Selon la définition commune que l’on donne de l’Etat, c’est « la portion de sol sur laquelle s’exerce l’autorité d’un gouvernement et où les citoyens sont soumis aux mêmes lois ». Donc le cadre de l’Etat est le territoire national qui à des frontières héritées d’un charcutage de « bouchers économiques » des Etats africains. Les Etats indépendants ont hérité de ce cadre qu’ils défendent souvent au prix même du sang des fils du pays qui se sont engagés dans la défense de la patrie, les soldats.
Les Etats indépendants ont aussi hérité de l’Etat c’est-à-dire l’autorité. Ce n’est plus l’étranger qui exerce la loi mais le fils du pays qui l’exerce. Au moment où celui-ci est investi de ce pouvoir, même s’il est fils du pays, il devient un étranger car il est obligé de faire comme s’il ignorait la réalité socio-économique de son pays : d’où la très grande incompréhension des populations pour la justice des pays indépendants entre autres. Chose tout à fait normale car la colonisation est la suite logique de l’évolution sociopolitique d’un peuple bien déterminé. Elle s’est développée et a développé une politique bien déterminée dans des territoires qu’il s’agissait de ramener au niveau des « autres », « civilisés ».
Ainsi pour cet épanouissement, la colonisation a installé sa fabrique « d’auxiliaire », l’école, dont la méthode d’acquisition du savoir est totalement à l’opposé de la transmission traditionnelle du savoir. En outre l’école devrait justifier la colonisation aux yeux de ceux qui y ont accès. C’est pourquoi pour les apprenants « leurs ancêtres étaient des Gaulois et leur hymne national était la « marseillaise ». L’instruction a amené certains hommes à travers les différents mouvements ouvriers européens à engager des luttes corporatistes pour l’amélioration de leurs conditions de travail. A ces mouvements syndicaux, des leaders ont pris faits et causes en ramenant la revendication au niveau tout simplement social. Les conditions sociales des colonisés : le travail forcé etc. Les « anciens combattants » ces « premières victimes » de l’illusion de justice de nos partenaires ont contribué à montrer l’injustice de l’administration coloniale.
La reforme de cette administration a été à la mesure de sa perspicacité au moment de la lutte pour imposer la colonisation : la division, l’assassinat. Profitant de sa connaissance profonde de la structure sociale du continent africain et de chaque ethnie qui la compose, le colonisateur a utilisé la même méthode souvent l’assassinat pur et simple de celui ne veut pas la compromission, la division des grands ensembles qui peuvent remettre en cause le fondement même du colonialisme. Un exemple édifiant : le Rassemblement Démocratique Africain (R.D.A). Pourquoi aujourd’hui de centaines de partis politiques dans les pays promoteurs de cette unité de vision des premiers leaders politiques de l’Afrique pour le bien –être des populations. L’émiettement des volontés de constructions est la preuve de la perspicacité des colonisateurs et un désaveu de l’intellectualisme dont se prévalent nos leaders africains.
Nous ne nous sommes pas éloignés de notre sujet, l’Etat malien et la culture malienne. Nous avons expliqué le mécanisme par lequel des pièges ont été posés dès le fondement de l’Etat malien ou des états africains postcoloniaux. Cependant, nos premiers leaders ont eu la sagesse et la perspicacité de comprendre que cet Etat n’aurait aucun sens s’il ne s’étendait pas à un ensemble. C’est pourquoi la constitution a prévu « l’abandon partiel ou total au profit d’un ensemble ». Il est inutile de rappeler à nos chefs politiques que cette mention dont nous nous montrons fiers est aussi valable en politique. Malgré les satisfécits à notre démocratie par les bailleurs de fonds, les grandes démocraties, nous savons désormais que ces satisfécits valent ce qu’elles valent car nous, nous nous savons qu’il y a des exclus de notre démocratie : la population analphabète. A ce niveau « l’approche genre » qui doit englober toute la population exclue du système a été focalisée sur la seule féminité, un autre moyen très sure de déstabiliser notre société fondée sur le respect d’un certain principe homme-femme. L’approche genre telle qu’elle est perçue actuellement nous montre une dimension caricaturale de notre société en présentant la femme comme une victime des hommes. Elle ignore qu’elle est dans une société construite sur des principes démocratiques qui excluent 80% des hommes. En effet, un homme analphabète a quel droit ? Nous nous excusons, nous ne voulons pas nous verser dans la polémique sans objet de l’égalité homme-femme. La problématique homme-femme est la conséquence de l’évolution de toute société à un moment où l’instruction n’est pas démocratique.
