Le 10 novembre 2022 marque le deuxième anniversaire de la disparition de Amadou Toumani Touré, affectueusement appelé ATT ou encore le Soldat de la démocratie. Qui était l’homme ? Quel a été son parcours de son Mopti natal à Koulouba ? ATT s’était prêté à un exercice inédit de parler de lui-même, dans une interview accordée au journal le Contrat (son organe de campagne lors de la présidentielle de 2007)… Bref, ATT avait tout dit d’ATT. Pour la postérité L’Aube revient sur cette interview inédite.
Monsieur le Président, vos journées de travail sont très longues. Encore à 20h et parfois à 21h et même au-delà, vous êtes encore au bureau. Qu’est-ce qui fait que vous êtes si endurant ?
Par la grâce de Dieu, je dois être endurant au plan physique. Mais je crois aussi qu’il y a une question de tempérament. Et aussi une question d’habitude. En tant qu’instructeur Commando Para, ce n’est pas l’activité physique qui m’a manqué dans la vie. Et pour bien le faire, il faut avoir l’aptitude physique, mais aussi l’aptitude morale. Pour instruire des gens sur le para, le parachutisme de combat, le commando, il faut beaucoup de ressources. Je vais vous raconter une anecdote. Il y a quelques années, je fus contacté par l’Organisation Internationale de la Francophonie pour faire un plaidoyer portant sur les mines anti-personnel.
Pour les besoins de la cause, j’ai dû parcourir plusieurs pays africains et même que je me suis rendu en dehors du continent. A un moment, j’ai dû dire lors de mes conférences que moi-même je suis instructeur spécialisé en explosifs et artifices et que pendant de longues années, j’ai eu à former des gens sur ces engins. J’en ai formé tellement que je ne connais même plus leur nombre.
Lorsque, par la suite, on me charge d’aller dire aux autres que tout ça c’est mauvais, vous comprenez un peu ma gêne et mon embarras.
Je pense aussi que ça tient à la foi que j’ai en ce que je fais et aussi à la confiance que mes compatriotes ont en moi. Chaque jour, je me dis qu’il faut que je fasse davantage pour ne pas décevoir cette confiance. Mais il faut savoir aussi que le vieux soldat que je suis s’entretient beaucoup. En effet, j’ai la chance de disposer d’une salle de sport ici que le Président Modibo
Kéïta a fait construire. On m’a dit qu’il était un grand sportif. Cette salle, je l’ai reprise et trois fois par semaine, les mardis, jeudis et samedis, pendant une heure, je fais un peu de course, de marche et des exercices au sol.
Monsieur le Président, vous êtes un grand sportif. On dit que vous avez joué dans une grande équipe de Mopti.
Mon sport préféré, c’était le football. Mais j’excellais surtout en tant qu’athlète dans les courses de demi-fond et de vitesse. Mais le football restait la grande passion et j’ai tapé dans le ballon aussi bien à Mopti qu’à l’Ecole Normale Secondaire.
Savez-vous que mon père était le président du Bani Club, le rival du club dans lequel je suis finalement allé ? Un jour, je viens voir mon père et je lui annonce que beaucoup de mes camarades étaient sous licence avec le Bani. Alors, pourquoi pas moi, lui demandai-je ? Peut-être que le Bani n’a pas besoin de toi, m’a-t-il répondu. Ah bon ! Par défi, je suis donc allé signer au Sagan club, adversaire du club de mon père. Et c’est là que j’ai donné un peu la mesure de mon talent. J’étais attaquant jouant au poste d’ailier droit. Et si je devais retenir quelque chose de mes performances, je crois que j’avais une pointe de vitesse et aussi le sens du but. Aujourd’hui encore, je suis un grand fan du football et je m’intéresse au différent championnat national, aux championnats européens, au football continental ainsi qu’aux grandes compétitions internationales.
Le dimanche soir par exemple, je ne rate jamais l’émission de foot de Canal+. Je suis avec beaucoup d’intérêt le parcours des Aigles du Mali et leur souhaite beaucoup de réussite.
Vu le potentiel dont nous disposons, nous ne devrions pas nous faire de souci. Mais, malheureusement, il y a ce déclic qui nous manque et je souhaite vivement qu’il arrive enfin au cours des matches qui nous séparent de la qualification.
Monsieur le Président, on vous a toujours entendu « égratigner » vos cousins les Coulibaly, Maïga, Kéïta, Sissoko… Que vous ont-ils fait pour mériter un tel traitement ?
