Depuis les dernières élections municipales, la commune de Diora, aussi paradoxal que cela puisse paraître, s’est dotée d’un maire « illettré » (il n’a jamais fait une journée d’école, le peu de français baragouiné a été acquis sur le tas) ; d’un « déchet scolaire » comme maire-adjoint (de ceux qui sont les plus dangereux pour les mondes ruraux, aigris qu’ils sont, face à ceux qui ont eu un cursus un tant soit peu abouti) ; d’un « repris de justice » comme Secrétaire Général de mairie (on se demande par quel mécanisme « douteux » ce professeur d’enseignement secondaire s’est retrouvé là, à sa sortie de prison) ; d’un « renvoyé de l’enseignement communautaire » comme régisseur des recettes ; et puis …et puis… !
Il faudrait parler du Conseil communal et des autres travailleurs de la commune ! A quoi bon ? Il faut quand même faire remarquer que le « fameux régisseur de recettes » et le « fameux Secrétaire Général » sont une « création » très personnelle de l’ancien maire à qui je me rappelle avoir dit un jour : « Monsieur le maire, malgré votre niveau appréciable d’études supérieures (il était pharmacien de formation), si vous ne changez pas votre manière chaotique de gérer cette commune, vous pourrez faire votre deuil d’un second mandat ! » Il s’est donc fait larguer aux dernières communales. Comme quoi, ce n’est pas seulement le niveau d’études qui fait un « bon maire », même si… ! » A ce niveau élémentaire de la configuration actuelle de la commune de Diora, on peut se demander comment cela a été possible ?
1) En ce XXIème siècle commençant, je n’ai rien contre « l’illettré », mais, j’ai tout contre « l’illettrisme » ! Mais, la question de fond est celle-ci : Comment les habitants de la commune rurale de Diora en sont-ils arrivés à élire un maire « illettré » après l’expérience calamiteuse d’un premier maire (enseignant du fondamental de son état) et d’un second maire (pharmacien de formation), étant entendu qu’aucun des deux n’a pu briguer un second mandat ? Ceux qui ont pensé que ce sont les « intellectuels » (ce concept étant pris ici dans son sens littéral, ceux qui ont fait des études) qui sauveraient les mondes ruraux maliens avec la décentralisation, en sont pour leurs frais ! Beaucoup de ces « nouveaux maîtres » ont simplement endossé les vieux haillons de la colonialité, vivant la politique et plus spécialement la décentralisation comme un droit de « cuissage » sur les populations rurales. Il n’est donc pas étonnant que ces populations rurales aux « savoirs locaux » très futés aient parfois préféré reporter leurs voix sur des personnes du « cru », des illettrés comme eux, agriculteurs ou éleveurs sans autre assise que « l’identité rurale » !
2) Malheureusement dans l’espace de la représentation, « l’identité commune » n’est pas toujours la panacée ! Quand vous avez, comme à Diora, un maire illettré et un Secrétaire Général de mairie quasi-universitaire sans scrupules, vous assistez à une domination symbolique de l’élu local par le fonctionnaire. C’est ainsi que le 22 septembre 2010, nous avons assisté à Diora à une rocambolesque célébration du cinquantenaire de l’indépendance du Mali. Le maire étant « illettré », et les autres travailleurs de la mairie ne pouvant se prévaloir d’une culture suffisante, c’est le Secrétaire général qui lui a « pondu » un discours dans un français « grandiloquent ». Et comme il n’avait pas eu le temps de s’approprier le texte (un quart d’heure avant l’ouverture des cérémonies, la secrétaire en était encore à le dactylographier), le pauvre maire est venu « ânonner quelque chose » qui faisait sens au français sans parvenir à s’y réduire véritablement ! Situation ubuesque où un maire illettré, au lieu de faire son discours en bamanan (langue qu’il maîtrise mieux) a été symboliquement obligé de s’humilier.
