Parti pris· Voilà plusieurs années que les dirigeants africains appellent à une réforme de l’Organisation des Nations unies et revendiquent un (ou plusieurs) siège(s) de membre permanent au sein du Conseil de sécurité. Mais cette quête, aussi justifiée soit-elle, n’est-elle pas vaine ? Au verrouillage du système actuel par les grandes puissances s’ajoute en effet l’incapacité des pays africains à s’unir et à dépasser le carcan de l’État-nation.
Dans l’optique de sa participation effective à la gouvernance mondiale, l’Afrique n’a cessé, depuis de nombreuses années déjà, de revendiquer un rééquilibrage, à son avantage, du pouvoir au sein des institutions mondiales. Elle évoque, à l’appui de sa requête, son exclusion en matière de prise de décision dans les instances internationales, notamment financières (Banque mondiale, FMI, etc.).
Le mode de décision dans celles-ci, qui rappelle le vote censitaire, est favorable aux grandes puissances. L’Afrique n’a pas, jusqu’ici, réussi à faire changer ce fonctionnement malgré ses multiples appels dans ce sens. Mais c’est sans conteste la place subalterne qu’elle occupe au Conseil de sécurité des Nations unies qui capitalise ses frustrations quant au rôle marginal qui lui est assigné dans la conduite des affaires du monde.
Le 20 septembre 2022, lors de la 77e session ordinaire de l’Assemblée générale de l’organisation, le président du Sénégal, Macky Sall, alors président en exercice de l’Union africaine, se faisait une fois de plus l’écho de l’insatisfaction et de l’indignation des Africains par rapport à cette situation, qu’il jugeait anachronique et injuste :
Près de quatre-vingts ans après la naissance du système des Nations Unies et des Institutions de Bretton Woods, il est temps d’instaurer une gouvernance mondiale plus juste, plus inclusive et plus adaptée aux réalités de notre temps. Il est temps de vaincre les réticences et déconstruire les narratifs qui persistent à confiner l’Afrique à la marge des cercles décisionnels. Il est temps de faire droit à la juste et légitime revendication africaine sur la réforme du Conseil de Sécurité.
En Afrique, ce discours contestataire répété comme un mantra dans les rencontres internationales est soutenu par tous les leaders politiques, par l’élite intellectuelle, mais aussi par les activistes panafricanistes pourtant peu enclins à s’aligner sur les positions de leurs gouvernements.
En dehors de l’Afrique, plusieurs voix s’élèvent aussi en faveur d’une réforme structurelle des Nations unies qui satisferait à la demande africaine d’une présence permanente au Conseil de sécurité. L’Allemagne, la Chine, les États-Unis, la France, le Japon, parmi d’autres pays, se sont ouvertement exprimés pour appuyer les prétentions africaines.
Au-delà de l’élan de sympathie internationale que cette revendication suscite, il convient pourtant de s’interroger sur la faisabilité, en l’état actuel, d’une reconfiguration de la composition du Conseil de sécurité qui se traduirait par une présence permanente de l’Afrique dans cet organe, avec pleine jouissance des privilèges qui en découlent pour ses membres.
Il faut pour cela ramener le débat sur le terrain de l’analyse politique et juridique. À l’aune de ce regard croisé entre politique et droit, l’ambition de l’Afrique se heurte à deux obstacles majeurs et rédhibitoires. Il s’agit du verrouillage du système onusien, d’une part, et de l’inconsistance du projet politique unitaire africain, d’autre part. Considérés ensemble, ces deux éléments attestent de l’incohérence de la démarche africaine, quelque noble et compréhensible qu’elle fût.
Un fonctionnement obsolète…
Le Conseil de sécurité des Nations unies, détenteur à titre principal « du maintien de la paix et de la sécurité internationales » (Charte, article 24, § 1), est actuellement composé de quinze membres : d’une part, des cinq grands vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale (Chine, États-Unis, France, Royaume-Uni, Russie)2, qui se sont autoproclamés membres permanents avec droit de veto ; d’autre part, de dix membres non permanents désignés tous les deux ans par l’Assemblée générale, dont trois pour l’Afrique, ne disposant pas de ce privilège du veto.
