Les forces maliennes et mauritaniennes sont engagées dans la lutte contre al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi). Depuis un mois, les deux armées mènent des opérations militaires le long de leur frontière commune pour traquer les combattants d’Aqmi. Reportage
La pluie bombarde d’eau le bourg malien de Dogofri, localité située à plus de 400 kilomètres au nord de la capitale Bamako. Sur les lieux, un aérodrome couvert d’un ruban de bitume. Quatre appareils militaires ont le ventre posé sur cette piste d’atterrissage de fortune.
Ces appareils sont les bijoux du dispositif militaire malien installé dans le Sahel dans le cadre de la lutte contre Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi).
Subitement, un peu par miracle, la pluie s’arrête. Pas de temps à perdre. Un petit «coucou» décolle. C’est un «Tetra», un avion léger du type ULM, un don de la France fait au Mali.
«C’est un petit avion de reconnaissance. Il permet aussi de faire du ciel des photos précises», explique le colonel Mamadou Sissoko, de l’armée de l’air du Mali, sanglé dans une tenue militaire de combat.
La surveillance aérienne commence. L’appareil fonce vers la frontière mauritanienne. Au même moment, le convoi de véhicules militaires s’ébranle dans la même direction. La zone est sahélienne. Dans le Sahel, le sol est salissant lorsqu’il pleut, alors que dans le vrai désert le sol n’est pas salissant il est sablonneux.
Trente kilomètres plus loin, de longs cous de dromadaires sont visibles sur la tête des quelques buissons qui jonchent cette terre sahélienne. A cent kilomètres à la ronde, c’est pratiquement le seul endroit où les bêtes peuvent s’abreuver.
«C’est le village des animaux de la région», s’amuse notre chauffeur, un jeune militaire.
Les stigmates des affrontements restent visibles
Avant d’arriver à l’ancienne base d’Aqmi, l’un des passagers s’interroge:
«comment les islamistes armés ont-ils pu quitter le grand désert pour venir s’installer dans une forêt du Sahel?»
L’opération s’est déroulée à «dose homéopathique». Il y a cinq mois, la branche maghrébine d’al-Qaida a décidé d’élargir sa base. Par groupe de deux véhicules, les «fous de dieu» ont rallié la forêt. Pourquoi sont-ils venus là? Leur objectif est clair: la Mauritanie. Occuper la forêt de Wagadou, au nord-ouest du Mali, pour mener des attaques en territoire mauritanien. Ce pays et son président, Mohamed Ould Abdel Aziz, mènent une lutte féroce contre les «terroristes» et ce même avec de faibles moyens. Le budget de l’armée algérienne est au moins trois fois supérieur au budget national de la Mauritanie. Pourtant, dans la sous-région, c’est la Mauritanie qui est en pointe du combat contre les islamistes armés.
On s’approche de l’entrée de la forêt longue de 80 kilomètres sur 40 de large. Le convoi de véhicules poursuit son chemin. Justement, à l’extrême sud de cette forêt, se dresse la base en construction d’Aqmi désormais aux mains des forces maliennes et mauritaniennes. C’est précisément là que fin juin de violents combats ont opposé dans un périmètre de deux kilomètres, les combattants d’Aqmi à l’armée mauritanienne, appuyée par l’armée malienne.
Les traces de ces affrontements sont toujours visibles deux semaines après les faits. Huit véhicules calcinés, la plupart pulvérisés par des obus. Des milliers de douilles de balles jonchent le sol. Des vivres abandonnés. Des lits picots brûlés. Apparaît ensuite l’antre des djihadistes. Depuis cinq mois, ils construisaient des tranchées.
Ces tranchées, c’est pour approvisionner cette position en munitions.
«Et vous voyez, ça fait un rectangle. C’est pour que les terroristes se déplacent facilement dedans sans être vus. Il y a parmi eux, de véritables stratèges militaires», explique le colonel Damango de l’armée malienne.
Il lève un coin du voile de la bataille féroce de fin juin:
«le jour de l’attaque, le chef des opérations de l’armée mauritanienne sur le front contre Aqmi, nous a demandé de bombarder vers le sud-est de la forêt», affirme le colonel Damango, qui montre au sol, le cratère causé par des tirs d’obus de l’armée malienne.
A côté, une carcasse de véhicule. «C’est notre obus qui a calciné ce véhicule qui appartenait à Aqmi», ajoute-t-il, plutôt fier.
«L’armée malienne a envoyé au total quinze obus sur les positions ennemies, à la demande de l’armée mauritanienne. C’est grâce à cela que nos frères mauritaniens ont pu tenir, jusqu’à l’arrivée de leurs avions de combats», poursuit le colonel malien, au milieu de ses hommes.
Le colonel Damango est dans son élément et en profite pour chahuter les journalistes: «Vérifiez vos sources avant de parler!» L’armée malienne a bel et bien participé aux combats, contrairement à ce qui a été dit.
«C’est normal, c’est une opération militaire commune pour sécuriser notre frontière commune. C’est donc normal qu’on travaille ensemble» s’amuse le colonel malien.