En effet, on relève dans cette situation le désir délibéré du secrétaire général de la mairie de : a) d’humilier publiquement le maire (« Ah vous voyez bien, votre maire n’est pas à la hauteur, il ne connait pas le français ! ») ; b) de justifier sa confiscation de la parole pendant toute la cérémonie dans une péroraison outrancière et dangereuse pour la paix et la cohésion de la commune (« Vous voyez bien que je suis obligé de parler en lieu et place du maire, c’est moi qui suis la référence dans cette mairie, je suis le plus « cultivé… », je maîtrise et, le français et le boré »). J’ai été outré et indigné par l’arrogance de ce secrétaire général qui, dans une boré et un français « ampoulés » s’est permis de parler en lieu et place du maire, fustigeant les mauvais « payeurs d’impôts et de taxes» qu’il a d’ailleurs « privés du repas communautaire ». Mais, sachons raison garder, arrogance et manque de scrupules ont toujours été de paire !
Juste avant les fêtes de Noël et de fin d’année 2010, c’est le moment qu’a choisi la « mairie » de Diora pour essayer de récupérer enfin les impayés de l’impôt de capitation et autres taxes qui s’étaient accumulés depuis des années ! Qui a eu l’initiative du temps et des procédures (qui n’avaient rien à envier aux méthodes brutales et humiliantes connues sous la « coloniale » et les régimes prédateurs en Afrique) ? Comment peut-on aujourd’hui, dans une commune rurale du Mali du XXIème siècle, en arriver à humilier des agriculteurs et autres éleveurs, sous prétexte qu’on veut récupérer des arriérés d’impôts ? Il y a un certain nombre de pratiques vexatoires que nous croyions enterrées avec la « mort » de la colonisation et des dictatures, et voilà qu’elles ressuscitent çà et là, surtout dans les contrées éloignées où « l’œil du Mali » ne veille pas ! A ce second niveau de « pratique de la décentralisation » on devrait pouvoir poser un certain nombre de questions fortes et peut-être accepter des remises en question :
1) Comment cela est-il possible que les « tyranneaux de brousse » (sous la colonisation) et les « roitelets de brousse » (sous les deux premières Républiques du Mali) aient été remplacés purement et simplement par de « nouveaux tyranneaux et roitelets de brousse » (en régime de décentralisation) dans certaines de nos communes ? Je le disais déjà dans le numéro 3443 des Echos du 16 mars 2010, p.5, qu’après avoir subi la « colonialité » comme espace de la démesure de la violence politique, les Buwa (et d’autres), depuis les indépendances, n’ont connu que des régimes autoritaires cousus de ponction et de corvées, alors qu’ils avaient espéré du répit avec les indépendances. Malheureusement, dans beaucoup de nos communes (rurales et mêmes urbaines), élus locaux, administrateurs et fonctionnaires locaux (parfois du « cru »), vivent leur mandat en « nouveaux maîtres » avec, en lame de fond les prédations de toutes sortes. Ousmane Sy dans son « Reconstruire l’Afrique, Vers une nouvelle gouvernance fondée sur les dynamiques locales » (Jamana/Charles Léopold Mayer, 2009, p. 161-198), avance avec beaucoup d’optimisme que pour résoudre l’équation infernale de la paupérisation croissante des populations, les conflits en Afrique, qu’il faudrait recourir à trois (3) réformes structurelles majeures dont la sœur aînée serait : la décentralisation de la gestion publique pour impliquer la majorité de la population dans l’effort de construction du développement (p. 161). Soit ! Mais encore ! Au Mali, la décentralisation est là depuis bientôt quelques décennies, on espérait l’émergence d’un « Mali nouveau », d’un « Mali pluriel, mais uni », la création d’une « administration ayant le souci de rendre compte aux populations et ne se comportant plus comme l’administration de conquête et d’occupation à laquelle elle avait succédé. » (p. 93-94). Malheureusement, le « Mali nouveau n’est pas encore arrivé » et l’administration décentralisée ressemble encore drôlement, à quelques exceptions près, à celle décriée sous la colonisation et sous les régimes autocratiques passés ! Comment cela a-t-il été possible ?
