Commune V du District de Bamako : Où sont passés les 79 millions

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    Bill, le maire de la Commune V du District de Bamako, vient, après une sérieuse controverse, de prendre les rênes de l’Association des municipalités du Mali. Pendant qu’il bataillait pour devenir le patron de tous les maires, nous apprenons que l’édile de la Commune V a utilisé 79 millions de francs CFA pour une opération d’assainissement questionnable pour ne pas dire bâclée et surestimée. Il a signé une convention avec une entreprise « illégale » au Mali et géré une affaire douteuse de « kits scolaires ». Abdel Kader Sidibé de la Commune III qui fut son rival malheureux traînait  son linge sale, son successeur  à l’AMM n’est pas propre. Enquête sur des méthodes de gestion devenues ordinaires pour nos maires, les élus les moins fiables du Mali…

    En juin 2009, c’est un Boubacar Bah tout souriant qui annonce à ses administrés la signature d’une convention avec une entreprise dénommée « Fondation  Sadev Mali » pour l’assainissement de sa circonscription, plus précisément le secteur de Baco-Djicoroni. Sadev Mali serait la filiale d’une entreprise domiciliée au 31, rue Anatole France, Vincennes, en France. La Commune V, municipalité la plus peuplée du Mali avec ses 500 000 habitants et ses maires qui traînent des poêles, est aussi la plus sale, la moins entretenue et la plus pauvre en infrastructures. Bref, ce jour-là, Bill est heureux d’apposer sa griffe aux côtés d’un certain Laurent Garnier que l’on désigne « président » de la « Fondation Sadev Mali » et l’ambassade de France est supposée donner sa caution morale à ce qui s’avérera plus tard une fumisterie. C’est écrit en bas de la première page de l’entente : « En présence de son Excellence l’Ambassadeur de France au Mali. » Le conseil communal n’est au courant de rien. Tout a été fait en vase clos avec le Bureau tout simplement. Le maire n’a obtenu aucune autorisation  issue d’une délibération comme le stipule la loi pour signer au nom de la collectivité. Certains conseillers n’étaient  pas au courant des négociations.

     

    Dans une note non datée transmise au Conseil communal, le maire Bah explique son attitude par l’urgence de l’assainissement et, concernant la « convention » signée avec Sadev Mali, il écrit : « Les normes admises en la matière sont connues et nous osons espérer l’indulgence des membres du Conseil communal pour l’approbation de cette convention que nous avons signée en votre nom. Certes des insuffisances apparaissent çà et là dans la Convention. Nous pensons pouvoir les corriger avec votre participation active  au sein du comité de suivi prévu en son article 06. Entre autres difficultés, le problème juridique qui se pose quant à la présence de Sadev Mali sur la terre malienne. Cette inquiétude est vite surmontée par l’Amscid (Association malienne de développement) qui répond sur le plan juridique aux intérêts de Sadev Mali dans notre pays. » Défense de rire…

     

    Pour ceux à qui la nuance a échappée, le texte dit : Sadev Mali est illégale, elle n’a aucune autorisation pour exercer au Mali. Cependant, pour contourner le problème, l’Amscid a été trouvée pour faire écran ! Le maire Boubacar Bah a signé une convention  avec une entreprise qui n’a aucune existence légale et sans l’approbation de son conseil communal et pire encore, il reste muet comme une carpe quand un conseiller lui demande s’il  existe une convention entre Sadev-Mali et l’Amscid ? Aucun membre du conseil communal n’a vu un tel papier. Bill arrive ensuite pour demander «  l’indulgence » du conseil communal. En plus de l’Amscid dirigée par Bassirou Diarra, un autre organisme dénommé Cadem (Coordination des actions pour le développement municipal) et son président, Issiaka Berthé sont signataires. Pourtant, l’intitulé du document est, on ne peut plus clair : « Convention cadre pour l’intervention de la Fondation Sadev Mali dans le quartier Baco-Djocoroni à Bamako ». Et parlant de la pirouette pour contourner l’obstacle juridique, Boubacar Bah parle de l’Amscid mais ne fait pas mention de la Cadem. Point ! Il n’ y a dans le document, aucune date pour le démarrage du projet et aucune date pour sa fin ! Du vrai travail d’amateurs ! et on se demande toujours comment l’autorité de contrôle, le gouverneur Ibrahima Féfé Koné a laissé filer une telle étourderie.

