Afrique : point de salut sans un secteur privé renforcé

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 Alors que l’onde de choc du Covid-19 n’a pas fini de secouer ses économies, l’Afrique doit absolument se donner les moyens de développer son secteur privé.

C’est tout un écosystème qu’il faut bâtir pour favoriser une vraie émergence du secteur privé pour offrir plus de débouchés pour la grande masse des jeunes en fin d’études.

Si l’Afrique reste encore la première zone de croissance pour les années qui viennent, il n’y a point de doute qu’on est encore loin des conséquences économiques et sociales d’ampleur inédites prévues du fait de la crise sanitaire mondiale. La Cnuced, agence de l’ONU qui suit avec précision ces évolutions, anticipe déjà une baisse du PIB de 3,2 % à moins de 1,8 % en 2020 dans le meilleur des cas. Et avec de forts contrastes qui sont autant de facteurs aggravants selon la structure industrielle de chaque pays, que celui-ci soit producteur de pétrole et de métaux ou pas, qu’il possède déjà ou pas des industries de transformation, compte tenu de l’état réel des infrastructures de transport des biens…

Face à l’affaiblissement de la demande mondiale et le tassement des productions industrielles, l’Afrique a plus que jamais besoin de mobiliser son exceptionnelle capacité d’innovation et le très dense tissu d’entrepreneurs qui irriguent le continent, et ce, sans attendre. Au-delà des conséquences immédiates de la crise, le véritable enjeu pour les dirigeants africains est celui de l’avenir proposé aux jeunes de 18 à 25 ans.

Des questions importantes…

Que peut faire l’État ? Quel est le rôle du secteur privé ? Comment le mobiliser pleinement ? Pour accompagner ces mutations indispensables, comment assurer la transformation des États et des administrations pour en faire de véritables stimulateurs du secteur privé qui, lui, est créateur d’emplois et de richesses ? Quel est le rôle des associations et des composantes des sociétés civiles ? Ces questions posent à l’évidence le caractère multidimensionnel des réponses et des solutions à élaborer ainsi que le niveau important de concertation qu’il suppose. En vérité, notre conviction confortée par notre expérience est que les Afrique(s) doivent établir leurs propres diagnostics et prescrire, selon leurs propres visions, les nécessaires solutions.

… auxquelles il faut donner des réponses appropriées

Le point de départ de cette mobilisation est de promouvoir des politiques publiques de renforcement de la participation du secteur privé dans les économies africaines. Elles passent par une amélioration continue de l’environnement des affaires, des stratégies fiscales suffisamment incitatives pour inciter le secteur privé à investir dans les économies locales. Et finalement une politique de formation intensive pour créer la masse d’instruction nécessaire afin de renforcer les capacités des femmes et des jeunes entrepreneurs déterminés à gagner la bataille de la survie et de l’existence.

Il faut ensuite augmenter l’investissement du secteur privé dans des activités précises où l’Afrique a des avantages compétitifs – et où les besoins structurels sont immenses – tels l’agriculture, les infrastructures, l’énergie, l’eau et les services.

Enfin, l’encouragement et la mise en place de moyens de financement novateurs à travers les marchés de capitaux ou de mécanismes de garantie permettront de construire des « champions » africains, véritables chevaux de Troie dans une économie mondialisée pour gagner les batailles de la prochaine frontière que sont l’industrialisation et l’économie numérique.

Compter avec la Zleca…

La signature par la majorité des pays africains, en 2018, de la Zone de libre échange continentale africaine offre finalement la plateforme idéale pour créer l’effet de masse nécessaire avec un secteur privé, non plus organisé par pays, mais bien par région, avec de vraies stratégies d’intégration et de complémentarité économique pour répondre à un marché intérieur de plus d’un milliard de consommateurs aujourd’hui et des projections démographiques qui le situent dans les années 2050 entre 2 et 3 milliards, puis 4,4 milliards en 2100.

Avec l’Europe et la France aussi

Quelle contribution l’Europe et la France peuvent-elles mobiliser pour répondre aux demandes ? Comment s’assurer des conditions de confiance indispensables pour accélérer une croissance réellement inclusive ? Comment faire pour mobiliser de façon concrète, compétitive et équilibrée les entreprises françaises pour apprécier le risque africain de façon plus équilibrée – et sans le surestimer – et rester positif à l’attrait des nombreuses opportunités du continent ? Ceux qui y sont encore présents savent combien, lorsque le risque est géré – pays, devise, gouvernance –, la rentabilité des capitaux employés est bien souvent supérieure à nombre de pays réputés « régulés ».