Jugé obsolète dans sa composition, le Conseil de sécurité est depuis fort longtemps contesté, tant en raison de sa répartition géographique réputée inégalitaire que par l’exclusion de la catégorie de membres permanents, de nouvelles puissances apparues sur la scène internationale depuis son institution en 1945.
L’Allemagne, le Brésil, l’Inde, le Japon, et bien d’autres États encore, ont fait acte de candidature et comptent y siéger en tant que membres permanents. Diverses propositions, à géométrie variable3, visant à son élargissement ont été avancées. Aucune réforme sérieuse du Conseil de sécurité n’a cependant pu aboutir à ce jour, bien que les instances onusiennes se soient saisies à maintes reprises de cette question.
Cet échec et, au-delà, le blocage persistant vers un réaménagement substantiel du fonctionnement actuel des Nations unies sont à apprécier au regard du projet impérial de domination hégémonique qui a présidé à la mise en place de cette organisation, et qui constitue aujourd’hui encore le fondement idéologique de son existence.
La création des Nations unies est une initiative des forces alliées qui ont combattu et vaincu les puissances de l’Axe (Allemagne nazie, Italie, Japon, et autres pays totalitaires) pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette coalition victorieuse, mais hétéroclite en raison des régimes sociaux différents de ses membres, réussit néanmoins à se mettre d’accord quant à la nécessité de préserver l’humanité de futures guerres d’anéantissement.
L’ampleur sans précédent des atrocités commises pendant ce conflit mondial y aura beaucoup contribué. Une nouvelle page de l’Histoire s’ouvrait, avec la mise en place d’un système de sécurité collective garant de la paix mondiale. Avancée significative dans la mesure où, pour la première fois, était interdit l’emploi de la force dans les relations entre États (article 2, § 4).
… Mais défendu par les puissances historiques
Ce qui est alors en vue, c’est la pensée d’une communauté mondiale pour tous : « Nous, Peuples des Nations unies », déclare d’entrée le préambule de la Charte de San Francisco, qui souligne ainsi l’universalité de son projet. Mais, en réalité, cet universalisme fut capturé par les États (qui se sont substitués aux peuples et aux nations), et par les plus puissants d’entre eux.
D’où la catégorie de membres permanents qui consacre la rupture du principe d’égalité souveraine entre les membres de l’organisation (article 2, § 1). La composition du Conseil de sécurité est révélatrice des ambiguïtés idéologiques et doctrinales de la Charte, coincée entre le désir d’émancipation collective et les appétits de puissance d’une minorité ayant indûment accaparé à son profit la représentation de l’universel humain.
La volonté des membres permanents historiques de pérenniser le statu quo actuel se révèle au travers des dispositions relatives à l’amendement de la Charte. Au sens de son article 108, tout amendement ponctuel de celle-ci devra être adopté par les deux tiers des membres de l’Assemblée générale et n’entrera en vigueur qu’après ratification des deux tiers des membres de l’Organisation, dont celle de tous les membres du Conseil de sécurité.
Quant à l’article 109, relatif à une révision complète de la Charte, il met en place une procédure complexe sous l’égide d’une conférence générale convoquée après un vote de l’Assemblée générale acquis à la majorité des deux tiers et de neuf membres du Conseil de sécurité.
La révision n’entre en vigueur qu’après sa ratification par les deux tiers des membres de l’ONU, parmi lesquels doivent impérativement être compris tous les membres permanents du Conseil de sécurité. C’est dire que les membres permanents du Conseil de sécurité, par le mécanisme du veto, sont à la fois juges et parties en matière de modification du texte de la Charte, et donc de toute possibilité d’ouverture de cet organe et d’accueil en son sein de nouveaux candidats au statut de membres permanents.
Il faut donc conclure, au vu du cadenassage du système onusien, à une perte de temps de l’Afrique à vouloir obtenir des membres permanents actuels une renonciation de leurs privilèges de caste. Rien ne les y oblige, ni le droit, ni le rapport de force politique largement en sa défaveur.