     

    Pour se justifier face aux rares conseillers qui osent encore lui poser des questions, Boubacar Bah Bill parle d’un échange de correspondances (orales ?) avec le gouverneur du District, M. Koné comme une autorisation pour dépenser 79 millions de francs. Or, la loi N° 93-008 modifiée par la loi 96-056 du 16 octobre 1996 définit clairement les conditions de la libre administration des collectivités territoriales. Son article 04 dit que chaque collectivité règle par délibération ses affaires propres. Le gouverneur Koné ne peut, en aucune  manière, autoriser un maire à « sauter » son conseil municipal et engager une dépense. Et le représentant de l’Etat, s’il avait fait son travail correctement, aurait purement et simplement annulé la convention illégale avec Sadev Mali. A la mairie ou au gouvernorat du District, quelqu’un a vraisemblablement triché à son examen de droit administratif ! M. Koné n’ignore sans doute pas les dispositions 31-32 de la loi 95-034 relatives à l’autorité de tutelle. Et le bureau communal n’a pas montré publiquement l’autorisation écrite du gouverneur. Et quand bien même elle existerait, elle serait illégale.

    Pour quels motifs Bill a signé presque dans la clandestinité une convention avec une entreprise illégale et engagé 79 millions de francs en prétendant que sur 05 ans, Sadev pourrait utiliser jusqu’à un million d’euros (655 millions CFA) provenant de sources extérieures, dans sa Commune ?

    C’est dans un document remis aux conseillers et portant la mention « Opération spéciale » de nettoyage des dépôts d’ordures que le maire explique les raisons de la vitesse et précipitation avec lesquelles il a signé avec Sadev Mali (rappelons que cette société n’a pas le droit d’agir au Mali) qui doit d’ailleurs créer des « dépôts de transit » pour les ordures. Le maire explique dans ce document qu’il y a 60 dépôts anarchiques, 04 officiels et annonce que leur contenu total est évalué à 20 000 m3. Nulle part, dans cette estimation, il n’est indiqué l’emplacement de ces dépôts sauvages, le nom de la firme qui a estimé à 20 000 m3 leur contenu. Aucune donnée technique ne vient corroborer les affirmations faites par l’édile Boubacar Bah, Bill. Il parle d’un problème de « santé publique » sans produire l’avis d’un expert en la matière. Cependant, là où l’on peut franchement saluer le sens de l’humour du bureau communal et du maire, c’est quand ils beurrent très épais en justifications. Il paraît que la présence massive des déchets, immondices, détritus était une menace… à la paix sociale. Autrement dit, il fallait agir d’urgence parce que les populations étaient sur le point de déclencher une guerre civile afin d’exiger le nettoyage de leur coin ! On ne badine pas avec les déchets !

    De l’avis unanime des populations, rien n’a été nettoyé sérieusement. Baco Djicoroni et les autres quartiers sont encore plus sales qu’en décembre 2009, date officielle de la fin de l’opération dite spéciale de nettoyage (voir nos photos) et elles ont été soulagées de 79 millions de francs CFA. Et son opération spéciale de nettoyage du côté du cimetière de Sabalibougou est une vraie plaisanterie.

    La « Note relative à l’évolution de la convention cadre entre la fondation Sadev Mali et la mairie de la Commune V dans le quartier Baco Djicoroni » est l’intitulé du document produit par le maire à l’attention du Conseil communal. Dans cette note, le maire ne fait plus allusion à l’obstacle juridique concernant Sadev Mali et informe les élus qu’il a eu deux rencontres avec les Français de Sadev Mali. Le 08 octobre 2009, les deux parties ont abordé les points suivants : Une mise à la disposition du partenaire d’un espace à la zone ACI de Baco-Djicoroni ; l’achat de deux bennes d’occasion et de pièces détachées; la suppression d’un « espace vert » pour permettre à Sadev d’en faire un dépotoir. Le 12 octobre 2009, les deux parties choisissent une entreprise pour créer un « dépôt de transfert », infrastructure exigée par Sadev Mali avant de faire quoi que ce soit. Ainsi, en 48 h chrono, le document dit que trois entreprises ont postulé pour la réalisation du dépôt de transfert : « la Soudanaise », « Urbadex »  et « Au la guêpe-Concept Au ». Et le maire ose écrire « après examen des dossiers », l’entreprise illégale qui n’a même pas le droit de travailler au Mali « Sadev a retenu la Soudanaise comme adjudicataire du marché  de construction du dépôt de transfert  de Baco Djicoroni » ! La conclusion de ce document est une perle dans le monde de l’administration municipale malienne : « Difficultés en vue.»

     

    Sadev n’entend pas réaliser le dépôt de transit en l’absence d’une convention de transfert des équipements préalablement signée entre la mairie de la Commune V et la mairie du District de Bamako. De préalable, il en a été question lorsque le 3ième adjoint a rappelé qu’à présent, la mairie n’avait pas connaissance de la convention qui lie Amscid à Sadev et que la convention a cependant été signée. A ce sujet, la question qui se pose est la suivante : la mairie de la Commune V du District de Bamako peut-elle transférer des équipements non encore réalisées ?

