«Le chef le plus radical des irrédentistes touareg du Mali, Ibrahim Ag Bahanga a trouvé la mort dans un accident de la route sur le chemin du retour du front libyen au soir du 26 août dernier». L’information a circulé comme une traînée de poudre dans les casernes et même à travers le monde. Comment a-t-il trouvé la mort ? Où est donc passé son arsenal ? Qui prendra la relève ? Que deviendra sa troupe ? Les questions rivalisent de pertinence.
Une colonne de 20 pick Up chargés d’armes et munitions franchit la frontière malienne en provenance d’Algérie. Nous sommes aux environs de 16 heures. Le cortège est ouvert par une BJ, véhicule d’opération de Ibrahim Ag Bahanga. Ceux qui le connaissent racontent souvent qu’il adore cette marque à cause de sa «docilité» sur les routes ensablées du désert. Ces véhicules lui obéissent comme une épouse à son mari. En conduite, Bahanga est un véritable «AS». Les chemins ? Personne ne connaît mieux le désert que lui. Il roule parfois les yeux fermés et ne se trompe jamais ni de chemin ni de destination.
Ce jour particulièrement, selon nos sources, Bahanga avait pris toutes les dispositions pour que le convoi puisse être le plus discret possible. Ainsi, il est resté accroché à son THURAYA pendant tout le voyage et improvisait des haltes, comme s’il était sous instruction d’un correspondant éclaireur. En territoire algérien, il a réussi à semer les forces de sécurité en se faisant passer pour une patrouille militaire malienne égarée aux frontières. «A Tamanrasset, il a du bénéficier de la couverture de certaines autorités locales pour franchir la frontière», nous raconte une source proche des services de sécurité. Tout au long du trajet, Bahanga redoutait certainement une embuscade soit de l’armée malienne, soit d’un clan rival. Il faut rappeler qu’il voulait avoir une main mise totale sur la mafia du trafic de drogue et des armes.
Selon nos sources, il était accompagné de plusieurs officiers touaregs et tamashek qui combattaient aux côtés de l’armée fidèle à Mouammar Kadhafi et qui prenaient la clé des champs avec armes et bagages, comme l’a reconnu le président ATT lui-même dans un entretien accordé à RFI le week-end dernier.
C’est ainsi donc qu’à seulement quelques encablures de sa traditionnelle Base, Tinzawatin, une grosse explosion stoppa net le convoi. Débandade dans les rangs, les armes crépitent de partout. Les minutes passent, le silence s’installe enfin. La poussière et la fumée enveloppent le ténébreux convoi. Des hommes en armes, accompagnant le terrible Bahanga débarquent de leurs véhicules pour constater les dégâts.
Le sort a été cruel, très cruel. Ibrahim Ag Bahanga est touché à la colonne vertébrale. Son corps sans vie a été extrait des ferrailles de son véhicule. Puis après ? Mystère. Tout le reste appartient aux spéculations. Les premières informations parviennent à l’AFP, donc à RFI qui l’annonce aussitôt sur ses antennes sans aucune précision sur les circonstances.
A Koulouba, ATT est mis au courant par la Direction générale de la sécurité d’Etat. Il reçoit plusieurs appels des différentes Chancelleries et des chefs d’Etat amis. Il n’en est pas ému outre mesure, selon les indiscrets témoins du Palais présidentiel. Pas de communiqué officiel, pas d’explications. Du moins en attendant le rapport de mission de l’Etat Major Spécial qui a dépêché des hommes sur le terrain. Bamako restera muet pendant plus d’une semaine sur la mort de celui qui lui donnait des nuits blanches. A Kidal, le deuil est perceptible. La population pleure la disparition du plus charismatique chef de guerre de tout le Nord. La fête du Ramadan est gâchée.
Bahanga, trahi par son THURAYA
Du rapport de mission des services secrets maliens ou étrangers, il ne faut rien attendre. Celui de l’Etat major spécial restera également un véritable mystère, et pour une éternité. Mais, selon nos sources, la thèse de l’accident est la plus farfelue de toutes celles dégagées par les rapports circonstanciés. Personne ne sait avec exactitude d’où est partie la dépouille mortelle embardée du téméraire Bahanga. De sources très crédibles, nous avons appris qu’il ne s’agit ni d’un accident, ni d’une mine. L’engin de la mort, selon les premiers témoignages, serait apparu devant le cortège comme une étoile filante. Sur la vingtaine de véhicules, «le mystérieux messager» ne s’est «adressé» qu’à celui à bord duquel se trouvait Ibrahim Ag Bahanga, armée d’un téléphone satellitaire et d’une Kalachnikov. Le malheureux véhicule et ses passagers ont été systématiquement calcinés, d’après les premiers constats faits par les autres membres du convoi. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un missile de faible portée. C’est-à-dire des engins de même nature que ceux découverts dans les stocks d’AQMI récemment.
Joint au téléphone, un spécialiste nous a confirmé que ces engins appartiennent aux stocks pillés en Libye par les mercenaires qui peuvent abattre n’importe quel avion à 30000 m d’altitude. La nature et les spécificités de ces armes et munitions appartiennent aux exégètes en la matière. Le plus important reste à savoir. Qui a fait usage d’une telle arme pour tuer Bahanga ? Pourquoi a-t-il été tué ?
