Les semaines de la Jeunesse et les Biennales du Mali (de Bamako 1962 à Mopti 2012)

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    Si les semaines de la Jeunesse et les Biennales n’avaient pas existé il aurait fallu les inventer. Heureusement que les grands événements culturels naissent de la rencontre des dirigeants de génie et des peuples créateurs. Tel qu’au Mali. Le Mali qui fêtera en 2012, le cinquantenaire du premier grand rassemblement artistique de sa jeunesse tenu à Bamako en juillet 1962.

    I.Les semaines nationales de la Jeunesse (1962-1968) ou la métamorphose d’un rêve
    La République du Mali avait deux ans avec 3 millions d’habitants. Notre peuple venait de loin, ce peuple bâtisseur d’empires, après 60 ans d’exil intérieur et extérieur sous la domination coloniale. Il revenait de loin, avec dans ses bras, les fleurs fanées de ses rêves en lambeaux.

    Mais les fleurs, dit-on, ne meurent jamais tout à fait.

    La Semaine de la Jeunesse, une école de courage et de loyauté
     Deux mots magiques, mis côte à côte, comme deux silex se frottant  rallumèrent dans le ciel de juillet 1962 un feu prométhéen. Un arc-en-ciel d’espérance sur un souffle juvénile naquit, propice à l’éclosion des expressions plurielles, annonçant aux continents du monde l’aube d’un départ nouveau. La semaine de la jeunesse était portée dans les fonts baptismaux à Bamako, la capitale du Mali.

    La métamorphose d’un rêve
    Fruit du génie du peuple malien la semaine de la jeunesse  est l’aboutissement d’une longue histoire, initiée dès les premières années par des cadres à l’audace éclairée autour de Moussa Dadi Kéïta. Haut Commissaire de la jeunesse pour relever des défis auxquels l’Etat socialiste du Président Modibo Kéïta était confronté.

    La mobilisation était totale dans les chantiers de la vie nouvelle où les ouvriers maliens et ceux des démocraties populaires d’Europe et d’Asie travaillaient ensemble d’arrache pied pour la défaite du sous-développement. Les priorités étaient planifiées et respectées dans leurs délai sd’exécution.

    La réflexion  précédait l’action et l’action nourrissait l’action

    La création artistique prise en charge et les thèmes définis par l’organe du parti chargé de la culture et de la jeunesse. Celui-ci tenait à outiller la génération montante selon les exigences de la révolution active et l’option socialiste du Mali.

    Parmi les objectifs soumis à une commission de censure, on pouvait retenir :

    La compétition des jeunes pour fixer, moderniser et actualiser les valeurs dynamiques du Mali,

    –  L’éducation politique et civique pour la promotion du sens de la solidarité, facteur d’un développement économique et social. Concernant le mode de financement, l’état intervenait à travers le chef d’arrondissement, le commandant de cercle, le gouverneur de région et le gouvernement. Quant aux conditions de participation et d’encadrement, elles regroupaient les troupes étatiques qui recevaient les trois premiers prix de chaque discipline. Le jury, respectueux de l’éthique recommandée, supervisait les mini-semaines, la semaine locale, la semaine régionale et la semaine nationale.

    Les textes des disciplines de compétition étaient envoyés au Haut Commissariat à la Jeunesse bien avant la date du démarrage fixée le 1er samedi du mois de juillet.

    Ainsi l’US-RDA s’assignait les missions suivantes :
    -Faire de la jeunesse le fer de lance de la nation,
    -Poser les problèmes urgents capables d’entraver la marche vers le progrès,
    -Faire de la culture le ciment de la nation,
    -Perfectionner les techniques d’expression dans les matières en compétitions :

    a)    Les arts chorégraphiques : le ballet, la danse traditionnelle

    b)    Les arts lyriques : le chœur, le solo de chant, les morceaux d’orchestres, l’ensemble instrumental,

    c)    Les arts dramatiques : la mise en scène, la dramaturge, le jeu, la régie, les costumes, les accessoires

    Les compétitions visaient entre autres  :
    – la réalisation de l’idéal unitaire de la nation à travers sa jeunesse. Le brassage par des rencontres artistiques et culturelles des filles et des fils d’un même pays sur un espace de saines émulations.

    – La perfection des techniques de créations artistiques

    – L’application des programmes à court, moyen et long terme liés au renforcement des talents, à la sauvegarde du patrimoine des semaines, aux conditions de l’intégration de la culture comme l’épine dorsale du développement et facteur de renforcement, de la paix et de l’unité en Afrique. Ces messages étaient véhiculés par le truchement des créations : Pièces dramatiques riches en innovations dans le style, l’intrigue et l’argumentation. Jeux de comédiens ouverts à la perfection. Chorégraphie et musique puisant dans la sève nourricière des valeurs du terroir et fidèles à l’esthétique africaine  et aux canons de la beauté universelle.