    La Commune V a dit avoir pris acte du choix de la Soudanaise, chose qui ne semble pas avoir conforté Sadev. »

     

    Voilà donc la cerise sur le gâteau : Sadev Mali n’a aucun droit de travailler au Mali ; elle signe une convention avec le maire d’une des plus grandes Communes du Mali ; le maire n’informe pas le conseil communal ; le travail supposé fait pour engloutir 79 millions n’a pas été fait ; Sadev, société illégale au Mali mais capricieuse choisit ses partenaires et fait des choix, exige, etc. Pendant ce temps, les ordures sont à leur place. Rien n’a changé.

    Selon l’article 44 de la loi du 30 décembre 1998, le maire doit mettre en marche les décisions du conseil municipal. Le conseil n’a pas délibéré pour approuver le contrat avec Sadev Mali. N’importe quel étudiant en droit sait que le contrat est nul et tout ce qui a découlé de sa signature est illégal.

     

     Opération spéciale ou fumisterie spéciale ?

    Le 04 septembre 2009, le maire pond un document intitulé « Note sur l’opération spéciale d’évacuation des dépôts de transit et leur maintien à niveau de service du 24 août au 31 décembre 2009 ».

     

    En introduction, il écrit que selon les services techniques, il a 04 dépôts officiels et environ 60 dépôts anarchiques pour un volume de 24 053 m3. Notez que dans un document précédent cité plus haut, il donne le chiffre exact de « 60 » dépôts anarchiques et parle de 20 000 m3 qui sont devenus 24 053 sans toujours aucune précision sur le mode d’évaluation et les qualités de l’expert. Le besoin financier pour nettoyer la Commune étant urgent, il  a demandé le concours de deux ministères (Administration territoriale et Environnement) et en attendant « le bureau communal a sollicité et obtenu  l’autorisation du Gouverneur  en vue de passer un accord de préfinancement pour l’évacuation et la maîtrise des dépôts officiels et sauvages ». On ne parle plus de Sadev Mali, d’Amscid ou de Cadem dans ce document signé « Boubacar Bah, économiste ».  Le montant total du marché est donc de 79 030 500. Le maire ne lance aucun appel d’offres et viole encore la loi 93-008  en écrivant (nous reproduisons avec les fautes) : « C’est à la suite d’entretient et négociations intenses, que l’entreprise EGK a bien voulu réaliser l’opération dite « Opération spéciale ». Elle a véritablement démarré le jeudi 24 août par le dépôt du cimetière de Sabalibougou ». (Voyez sur la photo en illustration si le travail a été fait !) Jusqu’à présent, personne n’avait entendu parler de l’entreprise EGK, qui a mené les « négociations intenses » et le dépôt du cimetière de Sabalibougou est aussi plein qu’avant la fameuse « Opération spéciale ». Toutefois cela n’empêche pas l’économiste Boubacar Bah d’écrire : « L’opérateur qui a déjà fini d’évacuer les dépôts, accepte d’être payé sur l’exercice budgétaire 2010 et suivant les modalités à convenir pour un montant en francs CFA de 79 030 500. » Une vraie œuvre de charité publique, le patron de cette EGK: il accepte de travailler sans avoir reçu un kopek, attend des discussions futures pour connaître les modalités de paiement et ne bronche pas. Si l’entrepreneur était aussi philanthrope, quelle était donc l’urgence de demander une «autorisation » au gouverneur Koné ?

     

    Le maire, toujours audacieux, écrit : « Ainsi, du 24 août au 31 décembre 2009, toutes les deux semaines soit (15 jours), l’ensemble des dépôts sera entièrement vidé ». Un riverain de la voie bitumée appelée route de Daoudabougou, en apprenant cela, nous confie : «Ils sont venus avec des bennes et des pelles mécaniques ramasser quelques kilos puis, ils ont mis le feu au reste. En voyant les flammes, j’ai compris que ces gens avaient dégagé un budget pour ramasser mais ils mettent le feu pour ne pas le faire. » Le maire rappelle dans la même note que c’est la DSUVA (voirie) relevant de la mairie centrale qui doit faire le travail. Cela veut dire que non seulement le ramassage des ordures ne relève de la compétence de Boubacar Bah et de son Bureau, mais qu’il a demandé une « autorisation » expresse d’Ibrahima Féfé Koné, gouverneur du District pour dépenser 79 millions sans appel d’offres ! Un vrai humaniste, ce maire… Encore une fois, à quoi servaient donc les Sadev Mali, Amscid et Cadem ? Mais cette fois, le maire respecte les dispositions de la loi 96-025 notamment en son article 12 qui mentionne bien que le District est responsable de la voirie, notamment des infrastructures et de l’assainissement.