Il ressort de nos enquêtes que Bahanga faisait l’objet de plusieurs types de menaces. D’abord, de son frère et ancien compagnon d’arme reconverti par les services secrets maliens, Deyti Ould Sidimo, élu député à Tessalit dont il défiait l’autorité. Ce dernier a d’ailleurs disparu dans la nature, se débarrassant de son écharpe d’élu de la Nation, pour enfiler le treillis avec une Kalache en bandoulière. Entre les deux hommes qui se disputent depuis très longtemps les couloirs de la drogue et des armes, rien n’allait plus. Deyti est installé en territoire algérien d’où est passé le convoi de Bahanga. Or, Bahanga est un pur produit libyen. Même si les deux hommes ont tous servi Kadhafi pendant la guerre en matière de recrutement de combattants mercenaires touareg, il se fait qu’ils sont divergents dans le partage des biens et privilèges. Il fallait donc que l’un des deux soit éliminé. La règle en la matière est implacable. Bahanga a donc mordu la terre.
Ensuite, Bahanga n’avait pas cessé ces derniers temps d’accuser le Mali et les pays européens, s’en prenant à AQMI, comme étant un lâche Mouvement qui ne vit que de subsides issus des prises d’otages. De la même manière dont Kadhafi traitait AQMI et la France.
Son retour à la base n’était pas vu d’un bon œil ni par l’Elysée ni par Koulouba, encore moins par AQMI qui y avait tout à perdre.
Selon certaines informations qui nous sont parvenues, le convoi de Bahanga avait été pris en charge par les services secrets français qui n’excluaient pas que Mouammar Kadhafi puisse se retrouver à bord du véhicule qui émettait des signaux.
Or, selon les forces en opération de l’OTAN, tout signal intercepté par satellite qui ne serait pas identifié comme étant de leurs unités où de celles du CNT était considéré comme un poste de commandement de Kadhafi. Et deux jours avant, la famille du Guide libyen avait réussi à s’échapper du contrôle des services secrets français pour se refugier en Algérie. Ceci a été perçu comme un scandale dans les ténébreux bureaux de la DGSE et de la DST à Paris. Certains agents en ont même eu sur leur grade, car ils ont été purement et simplement démobilisés pour faute professionnelle grave. Le nouveau dispositif mis en place, qui n’a pour mission que de localiser et capturer Kadhafi et son fils agitateur Saif Islam, ne veut rien laisser au hasard. La DST française qui a déployé des forces spéciales aux frontières algéro-libyenne, et algéro-malienne, ont-ls fait usage de leur moyen pour détruire par bavure (admissible) les véhicules de Bahanga ? Personne ne veut en parler. Du moins pour l’instant.
A Bamako, les autorités sont catégoriques : «La mort de Bahanga est un accident !» Le ton est martial certes, mais personne ne se laisse divertir par les volubiles explications des officiels maliens. Mais, dans les casernes, les soldats ont sabré le champagne et parmi eux, certains ex-otages et mutilés de l’homme qui vient d’être tué.
Au Ministère de la Défense, on se refuse à croire que la mort de Bahanga signifie la fin de l’irrédentisme touareg. Ici, on sait bien que les officiers touareg qui ont combattu aux côtés de Kadhafi, ne sont pas des enfants de chœur. Ils ont débarqué avec des armes les plus redoutables et de l’argent qu’il faut pour faire la guérilla pendant encore de longues années.
Bahanga devait être anéanti à tout prix
Il faut se rappeler que Ibrahim Ag Bahanga dirigeait une rébellion qui avait attaqué en mai 2006 les garnisons de Kidal et de Ménaka (région de Gao), pour de très obscurs motifs. Le Gouvernement du Mali a dû négocier après avoir perdu hommes et argent. Ainsi, des accords de paix ont été signés entre les deux parties, sous l’égide de l’Algérie, pour amorcer le développement du Nord-Mali.
A la tête d’un groupe de radicaux, il avait ensuite violé les accords, s’adonnant à des attaques et enlèvements par moments dans la région de Kidal. Traqué par l’armée régulière malienne, il s’était par la suite exilé en Libye pendant deux ans où il préparait une éventuelle reprise des hostilités. Bahanga avait procédé au recrutement de jeunes combattants et s’apprêtait d’abord à attaquer la ville de Kidal, tout fier de son arsenal acquis sur le front libyen. Or, on sait que c’est dans cette zone que le Gouvernement du Mali a réussi à négocier avec les partenaires au développement le financement du développement et de la sécurité. Les premiers 11 milliards sont déjà mobilisés et les chantiers ont déjà démarré, même si quelques résistances apparaissent par endroits. Bahanga et ses hommes savaient que le PSPSDN de Mohamed Ag Erlaf, est juteux, et ils voulaient à tout prix «prendre» leur part du gâteau.
Il revenait au Gouvernement du Mali et à ses partenaires de mettre les bouchées doubles pour éviter tout embrasement de cette partie de notre pays. Ceux qui s’opposeraient au PSPSDN devraient «périr» d’une manière ou d’une autre. Acciden-tellement ? Par mine-explosion ou par missile-envoyé ? Bahanga n’échappait pas à la règle.
Abdoulaye NIANGALY