    Le théâtre, le ballet, la danse traditionnelle, l’ensemble instrumental, le chœur, le solo de chant, des morceaux d’orchestres constitueront des terrains privilégiés où l’art du futur prendra forme à travers les prismes du passé et du présent.
    Ainsi les semaines de la jeunesse serant un haut lieu d’encadrement  renforceront le rôle de l’école, de la famille et lutteront contre les effets pervers de la rue, la déperdition des mœurs.

    Elles seront des manifestations populaires où la langue et le langage artistique tentera, à travers des symboles et des modèles, des repères et des références, de créer l’harmonie entre l’être social et la conscience sociale. Elles préviendront les crises , les conflits entre tradition et modernité, le choc des idéologies et des visions frileuses. Voilà pourquoi les semaines ne seront ni tout à fait les mêmes, ni tout à fait autres.
    Comme cela se dit : sans la pratique, la théorie est stérile et sans la théorie, la pratique est aveugle. Et quelle que soit notre connaissance, rien ne nous reste acquis que ce que nous avons mis en pratique.

    Brisant les chaines de la domination étrangère, le Mali s’ouvrit au développement tous azimuts. Les sociétés et entreprises d’état essaimèrent le pays. L’éducation sans complaisance fit son toilettage. Les bases de l’industrie lourde virent le jour avec la cimenterie de Diamou. Des cités ouvrières apparurent dans le paysage du renouveau. Un code de la famille sera adopté.

    Toutes les facettes de la vie malienne verront leurs reflets dans les créations des Semaines, des hameaux aux villages, des bourgades aux villes. Au terme d’un long cheminement les productions étaient acheminées vers Bamako devant l’Etat malien et les délégations amies venues d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique.

    Les autorités de la première République mettront tous les moyens possibles à la disposition de la jeunesse pour qu’elle passe au vitriol, lors de sa semaine nationale, les pesanteurs qui freinent la marche du pays. L’absence d’infrastructure n’affectera pas l’engouement du peuple pour sa fête de vérité, une fête qui marquera l’homme malien d’un seau patriotique indéfectible. Les compétitions étaient si serrées que le public comparait les classements à des examens de passage pour des gouverneurs de régions.

    A ce titre, on peut affirmer que les semaines ont doté les jeunes d’un ancrage politique. Elles ont soudé à la racine les générations montantes du Mali, de Kidal à Bamako et de Kayes à Sikasso. En contact dans les internats, s’appréciant sur la scène, elles apprenaient à se connaître, à sympathiser, à lier amitié, à se sentir appelés pour le même combat, celui de la devise du Mali : Un Peuple, Un But, Une Foi. Incontestablement, les semaines ont forgé dans les jeunes l’esprit du citoyen conscient et responsable. Elles ont fait rencontrer le peuple avec lui-même, avec sa mémoire historique, identitaire et communautaire. Elles lui ont fait découvrir son histoire, sa culture dans sa diversité et son unité. Elles l’ont armé contre ses propres faiblesses et renforcé son image de leadership dans la géo-politique africaine, au sein des non-alignés. Elles l’ont doté de vertus et de principes inoxidables dans le concert des nations. Pour le Président Modibo Kéïta, la liberté, n’était pas un point de départ, mais un point d’arrivée. C’est pourquoi les semaines ont fait naître dans les cœurs l’espoir et le rêve, le sentiment de justice et d’équité, le sens de l’honneur et de la dignité et aussi l’ambition de se transcender au nom de la souveraineté du Mali. Rappelons que les semaines se tenaient quand notre pays ne comprenait que six régions et qu’elle s’inscrivait dans la ligne idéologique de l’US-RDA qui avait opté pour l’édification d’une société mettant l’homme au début et à la fin de tout progrès. Les préoccupations de la jeune République et des peuples en lutte pour un meilleur devenir se reflétaient dans les œuvres des semaines où la jeunesse écrivait une nouvelle page dans l’Histoire contemporaine. Souvenons-nous de la pièce présentée en 1962 par Kayes " Nous avons résisté à l’envahisseur " écrite par Yaya Kane, enseignant, professeur d’anglais. D’inspiration historique, l’œuvre prophétise l’avènement de l’OUA. L’organisation verra le jour en 1963. De quoi parlait-elle ? Le chef des Toucouleurs, Amadou Tall, régnant sur le royaume du Macina est agressé par Archinard. Amadou lance un appel à tous les résistants du Soudan dont Samory et Tiéba afin de prévenir la conquête. L’avance n’est pas entendue. El hadj Omar, le visionnaire fera comprendre à son fils que la domination étrangère ne durera pas au Soudan et que les Peuples Africains réaliseront leur Unité.

