L’insécurité dans laquelle se trouve le nord Mali depuis plusieurs années est extrêmement préoccupante, tout comme elle l’est dans l’ensemble des Etats riverains du Sahara. Cette situation ne date pas d’aujourd’hui mais elle s’est sensiblement aggravée ces dernières années. Notamment, avec l’intervention d’acteurs extérieurs, faisant du Sahel un espace extrêmement difficile à sécuriser. Le nord Mali est devenue le lieu d’intervention privilégié pour les groupes armés ainsi qu’une zone de prédilection pour le trafic de tout genre. C’est également un territoire au sous-sol prolifique, qui attise les convoitises et dans lequel se mêlent intérêts concurrents et influences extérieures. Et c’est fort de cela qu’AQMI (Al Qaida au Maghreb Islamique) a installé son quartier général dans la zone.
La situation d’insécurité est donc l’aboutissement d’une crise profonde ainsi que d’un phénomène de compétitions importantes, les rapports de force s’établissant généralement en période de crise. On peut donc se demander si nous ne sommes pas en train d’assister à une recomposition des zones d’affluence. La présence occidentale n’est pas négligeable. Le Pan-Sahel Initiative, par exemple, a été mis en place par les Etats-Unis au moment de l’administration Bush et consistait à former les militaires des pays de la bande sahélo-sahélienne à la lutte contre le terrorisme. Malgré tout cela, les rebelles de la nébuleuse dominent la zone. Et pour mener à bien leur mission, les éléments d’AQMI ont opté pour les œuvres de bienfaisance et caritatives.
Cependant, ce qui se passe aujourd’hui dans le nord Mali, ne doit pas être appréhendé uniquement comme une question liée à AQMI. Le problème de fond, qui prévaut depuis plusieurs années, est le problème de la drogue et de ses conditions d’acheminement. Qu’il s’agisse du cannabis ou de la cocaïne, le trafic touche fondamentalement le cœur de nos sociétés. Ce qui a généré des turbulences énormes dans les structures sociales. C’est un problème qui est loin d’être événementiel, qui dépasse le cadre du nord et qu’il faut appréhender dans sa totalité, comme un problème qui concerne l’Etat malien.
Cette situation, si l’on veut résumer, est l’aboutissement d’une crise qui est celle du capitalisme mondialisé. On assiste en effet à une mondialisation capitaliste porteuse de contradictions, porteuse de compétitions entre les différentes sociétés. Or, dans ce phénomène de compétitions, on assiste à des alliances inattendues. C’est par exemple ce qui se passe entre la France et la Chine autour de l’exploitation de l’uranium au Niger. Il semblerait qu’il y ait des processus d’insertion d’actions chinoises au sein d’Areva à propos du gisement d’Immouraren et on peut légitimement se demander si, par la suite, il n’y aurait pas aussi une sorte d’actionnariat à propos du pétrole d’Adagem. Or, les intérêts ainsi gérés ne sont pas nécessairement ceux du Niger. Il faut remarquer que la situation au nord du Mali est différente de celle du Niger. Car la militarisation du Sahara se fait d’abord par les forces militaires extérieures et ensuite par les forces nationales. Le gouvernement malien voyant le spectre du danger planer sur cette partie de son territoire à décider de prendre le taureau par les cornes. Raison pour laquelle le président de la République Amadou Toumani Touré a lancé le Programme spécial pour la Paix, la Sécurité et le Développement des Régions du Nord Mali (PSPSDN) le mardi 09 août dernier à Koulouba.
Que prévoit ce programme.
Ce programme est axé sur la construction d’infrastructures et autres sites stratégiques pour maintenir la paix, la sécurité et l’ordre dans le nord Mali. A cela s’ajoute de grands chantiers comme la construction de commissariats, de 5 espaces commerciaux et de 85 boutiques qui verront le jour, pour offrir la chance à 100 jeunes opérateurs économiques locaux de bénéficier d’un fonds de roulement de 150 millions de nos francs. Et pour conforter l’encadrement et l’appui-conseil aux populations par l’autorité de l’Etat, il sera réalisé aussi une préfecture, 3 sous préfectures et un hôtel de ville. Et l’établissement d’un programme national de lutte antiterrorisme et de trafic de drogue….Quel alléchant programme pour le bien être des populations du nord Mali ? Mais la question que se pose le citoyen lambda est de savoir pourquoi maintenant un si vaste projet est-il conçu spécialement pour cette région du Mali ?
AQMI un mal nécessaire ?
Au regard de tout ceci se pose la question de la présence de la nébuleuse dans cette zone, car elle permettrait aux populations du nord Mali de jouir enfin des bienfaits du PSPSDN. Le nord Mali étant devenu un no man’s lands, exposés aux trafics en tout genre, sans oublier l’héritage peu reluisant en terme de gestion harmonieuse du développement et de disparités entre les régions, mais avec le désengagement de l’Etat, les choses ont empiré. Malheureusement, on ne remarque aucune réaction du gouvernement malien. On en parle juste lorsque des décisions prises en Europe ne favorise pas le tourisme, et par ricochet le business d’affaires. Pourtant, le nord du pays est habitable. Il suffit de mettre à contribution les populations locales dans le développement de la région. L’Histoire nous enseigne que lorsque dans un pays, le pouvoir central faiblit, lorsque l’espace n’est pas contrôlé, cela laisse la possibilité aux pouvoirs extérieurs d’y intervenir. C’est une vérité intemporelle. Or, quand on regarde la situation du nord du Mali, on constate une quasi-absence de l’Etat. La question des migrations, des activités plus ou moins légales qui en découlent ainsi que la gestion extérieure des flux migratoires, sont des problèmes liés au désengagement de l’Etat. Les politiques de contrôle et de restriction dictées par les Etats Européens viennent s’appliquer dans les territoires sahéliens sans connexion avec les réalités locales. L’Europe impose une gestion politique des migrations à des pays comme le Mali – qui a toujours été un pays de passage et qu’il le sera toujours – et cette gestion politique ne correspond à aucun besoin réel pour les pays sahéliens. Si l’on veut réaliser un développement qui rend le nord Mali habitable et sécurisé pour ceux qui le fréquente et le traversent, il faut prendre en considération le lien existant entre la situation d’insécurité et les relations que nous entretenons avec l’extérieur, en particulier avec l’Europe. Cela sous-entend la remise en cause des politiques économiques et le courage politique pour le faire. Ce qui fait dire à certains analystes qu’Al Qaida au Maghreb Islamique est la bienvenue au nord du Mali, étant donné que sa présence pousse Koulouba à agir et bien agir pour cette zone. Décision salutaire, mais dont nous osons croire ne sera pas ranger dans les tiroirs comme bon nombre de projets.
Paul N’guessan