Il y a quelque trois semaines, quand nous titrions à la veille du second tour : « Volez, trichez, fraudez : la Cour vous blanchira », bien de lecteurs nous avaient interpellés par rapport à la provocation insidieuse de notre article selon eux. Aujourd’hui, la Cour vient de nous donner raison en reconnaissant que « tous les acteurs politiques et candidats de quelque bord politique qu’ils soient se sont installés à demeure dans la fraude généralisée ».
Le dernier rendez-vous de la Cour constitutionnel avec les Maliens par rapport au contentieux électoral fut un suspens intolérable pour tous ceux que le verdict de l’honorable cour intéressait encore. Annoncée pour 16h en ce vendredi après-midi, ce n’est qu’à 22h que l’audience a démarrée. Entre temps, les rumeurs les plus folles qui avaient couru dans les rues de Bamako s’amplifiaient au fur et à mesure que le retard s’agrandissait. C’est sûr, Dioncounda est tombé à Nara, disent les uns ; Bittar et ses colistiers ont renversé la tendance en commune V croient savoir d’autres ; la SADI va perdre Niono pour récupérer Koutiala commentaient certains ; non la Cour ne peut rien changer ajoutaient d’autres ; elle va se rappeler aux bons souvenirs des Maliens objectaient certains autres etc. Dans tous les cas, les membres de la Cour constitutionnelle avaient intérêt à ce que leur verdict tienne la route par rapport à un retard de six heures de temps très mal vécu par ceux qui avaient pris d’assaut la salle de délibération dès 15h, malgré la chaleur.
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C’est dans une salle à moitié assoupie que le président de la Cour constitutionnelle, Salif Kanouté, a entrepris de rendre leur verdict par rapport aux résultats définitifs du second tour des élections législatives. Et comme pour réveiller la salle et se faire pardonner pour ce retard, le président de la Cour a commencé par un réquisitoire en règle contre le processus électoral et une authentique charge contre tous les candidats.
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« J’ai la profonde conviction que tous les candidats se sont confortablement installés dans la fraude » commença-t-il. Mais, ajouta-t-il, en la matière, nous ne disposons pas de preuve. « Les délégués de la CENI sont muets, les délégués de la Cour sont muets, les présidents des bureaux de vote sont muets » avoue Salif Kanouté visiblement consterné par ce qu’ils ont vu et constaté. Cette introduction a fait son effet dans la salle parce que les juges constitutionnels n’avaient pas habitué les Maliens à de telles tranches de sincérité et sans doute de vérité. Après la longue lecture des requêtes suivie des correctifs apportés ayant apporté des changements de résultats et d’élus dans trois circonscriptions (Goundam, Tombouctou et Koulikoro) et quand aux environs de 4h du matin la salle, sans doute à bout, voulait être délivrée, le président de la Cour est revenu à la charge pour déplorer la qualité des hommes et des femmes qui vont représenter les Maliens à l’Assemblée nationale, dénoncer le caractère perverti de notre démocratie par les hommes politiques et les agents de l’Etat. Malgré ces boulets, le président de la Cour, dans un dernier sursaut d’optimisme, pense que « nous atteindrons le sommet de la montagne ». Naïveté quand tu nous tiens.
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Le médecin après la mort, voilà ce qu’on serait tenté de dire face aux propos de Salif Kanouté. Les Maliens auraient aimé entendre son réquisitoire bien avant le vendredi dernier c’est-à-dire dès à l’entame du processus électoral que tous les observateurs sérieux s’accordaient à reconnaître biaisé. Salif Kanouté aurait pu faire son réquisitoire au soir de la proclamation des résultats de l’élection présidentielle par exemple. Parce que sauf à être de mauvaise foi, il avait pu voir par lui-même certains éléments matériels de la perversion inoculée au processus électoral. A la télévision (nous supposons qu’il regarde la télévision ne serait-ce que pour le journal), il a vu comme tous les maliens les militaires qui battaient campagne en violation des principes républicains garantis et consignés dans la Constitution. Il a pu voir que l’Administration fut instrumentalisée à tel point qu’elle ne s’est pas retrouvée dans ses propres chiffres. Ne serait-ce qu’avec les 106,93% annoncés puis rectifiés à 96% puis avec les 84.000 voix que l’Administration n’a jamais pu octroyer à un candidat, la Cour aurait pu sévir et demander au Général Kafougouna Koné et à ses troupes de revoir leur copie. Les délégués de la Cour avaient signalé les cas de vote par anticipation, mais la Cour n’a pas tenu compte de leurs observations. Au contraire, malgré tous ces éléments à charge contre un processus corrompu, la Cour, dans son infinie sagesse, avait trouvé le moyen de revoir à la hausse le score du président ATT. C’est en ce moment que la Cour aurait pu demander à tous les acteurs et candidats de faire attention et d’apporter les correctifs nécessaires pour rendre crédible un processus déjà boudé par les populations.