Nous rappelons à l’attention des uns et des autres les écrits de ce grands dramaturge français, Jean Baptiste Poquelin dit Molière qui a écrit entre autres : « L’école des femmes », « les précieuses ridicules », « les femmes savantes ». Et dans ses écrits nous rappelons les propos de l’un des personnages principaux, Chrysale mari de Philaminte la savante qui renvoie sa servante pour avoir fait une faute de grammaire :
« Il n’est pas bien honnête, et pour beaucoup de causes, »
« Qu’une femme étudie et sache tant de choses »
« Former aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, »
« Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens »
« Et régler la dépense avec économie »
« Doit être son étude et sa philosophie. »
Chrysale, Molière, Les femmes savantes, Acte II, scène VII.
Ce français au XVIIe siècle ne tiendrait pas le même langage au XXIe siècle. Pourquoi ? parce qu’il y a eu des progrès techniques, il y a eu l’éducation, le savoir est devenu accessible à tous et à tous les niveaux.
Nous, nous voulons brader notre société sans nous attaquer au soubassement des maux qui ne sont pas seulement propres à la femme seule mais à un ensemble. Chacun sait la différence entre la ville et la campagne dans les Etats indépendants : la vie économoco-administrative se limite à la seule capitale. En conséquences, les campagnes sont abandonnées et laissées à elles-mêmes et n’existent qu’au moment où il faut faire « campagne ». Ainsi dans la campagne, la différence est globale et dans cette misère sans nom, la seule qui a un rôle social quotidien souffre donc plus. La souffrance n’est pas liée à son genre en tant que femme mais plus à l’autre genre le vrai cette fois-ci qu’elle partage avec son mari « le campagnard », les exclus.
Il faut que nos sœurs qui défendent l’approche genre en se focalisant uniquement sur leur partenaire de même genre sachent que, pour ne pas faire plus de mal que de bien, l’approche genre doit se faire dans une vision globalisante. C’est en alphabétisant tout le monde sans exclusion que nous gagnerons toutes cette bataille contre l’ignorance car, car ce que nous voyons est simplement la conséquence de l’ignorance. Dieu nous a fait complémentaires avec tout cela implique comme humilité et non le folklore que nous voyons aujourd’hui « C’est la femme qui est enfante». Mais pour produire une herbe il faut une graine, une terre et de l’eau. Si la terre et l’eau se dispute la primauté de l’herbe, que doit faire la graine ? la modestie et l’humilité est la solution.
Et notre Etat dans tout cela ? Il n’est pas oublié, nous sommes entrain d’attirer l’attention sur notre approche du développement. Nous ne mettons en cause aucun partenaire. Si bien après avoir décroché des titres universitaires, après avoir vu et bénéficié des bonnes conditions de gouvernances de leur pays de notre séjour à l’étranger, nous nous montrons incapables de faire le choix qui s’impose pour le développement de la société dans laquelle nous sommes nés et qui nous a donné tout ce qu’elle peut. Ce n’est pas à eux de le faire ! nous sommes incapables de demander à la population de participer à son propre développement. Nous refusons de nous faire de bons gestionnaires des ressources qu’elle met à notre disposition. Nous nous montrons capables de décrocher la lune pour elle. Mais avec les moyens de qui ? Nous leur disons « nos amis » ? Comment « les amis » ont-ils les moyens qu’ils nous donnent si généreusement ? C’est la contribution de leur population bien gérée qu’ils nous donnent. Pourquoi voulons-nous qu’ils nous donnent sans contrepartie ? cela ne serait pas juste. Il faut une compensation sinon ils rendront compte chez eux car chez eux n’est pas chez nous. La génération gratuite n’existe pas et ceux qui ont séjourné chez eux le savent bien ! Pourquoi ferment-ils les yeux sur ces vérités ? croient-ils que nous sommes des incapables tant intellectuellement qu’économiquement ? Plusieurs réussites répondent à ces questions par la négative. Donc à eux de nous répondre. Nous ne voulons rien supposer parce que nous ne voulons pas croire qu’ils n’aiment pas leur pays et surtout la population dont ils sont issus. Nous attendons des réponses sur le terrain des réformes concrètes. Voilà le mot réforme ? Selon nous, le sens de ce mot c’est donner une autre forme ? Une nouvelle forme ? Comment cela se fera-t-il par la reformulation de l’ancienne forme qu’est l’Etat colonial ? Ou faut-il adapter l’administration traditionnelle du pouvoir dans notre pays ? Si ce n’est pas une adaptation aux valeurs de notre société, cela veut dire que la reforme de l’Etat va s’accompagner d’une destruction des valeurs sociétales qui s’y opposeront à la reforme.
