La Banque mondiale au pilori

    0

    La nouvelle stratégie de la Banque mondiale (B.M) pour le développement de l’Afrique, lancée à Washington lors de ses « Assemblées de printemps » souffre de nombreuses lacunes, ont estimé des experts qui ont analysé cette nouvelle approche de la Banque sur le continent africains et sous divers angles. « L’Afrique est le continent où la Banque finance le moins le secteur privé, l’essentiel des financements de la Banque passe par le secteur public », a déploré l’économiste sénégalais Diéry Seck, directeur du Centre de recherches en économie politique (Crepol) de Dakar. M. Seck s’exprimait à l’occasion d’une conférence tenue à Dakar le 30 juin 2011 et au cours de laquelle l’essentiel des intervenants se sont montrés très critiques sur le fondement de cette nouvelle orientation qui va guider les politiques de la B.M en Afrique pour les prochaines cinq années.

    « Le financement du secteur privé est limité dans sa description et dans ce que la Banque prévoit de faire (…) le rôle en Afrique de la société financière internationale (SFI, organe de la B.M) n’est pas bien clarifié alors qu’elle joue un rôle important dans le financement des activités privées », a expliqué M. Seck qui reproche à l’institution un « manque d’ambition » en ce qui concerne les objectifs stratégiques par rapport au Produit intérieur brut (Pib) des pays africains. « Il est mentionné dans le document de la stratégie que 20 pays africains auront une croissance de 3 à 4 % sur les dix prochaines années et entre 1 et 2 % pour 20 vingt autres pays. Ce qui n’est pas ambitieux par rapport aux autres régions du monde où la croissance est beaucoup plus rapide que 4% », a notamment souligné cet économiste qui a travaillé à la Banque mondiale avant d’indiquer que « cette nouvelle stratégie ne repose sur aucune théorie économique connue ».

    D’autres experts se sont montrés critiques vis-à-vis de cette nouvelle stratégie, lancée pour succéder à d’autres initiatives de la B.M en Afrique, connues toutes pour leur échec patent, comme ce fut notamment le cas avec les Programmes d’ajustement structurel (PAS), à l’origine de la destruction totale des systèmes éducatifs et sanitaires de la plupart des pays africains. De l’avis de Ibrahima Dia, socio-économiste et directeur du Millénium Challenge Account (MCA, programme financé par le gouvernement américain) au Sénégal, la Banque mondiale « va vite en besogne » en prédisant le décollage économique du continent sous le modèle de la Chine et de l’Inde. Contrairement à l’Afrique explique-t-il, l’essor économique de ces deux pays repose d’abord sur de solides facteurs dont « l’existence d’une demande intérieure forte qui porte la croissance, l’investissement sur les ressources humaines, l’existence de fortes institutions, le contrôle et la maitrise de leur monnaie et de leurs ressources naturelles ». Or en Afrique, la Banque mondiale s’est quasiment substitué aux ministères des finances dans plusieurs pays en dictant tous les choix stratégiques depuis des décennies.

    Déchiffrant la nouvelle stratégie sous le prisme du développement durable, M. Dia a aussi soutenu que les causes structurelles profondes de la stabilité du taux de croissance du continent, qui constitue selon lui la trame de cette nouvelle approche, sont insuffisamment analysées. « On estime que (la) résilience de l’Afrique face à la crise est due à la qualité des politiques macroéconomiques prudentes, c’est une analyse un peu limite, car les observations du Fonds monétaire international (FMI) indiquent qu’une bonne partie des pays africains ont pu résister au choc, parce qu’ils ne sont pas suffisamment intégrés à l’économie mondiale et n’ont pas suffisamment d’exportations », a-t-il souligné.

    En réponse à ces critiques, la Banque mondiale affirme que sa nouvelle approche en Afrique se veut « inclusive », contrairement au diktat exercé sur l’Afrique par le passé. Marcelo Giugale, qui est à la tête du réseau Gestion économique et réduction de la pauvreté à la Banque mondiale, indique que cette nouvelle approche basée sur la compétitivité et l’emploi est dictée par trois grands changements intervenus en Afrique à savoir « le taux de croissance du continent maintenu à 5% depuis plus de 5 ans malgré la crise économique, la mise en place de bonnes politiques au niveau macro-économique et la présence de nouveaux acteurs comme la Chine et l’Inde ». A partir de ce moment explique-t-il, il importe de rendre ce taux de croissance capable de générer des emplois, ensuite les protéger de la précarité et de mettre en œuvre une plateforme de bonne gouvernance. « Nous avons totalement inversé notre façon d’opérer, la stratégie n’a pas été écrite de Washington mais nous avons rencontré et écouté plus de 1.000 personnes dans les pays concernés. Avant la Banque mondiale était plutôt synonyme de financement aujourd’hui nous parlons plus de partenariat, crise oblige », affirmait de son côté le directeur Afrique pour la stratégie et le développement, Michel Wormser.

    Rappelant l’échec des Programmes d’ajustement structurel, le consultant Aziz Dièye, encore plus sceptique que les autres experts, estime que la stratégie de la B.M, même si elle se dit « inclusive », contient des « formes de répétitions des erreurs et dogmes du passé ». «Devait-on définir tout seul les nouveaux paradigmes sans les discuter et peut-être même les tester à échelle réduite avant de les imposer à tout un continent en même temps », s’est demandé M. Dièye. Pour le président de « Leadership Afrique » Abdoulaye Rokhaya Wane, à l’origine de ce débat, il y a « nécessité » de permettre l’émergence d’une nouvelle élite africaine, capable de se présenter comme une force de proposition technique.

     

     

     

    Commentaires via Facebook :