L’affaire de l’avion présidentiel et des contrats d’équipements militaires, classée sans suite en 2018, est relancée. Ministres, Conseillers du Président et Hommes d’Affaires avaient été mis en cause dans ces deux affaires qui avaient défrayé la chronique sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Kéïta. A l’époque, des Rapports de la Cour des Comptes et du Vérificateur Général avaient révélé des cas de surfacturations et de nombreuses anomalies. Mais, l’affaire avait été classés sans suite en 2018 puis relancée en mars 2020 sur instruction du Ministre de la Justice de l’époque, Malick Coulibaly. Depuis, certaines personnalités ont été blanchies, mais la procédure judiciaire vient de connaitre un nouveau rebondissement, le jeudi 26 août dernier, avec la mise sous mandat de dépôt de l’ancien Premier Ministre Soumeylou Boubèye Maïga, Mme Bouaré Fily Sissoko, Ministre des de ‘Economie et des Finances au moment des faits par la Chambre d’Accusation de la Cour Suprême du Mali.
L’ancien Premier Ministre, Soumeylou Boubèye Maïga, l’ex Ministre de l’Economie et des Finances, Mme Bouaré Fily Sissoko, ont été mis sous mandat de dépôt, le jeudi 26 août 2021, par la Cour Suprême. Ils sont accusés pour des faits « présumés de malversations financières dans l’achat des équipements militaires et de l’avion présidentiel ».
Cette mise sous mandat de dépôt des anciens Dignitaires du Régime d’IBK intervient quelques jours après la sortie médiatique du Procureur Général près de la Cour Suprême, Mamoudou Timbo. Sur les écrans de l’ORTM, la télévision nationale, celui-ci a indiqué que « le dossier des équipements militaires n’est pas classé et que les enquêtes sont en cours. Des enquêtes supplémentaires ont été menées. Des Ministres qui devraient être entendus lors de la première enquête l’ont été. La deuxième phase de l’enquête a amené de nouveaux éléments. Les deux procès-verbaux plus le Rapport du Vérificateur Général constituent une moisson d’informations ».
En effet, l’audit des deux affaires par le Bureau du Vérificateur Général (commandité par le FMI) et par la section des comptes de la Cour Suprême étale au grand jour l’ampleur de la fraude et de la corruption sous IBK.
Entre 29 et 38 milliards auraient disparu des caisses de l’Etat à la faveur de ces deux scandales qui avaient défrayé la chronique dans ces derniers temps.
Sur les contrats d’acquisition d’un aéronef présidentiel et la fourniture aux Forces Armées Maliennes de matériels, d’habillements, de couchages, de campements et d’alimentation (HCCA) ainsi que de véhicules et pièces de rechange, les responsabilités des différents protagonistes sont clairement identifiées dans le Rapport du Vérificateur Général (VEGAL). Le document évalue le montant total des irrégularités financières à 28.549.901 190 FCFA dont 12.422.063.092 FCFA au titre de la fraude. Il impute l’origine de ces irrégularités à l’ancien Ministre de la Défense et des Anciens Combattants, signataire des deux contrats et au Ministre de l’Economie et des Finances. Selon le Rapport, ces deux Autorités politico-administratives ont fait une interprétation erronée et une application inappropriée de la disposition réglementaire relative à l’exclusion de certaines commandes publiques du champ d’application du Code des marchés publics (CMP). Globalement, le Rapport reproche aux deux Personnalités de passer, d’exécuter et de régler irrégulièrement les deux contrats d’acquisition et de fourniture.
Dans les détails, le document mentionne que l’avion présidentiel aura coûté au total 18.915.933.276 FCFA dont 17.555.495.175 FCFA payés à la société AIC et relatif au prix d’achat de l’aéronef incluant 100 dollars US de frais bancaires. 2.850.000 FCFA ont été payés à la société AIC relatif à la rémunération de l’agent fiduciaire. 1.028.039.063 FCFA ont été payés à la société Sky Colour au titre des frais de recherche. 329.548.538 FCFA ont été versés à la même Sky Colour relativement aux frais d’inspection de l’appareil, aux frais d’immatriculation, aux honoraires d’avocat, à l’armement de l’avion, à la maintenance et à la peinture de l’appareil, à l’achat de fuel pour convoyage de l’appareil à Bamako, etc.
Quant à la fourniture aux Forces Armées Maliennes de matériels HCCA, de véhicules et de pièces de rechange, elle aura coûté 69.183.396.494 FCFA.
Le Vérificateur Général et ses collaborateurs ont cherché à savoir si ces contrats sont conformes aux lois et textes en vigueur en posant un certain nombre de questions : le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants a-t-il fait un recours justifié et légal à l’Article 8 du Code des marchés publics, Article qui exclut certaines commandes publiques du champ des marchés publics ? Quel rôle a joué le Ministère chargé des Finances, ordonnateur principal du Budget d’Etat et la Direction Générale des marchés publics et des Délégations de service public, relativement au recours à cet Article d’exclusion ? Les Autorités en charge de la conclusion de ces contrats d’acquisition en avaient-elles la compétence juridique ? Les préalables exigés avant l’engagement de toute dépense publique ont-ils été observés ? Les différentes étapes de la commande publique (passation, exécution et règlement) ont-elles été respectées ? Le Gouvernement s’est-il assuré que ces acquisitions ont été faites au meilleur coût, avec efficience et efficacité ? Ces acquisitions ont-elles été toutes réceptionnées dans les délais contractuels et conformément aux dispositions relatives au décret portant règlementation de la comptabilité-matières ?
