Wérèwérè-Liking Gnepo se partage entre la Côte d’Ivoire et le Cameroun, où elle a vu le jour en 1950. Mais c’est sur la terre d’Eburnie, qu’elle a trouvé l’espace nécessaire à sa soif créatrice, dont l’une des émanations est le village Ki-Yi Mbock créé en 1985. Un espace de création et d’expression artistique dans lequel évoluent, aujourd’hui, à Abidjan plus d’une cinquantaine de personnes. Son parcours témoigne d’une curiosité infatigable, dégagée de toute complaisance intellectualiste. C’est une assoiffée de culture malienne, ivoirienne, nigérienne, etc, elle fait figure de pionnière dans la création contemporaine africaine. Entre ses multiples activités artistiques de comédienne, de chanteuse, de dramaturge, de poète, de costumière, etc., elle a néanmoins trouvé le temps de répondre à l’invitation d’Adama Traoré, de l’Association Acte Sept pour une formation pratique des jeunes Maliens en costume. Nous l’avons rencontrée à Ségou où se passait cette formation et elle a accepté de répondre à cœur ouvert aux questions de l’Indépendant Weekend.
L‘Indépendant Weekend: Vous êtes la présidente de la fondation panafricaine Ki Yi Mbock. Pouvez-vous nous présenter cette fondation ?
” Ki Yi Mbock ” veut dire en Bassa (ethnie du littoral Cameroun), ma langue natale, ” Ultime savoir de l’univers “. C’est en 1985 à Abidjan que la fondation Ki-Yi Mbock a vu le jour. Ki Yi Mbock c’est un ensemble de création et de production artistique panafricain couvrant toutes les expressions contemporaines, spectacles, arts plastiques, littéraires et audiovisuels. Aujourd’hui c’est devenu un espace, ” le village Ki Yi Mbock ” qui est un outil social qui contribue à la formation des jeunes dans la création et dans le développement par la culture.
Vous êtes camerounaise, installée en Côte d’Ivoire. Comment ca se passe votre intégration ?
Je suis ivoirienne, d’origine camerounaise. Je suis installée en Côte d’Ivoire depuis plus de trente cinq ans et il faut signaler que j’ai passé plus de temps dans ce pays qu’au Cameroun. Ce pays m’a adoptée et m’a tout donné. C’est le pays dont je porte la première nationalité, par le mariage. C’est vrai que je suis aussi panafricaniste car partout ou je vais en Afrique je me sens chez moi.
Qu’est ce qui fait l’actualité de Wèrè Wèrè Liking ?
Elle est multiforme car je suis pluridisciplinaire. Il y a des activités liées à ma fondation, d’autres que je mène en tant qu’écrivaine, metteur en scène, actrice, formatrice. Actuellement je suis au Mali dans le cadre de la formation des jeunes en costumes théâtrales et c’est une invitation de mon grand ami, Adama Traoré de Acte Sept et donc je profite de vos colonnes pour le remercier pour tout ce qu’il fait pour la promotion de la culture africaine et surtout pour les jeunes Maliens.
En quoi consistait cette formation ?
La formation était sur la réflexion sur le costume théâtrale, sa conception, sa réalisation, sa lecture…
Comment avez-vous trouvé le niveau de ces jeunes ?
Le niveau était moyen. Sur une quinzaine de jeunes, chacun avait son style et son niveau et ce qui m’a beaucoup marqué c’est la passion et l’envie de découvrir de nouvelles perspectives et débouchés qui n’étaient pas que ceux d’acteurs, et c’est pourquoi je continue à féliciter Adama pour cette initiative.
En tant que fervente combattante de la promotion de la culture africaine dans le monde, comment trouvez-vous la culture malienne ?
La culture malienne est comme plusieurs cultures en Afrique. Elle est diverse car au Mali il y a plusieurs peuples et chaque peuple a une histoire et sa culture. C’est une culture mélangée et multiple et chacun s’accroche à garder son histoire.
Le Mali traverse une période de turbulence. Comment percevez-vous cette période et avez-vous des propositions à faire pour permettre à ce peuple de se retrouver ?