Sur les pas minés des djihadistes d’Aqmi
Le film des événements qui se sont déroulés se reconstitue: l’armée mauritanienne attaque les djihadistes, ces derniers répliquent, les combats sont d’une rare violence, l’armée malienne appuie l’intervention mauritanienne, l’aviation mauritanienne vient à la rescousse, et plus tard, dans l’impossibilité de tenir leurs positions, les combattants d’Aqmi décampent.
«C’est à pied, par groupe de deux, que les combattants d’Aqmi ont quitté la forêt». «Il ont perdu une véritable base», ajoute un officier malien.
A l’ouest de cette forêt, communément appelée «la forêt du Wagadou», un puits en construction abandonné. L’officier malien qui nous accompagne, présume que l’ouvrage appartenait aux djihadistes.
«C’est très probable qu’avant leur retraite, les combattants d’al-Qaida ont empoisonné le puits», ajoute le militaire malien.
Dans l’une des anciennes bases d’Aqmi, une équipe de démineurs est sur le terrain. Derrière ses grosses loupes, le commandant Diakité du génie militaire malien retrousse ses manches.
«Nous avons débarrassé la zone de mines qui pouvaient détruire des chars. L’opération se poursuit», détaille le commandant.
«Les tranchées abandonnées que vous voyez là étaient en construction depuis cinq mois par les combattants d’Aqmi», explique le colonel Gaston Damango, chef des opérations militaires côté malien.
Commencée début juin, l’opération conjointe est menée par les troupes maliennes et mauritaniennes. Selon le schéma défini, chaque armée mène la patrouille le long de sa frontière, afin de prendre en tenaille les combattants d’Aqmi. Trois compagnies de l’armée malienne participent aux opérations. Le même nombre de militaires est mobilisé côté mauritanien. Mais ces derniers sont remontés pour le moment, vers leurs frontières du Nord avec le Mali. L’opération militaire mauritano-malienne s’appelle «Benkan», un mot bambara (la langue principale du Mali) qui littéralement signifie «unité».
«Ce sont les chefs d’Etat malien et mauritanien qui ont pris l’initiative. Nous nous sommes là pour exécuter», explique un officier malien.
«Nous sommes là pour lutter contre les bandes organisées, mais aussi pour sécuriser la population», explique de son côté, le colonel malien Gaston Damango, chef des opérations militaires.
Assurer la sécurité et l’humanitaire
Dans un des villages maliens traversés, un habitant hèle le véhicule de tête du convoi militaire. Tout le monde s’arrête.
«Quand on passe, les populations nous arrêtent comme ça pour bavarder. C’est très important de les écouter», analyse le capitaine Oumar Dieng de l’armée malienne.
Le volet «humanitaire» de l’opération de sécurisation de la zone se déroule également sur le terrain. Dans la localité malienne de Niono, dans la région de Ségou, on trouve un hôpital. Les malades accourent avec leurs parents.
«En quelques jours, nous avons fait ici une centaine de consultations et quatre opérations chirurgicales», explique le médecin-colonel Sidiki Bérété devant un malade.
«Les populations profitent pour se faire soigner gratuitement. Pour les cas graves, il faut évacuer le malade. Mais ponctuellement, les spécialistes militaires sont là. En plus c’est gratuit», se réjouit Amadou Tounbé, conseiller municipal local.
A côté des soins gratuits, une opération de distribution de vivres est en cours dans plusieurs localités avoisinantes. Dans la localité malienne de Diabali, située à 15 kilomètres de Dakofri, des militaires organisent la distribution des vivres, un don de la présidence de la République malienne aux populations. «Sécurité et développement», c’est pour les autorités malienne et mauritanienne le couple qu’il faut faire fonctionner pour réussir la lutte contre la branche maghrébine d’al-Qaida.
L’Algérie est la terre de naissance des principaux responsables actuels d’Aqmi. Elle a ensuite étendue sa zone d’intervention, appelée «Sahel occidental», ou encore «zone grise». Cet espace est situé entre l’Atlantique et le lac Tchad, entre le Sahara et les fleuves Sénégal et Niger, soit au total 3 millions de kilomètres carrés, en grande partie désertiques. Dans cette vaste zone, l’épicentre des activités médiatisées d’al-Qaida se trouve notamment en Mauritanie, au Mali, au Niger et au Tchad. C’est dans cet espace que se concentre l’essentiel des forces de la nébuleuse. Depuis 2003, par exemple, hormis un enlèvement d’otages européens la même année en Algérie et en février 2011 dans le même pays, en dehors de l’enlèvement de deux otages autrichiens en Tunisie, tous les autres enlèvements d’otages européens se sont déroulés dans cette zone sahélienne, au sud du Maghreb.
Composés de 300 à 400 combattants, la nébuleuse Aqmi rend insomniaque les pays du Sahel, mais aussi les pays occidentaux dont les ressortissants sont enlevés et généralement libérés en échange de rançons.
Serge DANIEL
(Slate Afrique)