Une application erronée
Après avoir analysé l’Article 8 du Décret n°08-48/P-RM du 11 août 2008, modifié, portant procédures de passation, d’exécution et de règlement des marchés publics et des délégations de service public, l’équipe de vérification a constaté que le Ministère de la Défense et des Anciens combattants ne fait référence à aucun texte législatif et/ou règlementaire pour donner une base légale aux contrats de marchés qu’il a établis et signés pour l’acquisition de l’aéronef et des matériels HCCA, véhicules et pièces de rechange. Qui plus est, les contrats de marchés en question ont été formalisés et rédigés dans un format « Protocole d’accord (contrat cession acquisition d’aéronef), mandat de recherche exclusif », en toute ignorance du cadre et des modèles qui encadrent les spécifications administratives et techniques des achats publics et les exigences du Droit public administratif.
En outre, révèle le Rapport du VEGAL, le Ministère de l’Economie et des Finances (MEF) et celui de la Défense et des Anciens Combattants (MDAC) ont fait une application non appropriée de l’Article 8 du Décret sus-indiqué.
A cet effet, dans la note technique relative aux schémas indicatifs de financement pour l’acquisition d’un équipement de transport du 8 janvier 2014, le Ministère de l’Economie et des Finances a préconisé le recours à l’Article 8. Or, les commandes publiques sous l’angle de contrats de fournitures, de travaux et de services, qu’ils soient ordinaires ou « secrets », font partie intégrante de la gestion des finances publiques et doivent répondre aux principes de l’économie et de l’efficacité du processus d’acquisition, de la transparence des procédures et aux objectifs de la dépense publique.
L’équipe de vérification estime que l’acquisition de l’aéronef à 18.915.933.276 FCFA, montant qu’elle a reconstitué sur la base des supports de paiement fournis par le Trésor public relatif au contrat de «cession-acquisition d’aéronef» et la fourniture aux forces armées maliennes de matériels HCCA, de véhicules et de pièces de rechange à 69.83.396.494 FCFA sous l’emprise de l’Article 8 du Code des marchés publics sans aucune référence légale et dans des conditions qui ne garantissent pas la transparence dans les procédures et qui ne donnent aucune assurance quant à la fiabilité et la sincérité des informations et des transactions, constituent un risque hautement élevé de fraude.
Par ailleurs, le Rapport du VEGAL indique que la fourniture de matériels et équipements destinés aux FAMA n’a pas fait l’objet d’expression de besoin formelle, appuyée de spécifications techniques préalablement définies avant la signature du protocole d’accord.
Pour ce faire, la Direction du matériel, des hydrocarbures et du transport des armées (DMHTA) a fourni la lettre confidentielle n°00144/DMHTA du 4 octobre 2013 et la lettre « secret défense » n°0022/DMHTA/SDAPF du 20 novembre 2013 pour justifier l’expression de besoin relative à la fourniture de véhicules et des pièces de rechange.
Cependant, les équipements énumérés dans la première lettre adressée au Ministre de la Défense et des Anciens Combattants ne correspondent pas à la fourniture, objet du protocole d’accord, mais plutôt à ceux en annexes de la seconde lettre adressée au chef d’état-major général des Armées (EMGA) qui, en plus, est postérieure à la conclusion du protocole d’accord datant du 11 novembre 2013.
Pas d’indication budgétaire
Concernant l’acquisition de l’aéronef, en dehors du contrat de « cession-acquisition d’aéronef », le Rapport précise qu’aucun autre document n’a été fourni relativement à l’expression du besoin et aux spécifications techniques correspondantes.
Toutefois, une note technique du 17 janvier 2014 de la direction générale du Budget relative à la comparaison entre l’option d’achat et celle de location d’avion a été fournie à la mission. Il résulte de cette note, l’opportunité d’achat d’avion, compte tenu de la charge locative annuelle supportée par le Trésor public qui atteindra, au terme du mandat présidentiel de cinq ans, la somme de 19,80 milliards de FCFA, soit 3,9 milliards par an. A ce niveau, le rapport du VEGAL reproche au Ministère de la Défense et des Anciens Combattants de ne pas s’être assuré de l’existence de crédits budgétaires avant le lancement des deux acquisitions. L’équipe de vérification, dira le Rapport, a aussi constaté que ni le protocole d’accord, ni le contrat d’acquisition de l’aéronef ne comportent d’indication budgétaire prouvant la disponibilité de crédit avant leur conclusion.