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Que le président de la Cour constitutionnelle se plaigne du mutisme des délégués de la CENI, des présidents de bureaux de vote, des délégués des partis politiques et des candidats, passe encore. Mais qu’il se plaigne du mutisme de ses propres délégués, il y a comme du laxisme dans l’air. La Cour ayant constaté le mutisme de ses délégués qu’elle a elle-même sélectionnés, qu’elle a envoyés sur le terrain, qu’elle a payés à hauteur de souhait, elle aurait pu dès la présidentielle leur exiger de parler et de consigner par écrits leurs constats. Ce qui aurait permis à la Cour d’avoir ses propres preuves matérielles. Pour les autres notamment pour les candidats, il faut dire que par ses différents arrêts, la Cour a anesthésié la volonté et les efforts de ceux qui voulaient apporter des preuves des irrégularités dont ils ont été victimes. Des candidats ont investi le terrain avec des huissiers pour établir des constats, la Cour les a rejetés. Des candidats ont apporté des photos, des films, des numéros de véhicules appartenant à l’Etat utilisés pour le transport des électeurs le jour des votes, la Cour les a rejetés. Des candidats ont apporté des milliers de procurations signées à blanc par des préfets et sous préfets, la Cour les a rejetés. Les pauvres ne savent plus à quel Saint se vouer.
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Pour emprunter au langage de la Justice, on serait tenté de dire qu’en la matière la Cour est une récidiviste. En 2002 aussi, elle avait attendu la fin du processus électoral pour émettre des réserves et faire des observations très pertinentes porosité du dispositif électoral. La Cour avait évoqué les contraintes juridiques liées à l’application de nos textes fondamentaux en matière électoral, de la constitution des délais, de la propagande et de la campagne électorale, de l’identification de l’électeur. Enfin, dans ses observations de 2002, la Cour, dans le chapitre où elle parlait des conditions d’éligibilité de certaines catégories de citoyens, émettaient des réserves à peine voilées sur la démission du Général ATT, alors que l’homme était déjà élu président de la République. C’est ce qui s’appelle avoir un retard à l’allumage.
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Mais ce n’est pas seulement au niveau de son réquisitoire que la Cour constitutionnelle récidive. En effet, malgré tous les handicaps dont Salif Kanouté a parlé, les membres de la Cour ont pu se souvenir de leur jurisprudence de 2002 où par brassées entières, ils avaient pu délester l’Adéma de 17 députés. Cette année, même si sa main a été moins lourde, la victime est restée la même : l’Adéma qui perd 4 députés. L’URD peut juste être considérée comme une victime collatérale. Ce qui repose le vieux débat sur cette prérogative de la Cour à changer les élus. Faut-il changer les élus ou reprendre les élections en cas d’irrégularités massives constatées ? La question n’est pas tranchée mais il est évident que les victimes ne peuvent ressentir la décision de la Cour que comme une injustice.
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Sans vouloir être discourtois, on peut se demander si la Cour constitutionnelle ne se moquait pas des Maliens. Elle a tous les moyens pour intervenir en amont et prévenir les dérives qu’elle condamne avec délectation après coup. Lors de sa délibération sur l’élection présidentielle, la Cour a reconnu elle-même, devant les requêtes du FDR, que la loi électorale était anticonstitutionnelle. Et pourtant, la Constitution fait obligation à la Cour de se prononcer par rapport à toutes les lois et plus particulièrement par rapport aux lois électorales. Nous ne voudrions pas dire qu’il y a des coups de pieds qui se perdent, mais il serait sage que les sages de la Cour ne perdent pas de vue ce que les bamanan disent : « ni fali sara… ». Sauf à vouloir nous jouer une autre version du coup de pied de l’âne. En tout cas, faute de pouvoir faire un dernier baroud d’honneur, la Cour constitutionnelle semble avoir opté pour un authentique bras d’honneur à la démocratie et à tous les élus de cette année électorale.
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Bassaro Touré
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