IER Sotuba : Les hommages au Dr Vaksmann

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Depuis quelques jours, la station de l’Institut d’Economie Rurale (IER) de Sotuba se sent «orpheline». Et pour cause! Après 24 ans de loyaux services, le plus Malien des chercheurs Français du CIRAD, le Dr Michel Vaksmann, est rentré. Ses anciens collaborateurs ne tarissent pas d’éloges pour «le scientifique hors-pair» et, surtout, pour «celui qui savait partager tout ce qu’il avait…».

 

A commencer par le Dr. Oumar Niangado, chercheur de renommée internationale, ancien Directeur de l’IER, actuellement à la tête des Fondations Syngenta et Novartis au Mali. «Cet homme est exceptionnel. J’ai rarement vu des chercheurs de cette pointure. Il est flexible, compréhensible, simple et surtout humain. Il n’a jamais mis le matériel au dessus de la recherche et des transferts de connaissance», témoigne-t-il.

 

A Sotuba, nous avons rencontré un autre chercheur, le Dr Niaba Témé, spécialiste dans l’application de marqueurs. Derrière une pile de document, il s’évertue à répertorier, sur son ordinateur portable, différentes enveloppes contenant des céréales. Très concentré, il transpire à grosses gouttes, en cette période de coupures d’électricité. Il daigne à peine nous adresser la parole. Mais, quand nous évoquons le nom du Dr Vaksmann, il s’arrête brusquement de compter ses enveloppes.

Puis il déroule les quatre années de collaboration avec Michel comme un long métrage. «En 2008, après ma formation, j’ai rencontré le Dr Vaksmann de façon naturelle dans la cour de la station. Nous avons échangé et il a trouvé que ce que je faisais était intéressant. C’est un homme jovial, pragmatique, technique et surtout social. Il a mis ici en place un système afin que les stagiaires se sentent concernés par le travail qu’ils effectuent. Grâce à lui, ils sont même payés. C’est vous dire combien l’homme m’a marqué, je pourrais passer toute une journée à en parler. Il mérite qu’on lui rende hommage».

 

L’hommage le plus poignant au Dr Vaksmann, nous l’auront de Mamoutou Kouressy qui fut son premier élève dans les années 89 – 90, puis son chef à partir de 2007. «En 23 ans de collaboration, j’ai admiré et surtout copié la pédagogie de l’homme, de ce grand homme. Il s’est toujours évertué à expliquer jusqu’à ce que son interlocuteur comprenne. Chaque fois qu’il a constaté un problème quelque part, il y a apporté une solution. Il faut du courage et surtout de la passion pour faire ce que le Dr Vaksmann faisait».

Son côté «social», Mamoutou Kouressy l’a aussi évoqué. «Michel est très différent de beaucoup d’expatriés que j’ai connus. Il s’est imprégné de la culture malienne, avait beaucoup d’humour et n’hésitait à utiliser certaines anecdotes bien de chez nous pour détendre l’atmosphère. Mieux encore, il tenait à participer à toutes les cérémonies organisées par les collègues où les voisins. Souvent, j’oubliais qu’il était expatrié. C’est seulement quand je lisais certaines correspondances du CIRAD, concernant son départ que je me disais, avec amertume, qu’il était Français et qu’il devrait repartir un jour».

Quelques jours avant son départ, nous avons rencontré le Dr Michel Vaksmann à Sotuba. Chemise aux manches retroussées, jeans, baskets et lunettes sur le bout du nez, il nous a accueillis le plus naturellement possible. Souriant et peu bavard, il glissait par moment quelques confidences. «J’ai du mal à expliquer pourquoi je me suis beaucoup attaché au Mali. Mais je crois que je voulais être utile à tous les collaborateurs que j’ai côtoyés pendant toutes ces années. Ils m’ont donné envie de faire mon travail et je les ai vu progresser, chacun dans sa spécialité. C’est très important quand on travaille dans le partenariat et pour la continuité».