Le plaidoyer de l’Afrique ne pourrait aboutir que dans la mesure où se dégagerait une unanimité parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. Or, un tel accord n’existe pas, et n’existera certainement pas, compte tenu des positions divergentes et antagonistes des membres de ce conclave intéressés chacun, avant tout, à défendre et à sauvegarder ses propres intérêts. La compassion de l’autre pour soi, registre des complaintes africaines, n’a pas de place en politique étrangère.
Les récriminations de l’Afrique ressortissent d’un discours en déphasage par rapport aux impasses d’un système mondial vrillé à l’origine. La quête effrénée et sans fin de l’Afrique d’une présence permanente au Conseil de sécurité est encore entravée par les contradictions de son propre projet politique unitaire.
Les contradictions africaines
L’Afrique est aujourd’hui constituée de cinquante-cinq États. Elle s’est lancée, depuis les années d’indépendance, dans un projet d’unification continentale porté d’abord par l’Organisation de l’unité africaine (OUA), puis par l’Union africaine (UA), qui lui a succédé.
Cette volonté d’unification est un héritage du panafricanisme, mouvement d’émancipation né outre-Atlantique parmi les esclaves noirs. Mais la méthode consistant à vouloir réaliser l’unité continentale à partir des États constitués s’est révélée être une impasse. Les États africains se sont statufiés et refermés sur eux-mêmes, par incapacité à se projeter vers un autre modèle d’association politique transcendant la forme étatique nationale.
Pour comprendre ce blocage, il faut remonter à la querelle de l’unité africaine qui vit, à la naissance de l’OUA, en 1963, les partisans d’une unité différée, émergeant graduellement à partir d’États existants dans le respect des frontières coloniales, l’emporter sur les défenseurs d’une unité immédiate sous la forme des États-Unis d’Afrique. Cette divergence sur la forme constitutionnelle de l’unité africaine a ressurgi en 2002, au moment de la transformation de l’OUA en UA, avec le même résultat d’un refus de l’unité continentale sans délai5. Le principe de souveraineté inscrit dans les actes fondateurs de ces organisations y fait écran.
Ce concept de souveraineté, surgi du Moyen Âge européen par émancipation des principautés italiennes de la double tutelle de l’empereur et du pape, désigne à l’origine un pouvoir absolu et inconditionné qui ne se reconnaît pas d’autres limites que celles qu’il s’impose à lui-même.
Norme fondamentale et universelle inscrite dans la Charte des Nations unies (article 2, § 1), elle est un attribut reconnu exclusivement à l’État par le droit international. Même si la souveraineté n’a plus guère de sens de nos jours car attaquée de toutes parts dans le contexte de la mondialisation, les États africains, mais pas seulement eux, continuent d’en avoir une conception absolue et n’acceptent que très parcimonieusement de l’abdiquer, même dans le cadre de leurs relations.
Et le dessein politique de l’unité africaine se trouve de ce fait freiné dans sa réalisation par la forte contradiction entre, d’une part, son continentalisme organique, et, d’autre part, la garantie de l’existence individuelle des États par le moyen de la souveraineté et d’autres principes du droit international (intégrité territoriale, indépendance politique, non-intervention dans les affaires intérieures, etc.).
Un nationalisme étriqué
Comme hier l’OUA, l’UA, aujourd’hui, n’est pas un État. Or seuls les États peuvent être membres des Nations unies et siéger éventuellement au Conseil de sécurité. Reste alors à l’Afrique à se constituer en un État, quelle que soit la matrice de celui-ci, unitaire, confédéral, fédéral, pour rendre crédible sa volonté d’intégrer ce cénacle des puissants. Mutation pour l’instant pas à l’ordre du jour.
Le consensus d’Ezulwini7, par lequel l’Afrique exige, dans le cadre d’une réforme espérée, mais peu probable, du Conseil de sécurité d’être représentée dans cet organe par au moins deux sièges de membres permanents avec droit de veto, et cinq autres non permanents, est une fuite en avant bien en deçà des enjeux réels. Quand bien même le Conseil de sécurité s’élargirait dans le sens proposé par l’Afrique, se poserait néanmoins le problème du choix de ses représentants devant y siéger.
L’Afrique en fait une question de politique intérieure africaine relevant de la seule compétence des instances continentales. Mais, loin de faire l’unanimité, la désignation de ces possibles États soulève des crispations sur le leadership africain. Plusieurs d’entre eux (Afrique du Sud, Égypte, Nigeria, Sénégal, etc.) se sont positionnés et ont affiché leur ambition onusienne, mettant ainsi à nu leur rivalité.