    Les héros de cette pièce, tout comme Alboury N’Diaye du Dioloff seront des personnages atypiques, des héros de transition. Ils règneront mais ne domineront pas leurs époques. Ces guides d’homme, selon Jean Duvignaud sont les plus marquants du théâtre. L’œuvre de Yaya Kane est une profonde réflexion philosophique sur une vaste toile de fond historique. Elle est, pour reprendre Jean Itortel, chose située dans un contexte qui la conditionne et cette politique d’unité africaine si chère au peuple malien. Kayes a eu de même présenter en 1968 une œuvre pleine de colère : " le verdict du Peuple " où sont passés au crible les grippes-sous, les cadres véreux qui cassent le sucre sur le dos du peuple.

    Parmi les pièces des Semaines, nous citerons volontairement " Tempête à l’Aube " de Bamako présentée en 1966 et qui eut une très grande résonance.

    Le problème du pouvoir y est posé dans toute son acuité. Cette pièce n’est pas une accusation, mais une mise en garde. Avec l’avènement de l’armée dans la vie politique de plusieurs pays du monde, l’on réalise aujourd’hui que la gestion des affaires publiques n’est pas un domaine réservé aux seuls civils. Des officiers président aux destinées de nombreux Etats. Par contre, si le pouvoir militaire ne compte pas avec les intérêts de son peuple, le jeu de la démocratie s’en trouve affectée. Tel est le cas dans " Tempête à l’aube ".

    Dans un Etat qui ne figure sur aucune carte du monde, un journaliste formé en Bulgarie du nom de Koman lutte dans le maquis à la tête d’intellectuels de même opinion pour libérer sa patrie tombée aux mains du pouvoir de terroristes caractérisés par des exécutions sommaires.

    La mère et la fiancée du héros sont prises en otages, Koman ne se rendant pas, elles sont passées aux armes. L’insurrection s’embrase et la dictature est renversée. Un gouvernement populaire est instauré. " Tempête à l’aube " a introduit le thème de la problématique du pouvoir dans notre théâtre moderne. L’œuvre était surtout moralisante. En plein spectacle dans la salle, la mère de l’acteur principal éclate en sanglots lorsque sur scène, elle vit son fils mitraillé et le sang jaillir de sa bouche. Ebranlée par les effets de trucage, elle crie en courant  vers le plateau. Le héros, comme un personnage de la Commedia dell arte, sut improviser une autre scène pour rassurer sa mère qu’il n’était pas mort.
    Koman, de par sa force de volonté, son amour profond pour son peuple donne à cette œuvre une dimension nouvelle aux créations artistiques des semaines. La pièce fera le tour du Mali, marquant ainsi par son message, une date dans la vie culturelle revigorée par la jeunesse.

    D’autres pièces dramatiques se feront remarquer.
    "Le parti, c’est nous qui l’avons créé " (Sikasso 1966). Le monde rural (1964) et " A qui la faute ? (1965) " de Ségou. " L’exode rural "  (1964), le masque tombe (1968) de Mopti, etc…

    Les créations de la semaine ont engagé l’art scénique malien vers un réalisme critique.

    Les semaines de la jeunesse ont réussi leur mission affiliée à une vision politique précise, au service d’un modèle de société à bâtir. Elles visaient l’intégration, l’illustration et la défense de notre culture. Elles ont contribué à réaliser ces objectifs grâce aux ressources nécessaires mises à leur disposition par tous les départements ministériels. Ces rencontres ne visaient pas à générer des bénéfices financiers, mais à bâtir la conscience de la jeunesse pour les préparer à bâtir le pays, quand viendra son tour.

    Si la première république n’a vécu que 8 ans, elle a eu le mérite d’affirmer notre culture dans la communauté des nations souveraines. Elle a ouvert des écoles de formation dont l’Institut National des Arts et accordé à des jeunes des bourses d’études pour des spécialisations dans des établissements du monde. Elle a créé des formations nationales qui ont sillonné les cinq continents. Mais par un manque de suivi, les œuvres primées n’ont pu être éditées ou diffusées. Tant de banques de données qui gagneraient à être revues et numérisées, pour les tirer de l’oubli.               

    A suivre
    Pr Gaoussou DIAWARA

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