Depuis 1960, le Sénégal vit un des moments tristes de son histoire. Dans un contexte favorable aux luttes populaires, un de ses voisins immédiats, le Mali, l’observe alors que ce dernier s’apprête à organiser le 18 juin prochain son 1er scrutin sous l’ère de la transition.
Réputé être la vitrine de la démocratie africaine au sujet de l’alternance et du respect des libertés, le Sénégal s’est laissé déborder par les manifestations des 1er et 2 juin 2023. Le 1er juin dernier, à l’annonce de la condamnation d’Ousmane Sonko à deux ans de prison ferme pour « corruption de la jeunesse », ses soutiens descendent dans la rue. Ils crient au complot contre le Président du Pastef. Ils y voient même une manœuvre du Président Macky Sall pour écarter de la présidentielle de 2024 le maire (Sonko) de Ziguinchor. Résultat : 16 morts, 500 arrestations, restriction d’Internet, etc. Amateurisme des forces de maintien d’ordre ! Irresponsabilité des leaders ! Bref. Au-delà des condamnations de la violence et des appels à la « retenue » de la Cédéao et de l’Union africaine, le cercle vicieux instabilité/stabilité gagne le Sénégal, pays de la Téranga. La violence pénètre la dernière citadelle de la démocratie africaine. Désormais, la priorité reste l’organisation de la présidentielle (2024) sans l’instrumentaliser. Pas seulement au Sénégal.
Première jauge pour les scrutins à venir
Le 18 juin prochain, à huit mois de la présidentielle de 2024, la transition malienne organise son scrutin constitutionnel autour duquel les ″Pour″ et les ″Contre″ se canonnent. Les Pour-, soutiens de la transition-, appellent à voter oui pour le projet constitutionnel, jugé novateur. Les Contre-, regroupements politiques et associatifs-, voteront non, car ce projet serait « inconstitutionnel, illégal, illégitime, etc. ». Plusieurs articles du projet de constitution divisent : « Les faits antérieurs à la promulgation de la présente Constitution couverts par des lois d’amnistie ne peuvent, en aucun cas, faire l’objet de poursuite, d’instruction ou de jugement », article 188 du projet constitutionnel. On aurait pu mieux faire. Dernier baroud d’honneur pour les uns. Pour les autres, première jauge des scrutins à venir. Mais, dans l’univers cruel des rapports de force, n’abusons pas de la patience des Maliens.
Le CSP-PSD défie Koulouba
Et voilà que les partisans du ″Pour″ sont challengés par ceux du ″Contre″. Depuis Kidal, le CSP-PSD considère le projet de constitution comme un « obstacle pour une bonne gouvernance et […] un recul démocratique ». Bête noire du régime, le CSP-PSD défie Koulouba. Sans compter la CMAS qui appelle ses partisans « … à faire front commun et barrer la route à ce projet…». La rivalité Pour/Contre s’exacerbe. « Nous, Citoyennes et Citoyens maliens, membres du Gouvernement, du Conseil national de Transition, du Haut conseil des collectivités et du Conseil économique, social et culturel […] décidons de créer le Collectif des Acteurs institutionnels pour un ″OUI″ massif… », déclare le Colonel Abdoulaye Maïga, coordinateur du dit collectif, le 10 juin 2023. Une annonce qui dérange. D’une part, elle dépasse l’entendement. D’autre part, elle est inhabituelle. Une faille que les opposants au projet vont exploiter. Le 11 juin dernier, le Front Uni Contre le Référendum (plateforme d’organisations politiques et associatives) décide de « …l’harmonisation des actions à entreprendre avant, pendant et après le scrutin référendaire inconstitutionnel… ». La bataille est rude. Rappelons que président IBK a chuté en 2020, en partie, à cause du contentieux électoral des législatives de 2020. Son projet pour le Mali ne rencontrera pas la compréhension de tous. Il est donc nécessaire d’apaiser et de rassembler les Maliens pour créer les meilleures conditions pour les scrutins suivants.
Le taux de participation, angle mort du scrutin référendaire
Une variable importante de ce scrutin, c’est le taux de participation, l’angle mort des scrutins au Mali. Fort ou faible, le taux de participation dit quelque chose à la fois de l’impact politique d’un scrutin au sein de la population et de l’adhésion de cette dernière au dit scrutin. Pour rappel, le 2 juin 1974, le régime militaire de Moussa Traoré adopte sa constitution avec 99,71 % de taux de participation. Un score stalinien qui fonde la 2eme République, mais rejetée par une partie des Maliens réunie au sein du « regroupement des patriotes maliens ». La nouvelle constitution ne rentrera en vigueur qu’en mars 1979, soit 5 ans après son adoption. Le 25 janvier 1992, sous le régime de transition d’Amadou Toumani Touré (ATT), les Maliens votent oui pour la constitution de la 3eme République avec 43,38 % de taux de participation. Un score acceptable qui traduit l’enthousiasme des Maliens pour la fin de la dictature militaire et leur respect pour ATT, le soldat de la démocratie. Ça, c’était le siècle dernier.
La coupe est pleine
Aujourd’hui, le contexte a changé. La crise sécuritaire ne nous laisse aucun répit. Le 8 juin dernier au stade du 26 mars, la faible participation des Maliens au meeting du ″Pour″ signifiera leur désintérêt pour le scrutin référendaire. À Gao, la population rechigne à participer au scrutin malgré la mobilisation des notables de la région. Elle reproche en effet à l’exécutif de ne pas tenir ses promesses à propos des problèmes d’électricité. La coupe est pleine. Cela dit, il est normal de demander des comptes à l’exécutif lorsque ce dernier ne satisfait pas nos besoins. Par ailleurs, certains d’entre nous seront dans l’impossibilité de participer au scrutin de dimanche prochain à cause de l’insécurité. D’autres s’abstiendront, car ils assimilent le scrutin à la prolongation d’une pièce déjà jouée. Le risque d’une faible participation des Maliens au scrutin référendaire n’est donc pas à exclure. Un fort taux de participation signifiera probablement un attrait pour le projet de nouvelle constitution. En revanche, un faible taux de participation sera synonyme de censure populaire. Enfin, loin de penser que ce scrutin est une absurdité politique, la transition a une exigence de sécurité et de transparence.
Sculpter le visage d’un Mali viable
Pour conclure, la polarisation des débats autour du projet de constitution est significative de ces impensés politiques : nos souffrances actuelles sont liées aux tensions politiques (Sénégal), aux conditions de vie difficiles et à la dégradation sécuritaire (Mali). Le doute s’installe vite. Ceci dit, au Mali, une page de la transition se tourne avec ce référendum. Il donne aussi le compte à rebours d’un éventuel remaniement ministériel pour remplacer le ministre démissionnaire des Mines, de l’Energie et de l’Eau, Lamine Seydou Traoré. Un tel remaniement donnera un nouveau souffle à certains ministères englués dans le brouillard de la routine. Un autre nouveau chapitre s’ouvrira, celui des scrutins législatif et présidentiel. Le défi sera de trouver des mots d’ordre apaisants, consistants et mobilisateurs pour rassembler les Maliens autour des projets réalistes et réalisables pour la paix et le mieux vivre ensemble. Nous devons sculpter le visage d’un Mali viable dans le respect mutuel. Ni autosatisfaction, ni complaisance, tentons de répondre aux questions suivantes :
Comment cheminer vers un Mali désirable ?
Comment satisfaire les besoins de la jeunesse ?
Mohamed Amara
Sociologue