musulman, j’ai préféré me résigner, estimant inutile la démarche qu’on me suggérait ».
Un linceul comme celui des pauvres
Pendant les derniers jours de sa vie, Mamadou T. Konaté consolait lui-même ses amis en leur demandant de ne pas trop s’occuper de lui, mais de penser plutôt à l’unité et la cohésion du parti. Se sachant condamner par la maladie, il préféra quitter l’hôpital pour se rapprocher des siens. Il dicta lui-même les conditions de ses obsèques et fit faire lui-même acheter son linceul en exigeant que ce soit une étoffe ordinaire, celle des pauvres. Le 11 mai 1956, il rendit l’âme à Bamako Coura.
« Nous sommes tous appelés à mourir. Ce qui ne meurt pas, c’est le pays. Pensez donc au pays ! ». Cette phrase sans cesse répétée au cours de sa vie avait toujours régi l’existence de Mamadou Tiéoulé Konaté. L’une des toutes premières élites politiques africaines venait ainsi de s’éteindre. Mais à ses enfants et petits enfants, elle lègue un précieux héritage : le devoir patriotique dans l’humilité.
Oumar Diawara « Le Viator »