Ce avec quoi il va falloir compter

Quatre facteurs clés sont à mettre en avant : l’amélioration du climat des affaires, l’accélération de la construction des infrastructures sociales et économiques, l’indispensable facilitation à l’accès aux financements (et aux garanties) et l’encouragement décisif du secteur privé comme acteur majeur de l’emploi et du développement.

Il y a aussi l’emploi qui est la clé de voûte du développement en Afrique. Les jeunes constituent aujourd’hui la majorité des Africains. Il faut créer les leviers nécessaires pour en faire des entrepreneurs et constituer véritablement le secteur privé de demain. La place des jeunes n’est pas dans les rues, mais dans des lieux de formation, en ligne, en coconstruction avec des entreprises françaises et européennes.

La formation indispensable ne doit pas être négligée. Elle permet de régler l’autre frein majeur au développement du secteur privé : le financement. C’est 70 % des quelque 50 millions de MPME d’Afrique qui éprouvent de sérieuses difficultés liées à l’accès insuffisant aux financements.

Un cadre de solutions

Les solutions durables pour relever ce défi doivent intégrer tous les instruments disponibles, et notamment les lignes de crédit, les prises de participations, le partage des risques, les garanties et l’assistance technique. Ces solutions passent nécessairement par une logique de partenariat affirmée entre les gouvernements, le secteur privé et les institutions financières commerciales et de développement pour mettre au point des modèles d’entreprise plus intégrés en coconstruction autour de chaînes de valeur, facilitant ainsi l’indispensable commerce intra-africain.

Un nouveau modèle à mettre en place

Enfin, construire l’Afrique de demain oblige à réfléchir à de nouveaux modèles qui misent sur la technologie. Aujourd’hui avec le digital, les banques commerciales africaines alliées à des opérateurs téléphoniques locaux, avec le support d’institutions financières de développement, peuvent offrir des solutions de microcrédit qui permettent à ces millions de MPME d’avoir accès à du financement à bas coût de manière rigoureuse avec un risque partagé. Développer ce modèle à grande échelle résoudra fondamentalement et durablement l’épineuse question du financement du secteur privé émergent.

Le secteur financier, lui, s’adapte à une vitesse considérable et les programmes des bailleurs se sont réorientés vers des solutions en recherche d’impacts courts avec une approche ouverte au secteur privé tels les différents programmes activés autour de la crise sanitaire par la Banque mondiale avec la Société financière internationale (SFI) depuis avril, ou encore la Banque islamique de développement dont les délais de mobilisation sont réduits.

Le réel enjeu est d’insuffler une culture économique au décideur public et de limiter cette vieille culture issue d’anciennes pratiques qui voit consacrer beaucoup trop de temps aux habitudes institutionnelles au détriment de la stimulation et de l’encouragement du secteur privé.

Une nouvelle approche dans le partenariat

L’Europe et la France restent pour autant mobilisées, non plus pour apporter une « aide au développement » mais bien pour répondre à des besoins identifiés, localisés, en encourageant des solutions régionales – parfois complexes à bâtir – à l’instar de la récente initiative « fasttrack » sur le numérique liée à la réponse au Covid-19. En quelques semaines, ce ne sont pas moins de 5 priorités qui ont été identifiées et chiffrées à hauteur de près de 700 millions d’euros, l’une d’entre elles visant à la continuité des services essentiels.

Cette mobilisation est donc non seulement possible, mais réelle et pragmatique. Un investisseur en infrastructure européen de premier rang annonçait il y a quelques jours consacrer plus d’un milliard d’euros sur les 12 mois à venir pour renforcer la production et la distribution d’énergie dans plusieurs pays d’Afrique(s). La Cemac réunit bientôt ses donateurs à Bruxelles et va mobiliser près de 4 milliards d’euros pour une douzaine de projets. Les exemples se multiplient mais restent encore bien trop inférieurs aux besoins d’équipement et d’infrastructures. Le secteur privé, les entrepreneurs, la jeunesse innovante appuyée par le secteur financier et renforcée par les politiques publiques, voilà un cocktail de solutions qui va placer les Afrique(s), au moins certaines d’entre elles, en champions de la croissance.

Par Paul-Harry Aithnard*, Wilfrid Lauriano Do Rego**, Moussa Mara***, Patrice Fonlladosa****

Source :Le Point.fr

 

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