municipales de la cité des trois caïmans.
Il est 22 heures ce dimanche, le grand marché de Bamako est vidé de son monde, de son ambiance de la journée, seuls le silence et la mauvaise odeur règnent en maîtres. Sur les lieux, en lieu et place des bouchons interminables des véhicules, c’est une vingtaine de petites charrettes, appelées « pousse-pousse », remplies d’ordures qui faisaient la navette sur la voie principale traversant ce grand marché. Ils déversaient les ordures sur tout le long de la voie jusqu’à un dépôt de transit aux abords du ‘’Dabanani’’.
Gagner sa vie et prospérer dans les ordures
La trentaine révolue, Issouf Diarra fait partie de ces collecteurs d’ordures. Vêtu d’une chemise noire et d’un pantalon multicolore, coiffé d’un bonnet noir et blanc et arborant des chaussures très sales, il dégage, faut-il s’en étonner, une odeur repoussante dont il ne se préoccupe même plus. « On collecte les ordures dans beaucoup de quartiers de Bamako proches du Grand marché pour les déposer ici au dépôt de transit du Dabanani. Avant, cet endroit avait été fixé aux ramasseurs d’ordures pour qu’ils y regroupent leurs chargements, à charge pour l’entreprise Ozone et la Voirie de les transférer au dépôt final », nous indique-t-il. « Avant » ? On comprend devant l’amoncellement des immondices que le circuit s’est grippé, pour ne pas dire bloqué. Issouf, lui, respecte sa part du contrat et exerce son petit business à Bamako depuis 5 ans.
Ses clients, explique-t-il, sont des ménages : « J’ai fait un planning pour bien mener mes activités et j’ai mis des poubelles à la disposition de tous mes clients pour leur permettre d’y déposer leurs déchets. Je fais la collecte trois fois dans la semaine et chaque ménage paye 2500 Fcfa par mois ».
Au Dabanani, les ordures se sont donc accumulées et l’une des voies d’accès au marché est désormais coupée. Juste à côté, Mme Touré A. D. tient pourtant une gargote. Elle nous confie vendre de la nourriture au Dabanani depuis 1990. Il lui est donc difficile d’abandonner cet emplacement. « Tous mes clients connaissent cet endroit. Cela, depuis des années. Malgré le fait que nous soyons envahis par les ordures, ce n’est pas facile pour moi d’aller ailleurs. C’est ici que je gagne ma vie et parviens à subvenir à mes besoins. Nous vivons avec les ordures. C’est notre quotidien. Cela cause du tort à tous ceux qui vendent aux alentours. Nous tombons régulièrement malade », rapporte-t-elle.
Non loin de là, Brama Traoré est à la porte de sa boutique, masque sur le bas de la figure. Le commerçant témoigne de son ras-le-bol vis-à-vis des ordures, qui font fuir sa clientèle. L’accès à la boutique, souligne-t-il avec amertume, relève du parcours du combattant. « Les autorités communales ne peuvent plus ignorer qu’il y a des ordures qui dérangent les usagers du Grand marché de Bamako. Certaines voies sont impraticables à cause des immondices. Et pourtant, nous payons nos impôts et taxes. Mais, rien de concret n’est fait par l’État et les autorités communales pour assainir le lieu », s’indigne-t-il.
Comment justement expliquer cette inertie des pouvoirs publics ?
L’incapacité des autorités municipales !
Si les responsables de la Mairie du District de Bamako n’ont pas voulu répondre à nos questions, Adama Koné, le conseiller principal de la direction de Ozone Mali à Bamako, a, lui, accepté d’analyser la situation pour nous. Pour cela, cet ancien directeur de la Voirie de Bamako s’appuie sur des études effectuées sur la gestion des déchets solides de Bamako et la mise au point d’outils pour gérer le problème. Un de ces outils est l’implantation d’infrastructures de salubrité qui s’échelonnent en points de collecte, dépôts de transit, centres de transfert et décharges. Chaque infrastructure répond à des dispositions et un fonctionnement qu’il faut impérativement respecter sous peine de bloquer le circuit de collecte et d’évacuation des ordures.
« S’il n’y a pas de décharge, où allons-nous déposer les ordures ? » s’interroge-t-il.
Dans les années 2009-2010, souligne Adama Koné, les artères du Dabanani étaient un point de collecte des ordures. « Le point de collecte de Dabanani s’est transformé aujourd’hui en un dépôt de transit à cause de certains désagréments entre le gouvernement malien et Ozone ». Explications : « Ozone est un acteur d’évacuation des déchets ayant une convention avec la mairie du District de Bamako et le gouvernement du Mali. On a une délégation de service de propreté de la ville de Bamako, c’est-à-dire, que nous avons en charge d’évacuer les ordures pour les amener dans une décharge. Mais c’est très compliqué parce qu’il n’y a pas de décharge finale à Bamako dans un contexte où la population de la capitale produit presque 2000 tonnes de déchets par jour ». Or, dira-t-il, on dénote une forte diminution du nombre des centres de transfert et des dépôts de transit durant ces 20 dernières années. En 2003, au moment où on faisait les études sur la synthétique des déchets solides de la ville de Bamako, la capitale, précise-t-il, possédait plus d’une trentaine de dépôts. Aujourd’hui, il ne reste plus que … quatre dépôts fonctionnels qui sont nettement insuffisants pour une ville qui s’étale sur plus de 200 kilomètres carré, se subdivise en soixante-dix quartiers et héberge plus de trois millions d’habitants. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes.
Un grand marché surpeuplé, sur pollué et insalubre !
Rappelons qu’en 1993, un gigantesque incendie avait ravagé le Grand marché de Bamako occasionnant des milliards de FCFA de dégâts. Le gouvernement, la mairie et les partenaires au développement avaient réuni les fonds pour rebâtir un Marché rose moderne et fonctionnel.
Plus de vingt ans après, les belles promesses suscitées par cette nouvelle infrastructure ne sont plus que de vieux souvenirs. Le temps a, en effet, fait son œuvre sur le marché qui en plus du mauvais entretien des installations est victime de deux facteurs objectifs : sa position géographique enserrée au cœur de Bamako et la démographie galopante et l’exode rural qui gonflent chaque jour un peu plus la population de la capitale. Cette masse de citadins en quête d’un gagne-pain quotidien est irrésistiblement attirée par le plus grand centre commercial du pays. Tant et si bien qu’au fil des ans, les échoppes et les kiosques ont investi le moindre mètre carré disponible, débordés sur les rues menant au Marché rose qu’ils ont fini par barrer. Les trottoirs, les devantures des boutiques sont conquis par des parents proches des boutiquiers venus des villages. Dans ce capharnaüm on se demande par où les clients se faufilent pour faire leurs emplettes. N’en parlons pas pour les pompiers appelés au secours en cas d’incendie, comme cela arrive régulièrement : décembre 2017, juin 2018, octobre 2020 et mai 2021.
On a l’impression qu’il n’y a aucune solution face à ce casse-tête chinois. La principale difficulté s’appelle : enlèvement des ordures et l’assainissement du site en général.
L’Etat a bien tenté de résoudre le problème en faisant bâtir les Halles de Bamako sur la rive droite. Mais cela n’a eu aucun impact, le Marché rose est sale, ses occupants s’en fichent au même titre que les autorités municipales.
Fatoumata Coulibaly