2) Gérer plus de 700 communes n’est pas une sinécure ! Il faut peut-être s’avouer, qu’aujourd’hui, le Ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales est passablement dépassé par les multiples problèmes où piétinent de multiples communes (aussi bien rurales qu’urbaines). Aurait-on pu faire autrement depuis la mise en œuvre de la décentralisation ? Selon monsieur Sy, « …malgré plusieurs décennies de souveraineté nationale, la création d’entités administratives de base dotées d’une autonomie et gérées par des organes élus sur tout le territoire malien a paru être un défi insurmontable. Les grands experts internationaux et autres spécialistes renommés de la décentralisation dans le monde nous conseillaient de procéder par expérimentation, à l’image de celles que l’on fait dans la recherche scientifique…, mettre en place des « communes-tests » sur une partie du territoire, d’essayer d’analyser les risques, les avantages et les inconvénients avant de tirer un bilan et, le cas échéant, d’élargir progressivement à l’ensemble du territoire…Nous avons fermement rejeté cette approche parce que, politiquement elle n’était pas admissible. La liberté d’administrer étant un droit reconnu à toutes les collectivités dans notre Constitution, il était hors de question pour nous d’expérimenter avant d’en faire bénéficier – éventuellement – ses destinataires naturels. » (p.111). Et pourtant !…Dans la forêt » (jungle) des 700 et quelques communes érigées, combien « marchent » réellement ? En effet, dans son argumentaire pour justifier le refus de la « Mission » d’y aller par étape, il a avancé cet argument politique (qui ne tient peut-être pas la route) que la Constitution reconnaît la liberté à tous les Maliens de s’administrer ! Or, ceux qui conseillaient d’y aller par étape en passant par la « phase-test » ne niaient nullement cette disposition constitutionnelle !
Ils pensaient qu’une « phase-test » pouvait permettre de relever nos limites, dérapages possibles et tout ce qui ressemble à ce qu’on voit aujourd’hui dans nombre de communes, comme à Diora ! Nous sommes tous d’accord aujourd’hui que la décentralisation a été menée à la hussarde, les GREM et autres GLEM (Groupes Régionaux et Locaux de Réflexion et de Mobilisation) ont fait ce qu’ils ont pu là où ils ont fait quelque chose ! Ces étapes essentielles pour la compréhension de la décentralisation à la base auraient dû prendre des années et des années, (combien ? Je ne sais pas) dans le contexte qui est le nôtre (gavé de culture coloniale et autocratique, d’illettrisme dominant, et de multiculturalité…). Les aspects sociaux, culturels, économiques, bref, humains tout court ( la conversion des mentalités des administrateurs, fonctionnaires et administrés) ont-ils été suffisamment pris en compte ? Nous avons la triste impression que beaucoup de communes (dans les mondes ruraux en tout cas) sont laissées à elles-mêmes ou laissées « aux bons soins » d’élus locaux (mal élus) et de fonctionnaires (mal cooptés) qui les rackettent à qui mieux mieux ! Et pourtant, il y a quelque part des procédures de contrôle de la gestion des maires et autres fonctionnaires communaux, mais, qui, peut-être, ne fonctionnent pas !
Dans Etats, Eglises et Société, Les Buwa, les mécanismes oubliés d’une marginalisation (Edim, 2007, p.26), je prophétisais déjà, (mauvaise augure ?) que « la mal-formation politique, les querelles de chapelles, le dénuement matériel et culturel sont les maux où piétinent les communes du pays bo, communes dont la plupart imploseront ou disparaitront purement et simplement dans l’indifférence générale. » Je concluais en ces termes, que « la communalisation actuelle, à terme, pourrait déboucher en pays bo sur la « clochardisation » de certaines communes. » Je ne pensais peut-être pas si bien dire ! Deux vecteurs essentiels sont à la source des maux qui « tuent » les communes dans le cercle de Tominian et ailleurs peut-être :
1) Le vecteur politique : l’égoïsme proverbial des hommes et femmes politiques buwa n’est plus à démontrer ! J’ai égratigné ce trait de caractère dans Etats, Eglises et Société (Edim, Bamako, 2007) sans l’avoir approfondi. L’incompétence avérée doublée de cette approche de la chose politique que Jean-François Bayard nomme la « politique du ventre », voilà ce qui tue la politique dans cette région. Presque tous et toutes ne pensent qu’à leur « ventre » et c’est cette « nécrose » qui justifie les alliances, les trahisons, les alignements (non alignés), l’achat des consciences (pour un peu de dolo, une promesse non tenue, une once de sucre, etc.). Il faut être sérieux ! Tant que les candidatures aux communales ne seront que « partisanes » et non aussi « indépendantes », bien de communes seront victimes de maires parachutés (incompétents) et de conseils communaux sans légitimité (en perpétuelle crise).