Ainsi la reforme de l’Etat se fera par une reforme culturelle. Nous voyons une des preuves de cela est la reforme constitutionnelle qui prévoit la suppression du Haut Conseil des Collectivités et le faire remplacer par un Sénat. Pourquoi le Haut conseil doit disparaître ? Il représente l’ensemble des valeurs culturelles du pays dans sa diversité. Les représentants qui ont animé la structure, à force de réclamer un transfert de l’Etat (pouvoir) ont fini par céder à ce que le centralisme réclamait insidieusement (la disparition du Haut conseil).
Plusieurs réformes sont proposées par la constitution révisée, mais celle qui va changer radicalement le fondement même de l’Etat et renvoyer les valeurs sociétales au rang d’un folklorisme de carnaval (ou festival) est bien la disparition du Haut conseil. Il faut une pédagogie de l’état et de la citoyenneté.
Nous ne tirons sur personne car, de nos jours, il suffit de dire « ça ne va pas » pour qu’on dise « En voilà un autre ! » Nous disons que la population est mal informée, mal encadrée, est le travail des partis politiques et ils reçoivent l’aide publique pour cela ; quand un élu (maire) reconnaît publiquement par voie de presse (télévision) dont les maires ne peuvent pas demander à la population de payer l’impôt, cela est grave pour nous et c’est ce qui nous amène à réfléchir sur l’Etat et la culture malienne. L’ « élu » comme le « cadre », tout le monde laisse la population dans l’ignorance. Le maire et tous les élus doivent informer que la constitution stipule que l’un des devoirs du citoyen est de payer sa contribution.
En effet, la culture postcoloniale voit dans le diplômé des grandes écoles occidentales « un blanc » qui lui apporte tout le bonheur en un claquement de doigts. Le diplômé, lui aussi ne fait rien pour dissuader l’analphabète de cette illusion. Les diplômés doivent accepter l’humilité et la modestie de dire que c’est un savoir et un savoir-faire qu’ils ont acquis et qui doit être accompagné par un effort de tous : impôts et taxes du pays. Et il doit se faire le serment de tenir compte de la situation de misère de ses compatriotes pour faire l’effort de ne pas céder à la tentation de la « supériorité » et de s’approprier le bien de tous. Il ne faut pas continuer l’illusion coloniale de tout donner à la population.
Le « cadre » selon la pompeuse appellation coloniale est un gestionnaire de ressources issues de la population et non faiseur de projet pour attirer les bailleurs de fonds. Il faut que la population comprenne que ce que les gens « donnent » est un « crédit » et qu’au cours de l’exploitation du projet réalisé ce sont les exploitants qui payeront des redevances pour assurer le remboursement par l’Etat de ses engagements avec ses partenaires. Si nous commençons par cette pédagogie, beaucoup de réalisations seront bien entretenues car il s’agit d’une créance que tout le monde paiera de père en fils. Donc à ce niveau, les maires et tous les élus, dès le commencement donneront de vraies informations. La population en ce moment accueillera les personnalités non en homme de « providence » mais bien en un de ses fils qui a su « mobiliser » des financements autour d’un projet dont ils paieront le coût par le travail. Les chefs de projet gagneront en efficacité pour le remboursement des échéances. C’est cela transparence et surtout tout le sens de la décentralisation. On ne doit pas opter pour la décentralisation et continuer de jouer à l’Etat-providence. Cette conscience de l’Etat « Providence » ne favorise pas la participation de la population au développement de son pays. Il faut arrêter de jouer à l’important aux yeux de la population et du même coup paralyser toutes les initiatives de développement à la base. Beaucoup de chefs d’état ont appelé cela de façon diverse : participation de la population de base, initiative de base, conscientisation des populations nous en passons…
Toute chose qui invite à une pédagogie de l’Etat-nation. L’Etat-nation doit être appris par la population africaine issue de l’Etat colonial. C’est ce manque de vraies informations qui fait que ce qui devient une chose étrangère et impersonnelle, personne ne s’y retrouve.
Voilà encore le premier chantier sur l’accès au chemin conduisant au développement dans le sens matérialiste non-capitaliste du terme. Pour nous africains lettrés en langue étrangère cela s’appelle yèrè don : yèrè = soi ; don = connaissance. Nous sommes africains colonisés, décolonisés amputés de nos éléments souvent essentiels sous des noms évoquant une histoire que nos vies quotidiennes démettent tous les jours.
Faut-il emprunter le chemin de la vérité ? Ou faut-il se complaire dans l’autosatisfaction au mensonge ? A nous d’y répondre. Et le plus tôt serait le mieux !
Adama Ali KONE