Quel crédit accorder alors à une procédure de désignation de représentants africains au Conseil de sécurité ? Les postulants recalés accepteront-ils de se soumettre ? On signalera, comme présage à de belles empoignades futures, la difficulté de l’Afrique à s’entendre, lors d’un vote le 17 juin 2020 aux Nations unies, sur le choix entre Djibouti et le Kenya, prétendants à un siège de membre non permanent devant la représenter dans cet organe à partir de janvier 20218.
Par ailleurs, au vu déjà de l’indiscipline des membres non permanents actuels par rapport aux résolutions de l’UA, ne verra-t-on pas demain les États africains promus membres permanents du Conseil de sécurité y défendre non pas les positions de politique étrangère continentale commune, mais plutôt leurs propres points de vue et intérêts ?
Le débat doctrinal sur la nature de l’être politique de l’Afrique n’est pas tranché, « […] il est manifeste que l’approche fragmentaire de l’unité continentale n’a pas porté ses fruits. Après cinquante ans, la vision d’une Afrique unie demeure inachevée. En outre, la question de la forme ultime de l’unité continentale, soit celle des États-Unis d’Afrique soit celle d’une confédération d’États, ou encore une autre forme, n’a toujours pas été résolue ».
Le nationalisme sourcilleux et étriqué des États empêche toute évolution vers le supranationalisme. L’Union européenne n’est d’ailleurs pas logée à meilleure enseigne, même si elle peut être considérée comme le modèle le plus avancé en matière de construction communautaire. Bloquée à un stade « préfédéral », elle continue d’être un « non-État » par l’attribut de la souveraineté qui caractérise chacun de ses membres. Aussi les propositions pour lui transférer le siège permanent de la France au Conseil de sécurité n’ont-elles pas trouvé d’écho favorable jusqu’à ce jour.
Sortir du carcan du modèle de l’Etat-nation
Aucun État ne peut plus raisonnablement se prévaloir d’exercer une souveraineté pleine et entière dans l’acception originelle de cette notion. Peut-être est-il alors temps, pour les États africains, d’évoluer vers une forme de souveraineté collective dans une démarche d’innovation politique qui permettrait de sortir du carcan du modèle inadapté de l’État-nation.
L’unité politique, préalable indispensable à une représentation permanente et efficiente de l’Afrique au Conseil de sécurité des Nations unies, devra se réaliser dans le cadre d’une communauté politique nouvelle, par dépassement des souverainetés individuelles exsangues et incapables de s’affirmer dans un monde où prédominent les rapports de force et les appétits de puissance des États.
Faute de quoi l’ambition proclamée de l’Afrique à devenir membre permanent du Conseil de sécurité risque d’apparaître comme un bluff à ranger, avec les intégrations économiques régionales sans lendemain, dans le placard des illusions panafricaines.
Avancée majeure au moment où elles furent créées, les Nations unies sont aujourd’hui à bout de souffle et n’incarnent plus vraiment l’utopie d’un monde pacifié. D’où les appels à la création d’une nouvelle organisation universelle mieux à même de répondre aux défis de notre temps. La Société des Nations (SDN) n’a pas survécu à la Seconde Guerre mondiale.
L’ONU survivra-t-elle à une troisième guerre mondiale dont le spectre commence à sérieusement hanter les esprits ? Et le progrès politique de l’humanité doit-il immanquablement emprunter le chemin d’une déflagration généralisée des sociétés humaines ? Il est alors devenu urgent d’imaginer, en temps de paix relative, de nouvelles modalités du devoir-être-ensemble universel dans lequel la voix de l’Afrique compte.
WILLY JACKSON/www.afriquexxi.info
Apres 60 années d”indépendance les pays Africains sont toujours au second plan dans les Nations-Unies pourtant une organisation qui se dit championne de l”Egalité et du respect des droits de l’Homme, il faut dire MERDE et sortir de cette coquille vide qui perpétue lÉsclavage et le Colonialisme pour nous organiser nous-memes et faire face a nos defits.
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