Par ailleurs, il ressort dans le Rapport l’existence de deux protocoles d’accord tenant lieu de contrat, signés le 11 novembre 2013, soit à la même date, d’une part, par Sidi Mohamed Kagnassy et, de l’autre, par Amadou Kouma pour le compte de la Société « Guo Star », titulaire du protocole. Le premier, habilité par la Présidence de la République du Mali, à travers le mandat n°0001/D.CAB-PR du 5 novembre 2013, pour « traiter avec tout fournisseur ou intermédiaire que ce soit, des affaires d’équipement des forces de défense et de sécurité maliennes », n’a aucun lien avec ladite société, comme établi par ses statuts. En plus, le Ministère de la Défense et des Anciens Combattants a fait preuve d’inattention dans la conclusion du protocole d’accord ; car, il y a été inscrit de façon inappropriée la dénomination de Directeur Général de la société « Guo Star » en lieu et place de celle de gérant pour les SARL. Toutefois, le Rapport a tenu à préciser qu’en ce qui concerne l’acquisition de l’aéronef, le règlement a été effectué exclusivement par le ministère de l’Economie et des Finances par un emprunt bancaire complété par des crédits sur les « charges communes ».
Le rapport du VEGAL reproche au Ministère de la Défense et des Anciens Combattants d’accorder irrégulièrement une garantie au titulaire du marché dans le cadre de la fourniture des matériels et équipements destinés aux forces armées. Afin de s’assurer du respect des dispositions réglementaires et contractuelles, l’équipe de vérification a examiné le protocole d’accord et tous les documents y afférents. Il est aussi reproché au ministère de l’Economie et des Finances d’avoir fourni une garantie autonome à première demande de 100 milliards de FCFA à la banque de ce dernier pour assurer le financement du protocole d’accord. Or, dans le cadre d’un marché public lorsque sa nature le requiert, la garantie est toujours fournie par le titulaire, et non l’autorité contractante, à plus forte raison si cette autorité n’est pas partie prenante au protocole d’accord. Ensuite, dans le cadre du financement du protocole d’accord, le MEF a fourni une garantie autonome de 100 milliards de FCFA sans ouvrir au préalable un compte spécial, qui est de droit pour une telle opération.
Des dénonciations de faits
A la lumière des différentes constatations, le Vérificateur Général estime que le MDAC devrait s’assurer que toute commande publique est précédée d’une expression de besoin formelle assortie de la définition des spécifications techniques détaillées conformément aux normes nationales et internationales ; renforcer les capacités techniques du personnel impliqué dans la passation des marchés publics, notamment, en matière d’expression de besoin ; s’assurer de l’existence de crédits suffisants avant le lancement de toute commande publique ; fixer des critères afin de s’assurer que les candidats à la commande publique disposent des capacités techniques, juridiques et financières à exécuter les marchés ; définir les critères et les modalités de gestion des informations classifiées secret de la défense nationale.
Le Département chargé de la Défense devrait aussi respecter les dispositions règlementaires en matière de dépenses publiques et d’approbation des marchés publics ; respecter les dispositions du Code des marchés publics relativement aux mentions obligatoires des contrats de marchés publics ; respecter les dispositions applicables aux dépenses publiques en matière de conclusion des contrats ; veiller au respect des principes édictés par le Code des marchés publics dans le cadre de toute commande publique notamment l’accès libre de tout candidat ; respecter le principe de l’annualité budgétaire, en l’absence d’une loi de programmation ; initier une loi de programmation militaire ; procéder à l’immatriculation de l’aéronef en République du Mali.
Le Vérificateur Général pense également que le ministère chargé des Finances devrait faire adopter un texte règlementaire déterminant la liste des dépenses exclues du champ du Code des marchés publics; faire adopter un texte règlementaire définissant les procédures spécifiques applicables aux commandes publiques exclues du champ d’application du CMP ; respecter le principe de l’annualité budgétaire, en l’absence d’une loi de programmation ; adopter ou faire adopter des textes règlementaires pour fixer les modalités d’exécution des avances ou acomptes ainsi que la liste des dépenses à payer sans ou avant ordonnancement ; cantonner les paiements du protocole d’accord conformément aux montants indiqués sur les factures pro-forma ainsi que les frais bancaires.
Dans le Rapport, il est indiqué qu’il y a eu dénonciation des faits au procureur de la République par le Vérificateur Général relativement au détournement et à la complicité de détournement de fonds publics par l’engagement irrégulier des finances publiques; à l’utilisation frauduleuse et au détournement de deniers publics d’un montant de 9.350.120.750 FCFA ; au délit de favoritisme ; au faux et à l’usage de faux ; au trafic d’influence ; aux fraudes fiscales portant sur le non-paiement des droits d’enregistrement et des redevances de régulation, en l’absence de toute autorisation légale d’exemption.
Pour rappel, ces affaires datent de 2014. Elles ont lieu sous la présidence d’Ibrahim Boubacar Kéïta, et concernent l’achat d’un avion présidentiel à près de 20 milliards de FCFA et des contrats de plusieurs dizaines de milliards de FCFA.
Mémé Sanogo