2) Le retour des « vrais faux lettrés » dans leur province d’origine comme fonctionnaires communaux : Souvent, ayant échoué ailleurs, pour des raisons et d’autres, ils retournent aux sources pour se « refaire la main ». Beaucoup de communes rurales devraient se méfier de ces « migrants économiques » plus « chercheurs d’argent » que « travailleurs communaux ». Habillés d’un petit « vernis de culture », habitués aux multiples « traficotages » hérités de la gouvernance coloniale et postcoloniale, ils rackettent et rançonnent les populations rurales, assurés d’une certaine impunité.
Qui devrait éduquer les populations et leur faire prendre conscience que le processus de la décentralisation devrait aider à l’émergence d’élus locaux de proximité et élargir la base démocratique de l’exercice du pouvoir d’Etat ? Qui devrait aider nos populations rurales à prendre conscience que la décentralisation doit être un levier possible pour la promotion du développement local et de dynamisation des économies locales (Ousmane Sy, 2009 : 110) ? Evidemment ce sont les politiques et les fonctionnaires ! Et là, le « serpent se mord la queue » et la boucle est bouclée ! On est transporté d’enthousiasme lorsqu’on appréhende la décentralisation malienne à travers les documents (les divers documents de la MDD et Ousmane Sy, 2009 et bien d’autres), malheureusement, la réalité est parfois et souvent bien autre ! C’est pourquoi, j’ai toujours pensé qu’on aurait pu y aller très graduellement et qu’il faudrait, de la part de qui de droit, aller voir de temps en temps, dans les communes rurales comment les choses se passent ! A quoi cela sert-il d’avoir créé des centaines de communes si à la vérité, en terme de gouvernance, nous (continuons) et/ ou faisons un retour à la « colonialité » ? Il n’est pas trop tard, il suffit d’analyser de relever les risques, inconvénients et autres insuffisances et d’apporter des correctifs…
Encadré
La commune de Diora créée avec l’avènement de la décentralisation regroupe 17 villages, que je ne me permettrai pas de citer ici. Située au sud du Cercle de Tominian, elle est limitée au Sud et Sud-Est par les communes de Koumbia et de Mafouné ; à l’Est par la commune de Mandiakuy ; à l’Ouest par la commune de Waki (cercle de San). Elle est distante de Tominian, chef-lieu de Cercle, d’environ 70 km. Peuplée de près de 15 590 habitants (DRPSIAP, 2007) dont 7 938 hommes et 7 652 femmes. Cette population est constituée majoritairement de Buwa vivant en parfaite harmonie avec des Minyanka, et des Peulh. Les religions dominantes sont le christianisme, la religion dite traditionnelle et l’islam.
En termes d’infrastructures, on compte, deux (2) premiers cycles publics ; un (1) premier cycle privé catholique ; un (1) second cycle public ; un (1) second cycle privé catholique (démarrant en octobre 2010) ; six (6) écoles communautaires ; deux (2) CSCOM (Diora et Touba). L’économie de la commune est basée sur l’agriculture de subsistance, l’élevage, l’artisanat et l’exploitation des produits de cueillette. Les principales cultures sont : le mil (Pennisetum spicatum), le fonio (Paspalum longiflorum) ; (cultures vivrières), l’arachide (Arachis hypogea), le sésame (sesamum indicum) et le coton (Gossypium sp) (cultures de rente). Quant à l’élevage, il porte sur celui des moutons, chèvres, ânes, bœufs, volailles et porcs. Il faut noter que la culture de ces céréales et l’élevage de ces animaux sont pratiqués aussi bien par les hommes que par les femmes et que l’élevage des porcs au contraire est pratiqué essentiellement par les femmes. L’exploitation forestière basée sur la cueillette des fruits du karité (Bassia parkii), le néré (Parkia biglobosa), baobab (Adansonia digitata), tamarinier (Tamaris indica), le « prunier sauvage » (Pourpatia birrea), le raisinier (Lannea microcarpia) est pratiquée par les femmes. Cette exploitation en général et en particulier celle des fruits de karité constitue une source de revenu non négligeable. Ces fruits constituent aussi un appoint pendant les périodes de soudure.
Que dire de plus sur cette commune rurale « adossée » au Burkina Faso et où une misère multiforme accule chaque jour davantage les populations à une « vie éclatée », « dépareillée », loin du « Mali visible » et dit « utile » ?
Père Joseph Tanden Diarra
UCAO-UUBa, B.P. E 4165