Vous savez, je suis né dans un milieu où la parenté à plaisanterie a une dimension culturelle et sociale très prononcée. Chez nous, à Mopti, il y a plusieurs types de cousinage. Il y a celui qui porte sur les patronymes, mais il y a aussi cette autre forme de cousinage qui se fonde sur les liens de sang. Mieux, il y a même une journée consacrée au cousinage à Mopti. Ce jour-là, vos cousins les plus âgés vous ligotent et exigent une « rançon » pour vous délivrer.
Moi j’ai grandi dans cette ambiance. C’est une valeur fondamentale qu’on rencontre rarement ailleurs et que nous devons transmettre à la postérité. Dans nos contrées, le cousinage a une telle ampleur qu’il mérite qu’on lui accorde de l’importance.
Tout Président de la République que je suis, quand j’arrive dans certaines localités, je me fais interpeller par des chefs de village. « Touré ni, i tè na né fo wa » (Petit Touré, tu viens pas me saluer).
Pas besoin de faire une enquête pour savoir que l’auteur d’une telle interpellation est un Coulibaly. Voyez-vous, le cousinage tel que nous le pratiquons au Mali, est un puissant trait d’union entre les individus et les communautés. Mais c’est surtout une stratégie imparable de prévention et de gestion des conflits.
Et pendant ces cinq ans, moi j’ai sorti la grosse artillerie pour taper sur mes cousins Coulibaly. Je leur ai notamment exigé de voter pour moi, et au regard de mon score, je peux dire qu’ils l’ont fait.
Maintenant, il va falloir que je trouve d’autres cibles pour la période qui s’ouvre. Mais, mon petit doigt me dit que ça risque d’être la fête aux Maïga. La raison est que les Kéïta sont rentrés dans mes bonnes grâces en épousant ma première fille, et les Sissoko, pour leur part, sont mes oncles (la mère de ATT est Sissoko). Reste donc les Maïga pour essuyer mes foudres ! Figurez-vous qu’à chacun de mes voyages à l’intérieur, je reviens avec 60 à 100 kg de haricot, « la chose des cousins ». Le rituel est devenu si rodé qu’à l’accueil, il y a toujours l’eau de bienvenue, la cola et l’ « affaire », à savoir le haricot. Je peux vous dire qu’en cinq ans, j’en ai ramené de mes voyages à l’intérieur du pays au bas mot une tonne.
Pourtant, le haricot n’est pas la céréale la moins chère dans notre pays ! Pour tout dire, la parenté à plaisanterie facilite les contacts humains, contribue à détendre les rapports et surtout ramène le pouvoir à une dimension humaine.
Je me suis laissé aller à ce jeu, et mes cousins m’ont prouvé qu’eux aussi ont le sens de la repartie.
Quand je traverse la Région de Ségou, et jusqu’à Koutiala, les chefs de villages et notables que je rencontre me donnent du « Coulibaly ». Avouez que c’est très sympathique !
Monsieur le Président, vos compatriotes vous désignent majoritairement par vos trois initiales, ATT. D’où vous vient cette appellation devenue si célèbre au point de se transformer en une vraie marque déposée ?
Les initiales ATT, faut pas aller chercher loin, me viennent de l’Armée. L’Armée, vous ne le savez peut être pas, est une entité qui affectionne les initiales et les abréviations. Pour dire Régiment de Para Commando, on dira simplement RPC. De la même manière, on dira RA pour Régiment d’Artillerie ; FSA pour Fusil Semi Automatique ; PA pour Pistolet Automatique ; FM pour Fusil Mitrailleur… Je crois qu’il y avait deux Amadou Touré dans ma promotion : l’actuel Gouverneur de Gao et moi-même. Cela créait une très charmante confusion. Lorsque quelqu’un appelle Touré, nous répondions tous deux en chœur. Qu’une autre personne dise Amadou, encore nous répondions dans un bel ensemble.
Pour remédier à cette situation, c’est le Général Souleymane Sidibé, l’actuel Directeur de l’Ecole de Maintien de la Paix, qui a trouvé la parade en fabriquant pratiquement le label ATT. Et depuis lors, ces trois initiales me sont restées collées. L’appellation a d’abord prospéré au sein de notre promotion de l’Ecole Militaire. Puis, au lendemain des évènements de Mars 1991, les initiales sont devenues une marque déposée. Tout le monde me désigne par ATT y compris certains Chefs d’Etat. Pour la petite histoire, m’adressant un jour au Président Chirac, je lui dis « Monsieur le Président ». D’étonnement, il me dit : « Qu’est-ce qui t’arrive Monsieur le Président ? Tu ne veux plus que je t’appelle ATT ? D’habitude, tu m’appelles
Jacques ». C’est vous dire si le surnom ATT va bien au-delà des frontières du Mali.