     

    KITS SCOLAIRES ET ELUS EN «  FORMATION »

     

    L’Agence nationale d’investissement des collectivités territoriales (ANICT) finance les communes du Mali en matière d’éducation, notamment la construction et l’équipement des classes. Le doux nom trouvé par les fonctionnaires est « kit scolaire ». Boubacar Bah alias Bill est arrivé à la mairie après les élections d’avril 2009. Il a donc eu la gestion de ce qu’on appelle « droit de tirage 2009 ». Selon un « rapport » daté du 26 novembre 2009, le montant prévu en investissement est de 152 649 586 francs Cfa et en appui technique deux millions 083 503 Cfa. Le montant est ainsi morcelé : « construction de 07 kits ainsi que leur équipement. Chaque kit (03 salles de classe, 75 tables bancs, 03 chaises, 03 armoires 03 bureaux coûtera 21 592 798 répartis comme suit : 20 513 149 Cfa pour la construction et l’équipement des salles, correspondant au paiement des entreprises et 1 079 649 Cfa pour le suivi et le contrôle au profit du bureau d’études. » Première remarque : à raison de 21 592 798 Cfa par kit, les sept kits reviennent à 151 149 586 au lieu de 152 649 586 soit une différence d’un million cinq cent mille sans compter les 2 083 503 prévus pour l’appui technique. Le Bureau communal raconte, sans rire, que le million et demi restant « servira à financer tout autre dossier d’investissement en gestation. » Question : Est-ce que l’ANICT, placée sous l’autorité du ministère de l’Administration territoriale et des Collectivités locales du général Kafougouna Koné, est au courant que ses millions servent à attendre des dossiers « en gestation » pour être engloutis ? Depuis quand des fonds publics, budgétisés et comptabilisés attendent-ils des occasions d’investissements pour disparaître ?

     

    Le plus grave dans cette affaire, c’est qu’aucun conseiller municipal contacté ne se souvient d’un appel d’offres pour la réalisation de ce marché ! En outre, alors que l’argent public prévu pour cette enveloppe concerne directement les investissements, le chapitre 2.2. de la note dit : « … la dotation d’appui technique est destinée par exemple, à la formation des élus communaux et du personnel. La mise à disposition du montant de la composante est subordonnée à l’élaboration d’un dossier/requête de financement. Conformément aux règles qui encadrent la gestion dudit fonds, le dossier/requête de financement, centré sur la décentralisation, doit être élaboré par une ONG et envoyé à l’ANICT pour validation. » Il y a forcément une énigme à solutionner : En quoi des fonds destinés à acquérir des kits scolaires doivent-ils servir à la « formation » des élus communaux ? Iront-ils dispenser des cours aux élèves ? Et pourquoi passer par des ONG pour obtenir ces prétendues formations ? N’est-il pas plus simple d’utiliser ce montant pour fournir en cahiers, livres et autres consommables, les élèves issus de familles défavorisées ? Puisqu’on sait, visiblement, contourner la loi en Commune V, autant le faire pour le bien public…

     

    La seule chose que l’on souhaite aux maires du Mali, c’est que leur nouveau président qui est « économiste » et ajoute cette mention à ses signatures, ne gère pas leur Association avec autant d’opacité et d’amateurisme. On dira alors de lui et d’Abdel Kader Sidibé, un autre cas en matière de gestion bizarre en Commune III, que c’est blanc bonnet et bonnet blanc. En somme, on cherche toujours dans ce Mali de la décentralisation, un maire à la hauteur des préoccupations des populations et propre comme de l’eau de source. Ecoutez, pour vous divertir, ce qu’en disent les rebelles du groupe musical «Tata Pound». Tout y est résumé.

     

    OPTION

     

    NDLR : Nous avons été à la mairie de la Commune V le lundi, 31 mai 2010 pour rencontrer Boubacar Bah dit Bill et obtenir sa version et ses explications. Sa secrétaire, après avoir échangé avec son chef, nous a dit que le maire n’a pas le temps de nous recevoir. Nous avons laissé nos coordonnées, deux exemplaires d’Option et promis d’attendre jusqu’au jeudi 03 juin 2010 à 17 heure, date de bouclage. Il n’a jamais rappelé. Dommage ! Son refus ne nous dissuadera cependant pas de continuer àrechercher l’information pour vous la livrer.

     

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