 

Jetant un coup d’œil sur les jeunes chercheurs, il conclura: «on ne peut pas être de véritables partenaires si on ne vit pas les mêmes galères que les collègues, qu’ils soient jeunes ou expérimentés. Je tiens à la relève, c’est pourquoi j’ai développé un système dans lequel tout le monde a la main dans la pâte».

Chercheur du CIRAD, affecté en poste à l’IER le 1er mai 1988, le Dr Michel Vaksmann était chargé d’expliquer les causes de la faible productivité des paysans, afin de proposer des solutions techniques pour y remédier. Très rapidement il s’est aperçu que les produits de la recherche (techniques culturales et variétés mil-sorgho) ne surpassaient pas les pratiques des paysans sur le terrain.

 

Dès 1991, avec son équipe, il a mis en évidence l’importance écologique du photopériodisme des mils dans le Nord du Mali, puis étendu ces résultats aux sorghos et à toutes les zones climatiques du pays. A partir de 1994, des travaux de physiologie ont permis de modéliser le photopériodisme et donc de prévoir le comportement des variétés dans différents environnements.

A partir de 1995, avec la même équipe il entame une étude systématique du photopériodisme des écotypes locaux de sorgho. Ce qui a permis de clarifier la relation existant entre le cycle des variétés et le climat de leurs zones d’origines. L’utilisation en amélioration des céréales d’un caractère de rusticité comme le photopériodisme allait à l’encontre de tous les paradigmes des programmes de sélection. C’est pourquoi, à la fin des années 1990, il oriente ses travaux en génétique pour montrer la possibilité d’utiliser en sélection le caractère photopériodique des variétés locales.

Les résultats de ses travaux ont été clairs: le photopériodisme des sorghos dépend surtout d’un gène majeur. Il s’agit donc d’un caractère simple à sélectionner. Une méthode spécifique de sélection de variétés photopériodiques a été ainsi élaborée. Il a aussi pu montrer que le photopériodisme était conciliable avec la plupart des caractères de productivité (réduction de la taille des tiges et augmentation des composantes du rendement).

 

Au début des années 2000, un retour en physiologie végétale a permis de proposer un nouveau modèle de prise en compte du photopériodisme dans les modèles plantes. La méthode consiste, d’une part, à abandonner la notion de «temps photo‑thermique» utilisée par la plupart des modèles et à proposer un déclenchement de l’initiation florale à partir d’une photopériode seuil. Ce modèle est maintenant intégré au modèle américain DSSAT et au modèle SARRA‑H du Cirad.

A la même époque, toujours avec l’aide du Dr Vaksmann, un programme de sélection est monté, avec pour objectif d’agir simultanément sur l’amélioration de la productivité et sur la conservation de la diversité génétique du sorgho. La méthodologie utilisée combinait des méthodes de sélection récurrente et de sélection participative directement dans le milieu cible. Une population à large base génétique locale a été créée. Une vingtaine de variétés photopériodiques élites sont en cours de test au Mali en station et en champs paysans.

 

Depuis 2008, un autre programme de sélection récurrente assistée par marqueurs moléculaires (MARS et BCNAM) a été initié. Ces nouvelles techniques de sélection devraient permettre de progresser dans l’amélioration de caractères qui présentent de fortes interactions avec l’environnement. Notons enfin qu’au cours des quatre dernières années, les missions du Dr Vaksman ont été, entre autres, de conduire des recherches pour améliorer la prise en compte des interactions Génotype X Environnement dans les programmes de sélection, en particulier le photopériodisme, le stay green, le tallage, les composantes du rendement et la qualité du grain, chez le sorgho et le mil; de participer à l’animation scientifique de l’IER en écophysiologie et en agroclimatologie, d’assurer le suivi et à l’encadrement de stagiaires, masters et doctorants et de prendre part au montage et à l’exécution de projets MARS et BCNAM.

 

Dans la bouche des collaborateurs maliens du Dr Vaksmann, une seule phrase revenait: «le plus bel hommage que le CIRAD pourrait rendre à ce chercheur de pointure exceptionnelle serait de le réaffecter au Mali, afin que nous continuions les chantiers que nous avons commencés». Espérons que leur appel sera entendu.

Paul Mben   

 

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