On vient de me présenter un enfant qui serait né en 2002, précisément le jour du second tour de l’élection présidentielle. Son père m’a confié qu’il a quitté la maternité pour se rendre à son bureau de vote. Cet enfant voulait coûte que coûte me voir, et moi aussi, j’étais heureux de faire sa connaissance.
Aucun enfant ne m’appelle Tonton ou Papa, tous préfèrent de loin ATT. Mes propres enfants, jusqu’à un certain âge disaient, elles aussi, ATT. Mon petit-fils qui parle à peine ne peut dire ATT ; il réussit à peine à articuler « TT ». Pour le moquer, je lui dis : « TT, c’est pas moi, c’est mon père ! ». Au fond, ATT, ça fait plus intime et affectueux. Je m’en accommode sans réfléchir.
Monsieur le Président, comment expliquez-vous le grand amour entre vous et les enfants ?
Très jeune, à Mopti, j’ai toujours vécu dans les classes d’âge. Aujourd’hui encore, je garde des contacts étroits avec les amis de ma classe d’âge, qu’ils soient à la retraite, qu’ils soient maçons ou pêcheurs, qu’ils soient menuisiers ou chômeurs. On se rencontre chaque semaine pour revivre cette atmosphère. Et lorsque je vais à Mopti, c’est la même chose. Par exemple, j’ai un ami avec lequel j’ai partagé le lit pendant 10 à 15 ans ; il est chanteur dans l’orchestre de Mopti, le Kanaga. Il s’appelle Sékou et il continue à chanter. Depuis le jeune âge, j’ai toujours rassemblé les enfants. Je me suis occupé d’eux en équipe de football.
Je les aime bien. Ils sont si spontanés. Je vois des enfants qui peuvent à peine dire un mot, ils prononcent ATT. Partout où je vais, au Mali, en Afrique ou ailleurs, les enfants viennent à moi. Il y a aussi cet élan qui me porte vers eux. C’est très fort et on saurait difficilement expliquer cela de façon rationnelle. Si les enfants devaient voter, je suis convaincu qu’il n’y aurait pas d’élection au Mali car je gagnerais à tous les coups.
Moi-même, à un certain moment, il faut que je prenne le temps de consulter un marabout Coulibaly ou Kéïta (rires) afin qu’il m’explique la raison profonde de l’attachement des enfants à ma personne. On m’a raconté une histoire très amusante relative à la dernière élection présidentielle. Des enfants étaient à proximité d’un bureau de vote et suppliaient les électeurs de voter ATT au motif que ATT est leur ami.
Entre les enfants et moi, il y a autant de la complicité que de l’affection partagée. Et mon père me disait très souvent que l’enfant aime celui qui l’aime. C’est aussi simple que ça !
Je leur dois tant que tout ce qui les touche ou touche leurs mères est prioritaire pour moi.
Monsieur le Président, dans votre parcours, il y a des lieux, des endroits, des places qui sont si chargés de signification pour vous. Si vous le permettez, nous allons évoquer quelques-uns de ces lieux, en commençant par Mopti. Qu’est-ce que Mopti pour vous ?
Mopti, c’est d’abord la ville de mon enfance. C’est là qu’il y a la majeure partie de mes souvenirs d’enfance. Mopti, c’est aussi la ville du Pagai (la rivière) et du Mayo (le grand fleuve). Mopti, pour moi, c’est aussi la ville des petits métiers. Savez-vous que j’ai été apprenti tailleur ? Pendant les vacances, les enfants pouvaient s’inscrire dans le corps de métier de leur choix, et moi, j’avais choisi la couture. Mon patron vit toujours à Mopti et chaque fois que je m’y rends, je vais le voir. Mais ne me demandez pas de vous coudre une chemise car je suis convaincu que vous ne pourrez pas la porter. Mopti, également, c’est là où je suis né et c’est aussi là que j’ai grandi, que je suis allé à l’école, c’est là qu’il y a mes parents, mes amis… Mopti me rappelle les travaux champêtres.
Enfant, on partait au champ ; on a labouré, planté du riz, désherbé, transporté du riz dans le grenier familial. A Mopti, j’ai fait la pêche collective et la pêche individuelle à la ligne. Dans mon quartier, le Premier Quartier, il y avait beaucoup de bozos et de somonos.