Je pense que l’Afrique fait partie d’un monde, global. C’est-à-dire quand il y a une crise de l’euro par exemple cela se fait ressentir même aux Etats Unis, en Afrique, en Asie etc… C’est pour dire que ce que nos pays africains subissent aujourd’hui sont des marques de crise qui se passent ailleurs. Je considère ce qui se passe actuellement comme l’époque de la ” guerre froide “. C’est une nouvelle guerre qui consiste pour les grandes puissances de venir en Afrique prendre leur part quelle que soit la manière. Nous savons que notre continent est le grenier du monde donc chacun vient prendre sa petite part. Nous africains subissons aujourd’hui les retombées des guerres d’intérêt des grandes puissances. Le Mali n’est pas en reste. Sinon comment comprendre cette gestion de la crise du Nord par ces grandes puissances ?
Mais nous n’avons rien perdu, car nous sommes l’avenir du monde. Je pense que nous avons encore notre destin entre nos mains pour libérer notre continent. Cette libération passera essentiellement par la libération spirituelle. Tant que nous ne restons pas soudés à nos divinités nous n’allons pas y arriver. Je ne comprends pas comment nous africains pouvons accepter les ” Boko Haram “, ” Aqmi ” ” Ançardine ” et laisser nos propres croyances. C’est inexplicable. Que nos intellectuels sortent de leur cachette et qu’ils réagissent. Que les africains acceptent d’avoir leur propre rapport avec leur divinité, sans médiateur.
Et le cas spécifique du Mali?
Le cas du Mali interpelle tous les africains. Tous les africains doivent se donner la main et trouver entre africains la porte de sortie de cette crise. Si nous laissons intervenir d’autres personnes, c’est par là que viendront d’autres problèmes peut être pire que ce que nous vivons aujourd’hui. Il est temps que nous nous ressaisissons et que nous prenons en main nos problèmes.
En 2004 vous avez publié ” Mémoire amputée “, pour rendre hommage à la femme africaine. Selon vous quel rôle peut apporter la femme dans la gestion de nos pays et pensez vous qu’en faisant confiance aux femmes il peut y avoir un changement ?
Quand une femme s’implique dans une gestion, elle commence par l’utilisation du bon sens, qui est la survie quotidienne. Cette survie qu’elle porte pendant plusieurs mois, pendant lesquels elle sacrifie sa vie pour donner la vie à quelqu’un d’autre. Ce qui se fait ressentir même dans la gestion des conflits. Au lieu que nos hommes nous amènent dans des systèmes occidentaux que nous ne maitrisons pas. Il serait mieux de faire un retour dans nos villages et voir ce que chacun peut faire avec ce qu’il a. mettre nos populations au travail avec leurs propres ressources. Au lieu de nous entrainer dans des circuits que nous mêmes ne maitrisons pas et qui à la fin nous conduisent dans le trouble comme ce que nous vivons aujourd’hui dans bon nombre de pays africains.
Vous êtes chercheur en traditions et esthétiques négro-africaines. En quoi une plus grande maîtrise de notre patrimoine culturel peut nous aider à prendre en main l’avenir de notre continent ? Sur quels exemples pouvons-nous nous appuyer ?
L’être humain ne peut vendre à l’autre que sa culture, et si tu ne la maîtrises pas toi-même tu ne pourras convaincre. La boisson Coca cola et le vêtement Jeans sont des cultures américaines. Nous en Afrique quand on parle de culture nous ne voyons que les danses. Non ! Il y en a beaucoup d’autres. Les modèles ne manquent pas en Afrique ! Seulement, c’est à chacun d’identifier son propre modèle. C’est de l’ordre de la responsabilité individuelle. Les gens attendent qu’on leur dise : “Voilà un modèle”…C’est à nous de chercher. Nous pouvons trouver, dans les contes, dans l’histoire…de grands mouvements de résistance chez les Africains. Et cette résistance continue d’exister. Ce qui veut dire que ce sont des peuples qui ont toujours eu une culture.
Clarisse NJKAM
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