Certains sont même mes parents… Quand j’évoque Mopti, je trouve les racines profondes de mon attachement à la terre et aux autres activités du secteur primaire. Sofara, à moins de 100km de Mopti, complète mon histoire avec Mopti. J’y ai de nombreux amis, beaucoup de souvenirs des lieux de jeux… A Sofara, j’étais plutôt éleveur. J’avais des amis des villages environnants qui étaient bergers d’occasion, je les accompagnais au pâturage, on se promenait dans la brousse. En outre, chaque jour, je devais aller au parc pour chercher l’abonnement familial de lait qui était de 2 litres. J’avais plaisir à regarder le berger traire les vaches et à boire le lait tout chaud recueilli dans la petite calebasse. Pour tout dire, l’élevage m’a beaucoup marqué. D’autre part, je suis petit fils et fils d’opérateur économique.
Moi-même, j’en connais un bout des ficelles du négoce. De Sofara, nous allions très souvent, à pied, au bord de la route bitumée. C’est un parcours de 4km, sur une route latéritique. Naturellement, nous nous cachions. A notre retour de cette randonnée pédestre, on devait aller directement à la rivière pour nous laver proprement les pieds. Il fallait éviter, à tout prix, que mon oncle sache que j’étais allé au bord de la grande route pour regarder les gros camions en partance pour San.
Vous ne pouvez pas imaginer combien j’étais heureux le jour où je suis retourné à Sofara pour donner le premier coup de pioche pour le bitumage de cette bretelle de 4 km. Si quelque chose préoccupait les populations de Sofara, c’était bien le bitumage de cette bretelle. Lorsque je me retrouve Président de la République, en train de réaliser ce vœu vieux de 30, 40 ans, cela fait particulièrement chaud au cœur. Et je me suis dit : « Tiens, j’ai relevé un défi de mon enfance».
Bandiagara ?
Mon grand-père est de Bandiagara ; il s’appelle Boubou Sissoko. Son père s’appelait Famory dont nous reparlerons plus tard. Ma mère est de Bandiagara. Il y a une très grande famille de mes oncles et de mes tantes à Bandiagara. Je n’ai pas connu ma maman ; j’e l’ai perdue très tôt tout comme mes deux sœurs. D’elles, je n’ai que des images floues. Maman a été inhumée à Bandiagara. Plus tard, on m’a raconté que lorsque sa maladie a atteint un certain stade, on l’a amenée à Doucombo, près de Bandiagara, pour essayer des thérapies locales. Vous savez, mon père et moi, nous étions très proches et il me racontait beaucoup de choses.
Mais, il s’est toujours refusé de me parler de ma mère et de mes deux sœurs. Quand il a perdu ma mère et mes deux sœurs, ça dû être une épreuve dont il ne s’est jamais remis. Je n’ai jamais voulu lui faire de la peine en lui exigeant de me parler de ces trois personnes.
Surtout que j’ai eu, entre-temps, une autre maman qui a été particulièrement à la hauteur. C’est au courant de la première semaine d’avril 1991, alors que je venais d’arriver aux affaires, que j’ai décidé d’aller à Bandiagara voir la tombe de ma mère. Sur le chemin, j’ai averti mon père de mon projet. Je me suis rendu chez mes oncles qui m’ont accompagné sur la tombe de ma mère.
Mes oncles et mes tantes m’ont souvent rappelé que lorsque mon père a senti la disparition prochaine de sa femme, il a fait un voyage à Bandiagara au cours duquel je l’ai accompagné. De ce voyage, je n’ai aucun souvenir. Il parait que pendant ce voyage j’ai commis un acte terrible. Le chauffeur qui nous a embarqué, Mamadou Coulibaly, conduisait un gros camion de marque T45. J’étais installé entre mon père et le conducteur. Celui-ci effectuait des arrêts fréquents pour tirer sur des pintades. Il y en avait tellement à cette époque. A un moment du trajet, semble-t-il, le fusil chargé était resté coincé entre le conducteur et moi, et tout occupé à conduire, celui-ci ne s’est pas aperçu que j’avais pressé sur la détente. Et le coup est parti ! Il parait que ce bon monsieur Coulibaly a crié : « Mais Toumani, prends ton enfant sinon il va nous tuer ». De cet incident aussi, je n’ai aucun souvenir. Mais le plus important, c’est que nous sommes partis à Bandiagara. Ma mère m’a vu, m’a touché et on s’est séparés. Ce fut la dernière fois que je l’ai vue. Depuis, chaque fois que je suis dans les environs, je fais un pèlerinage sur sa tombe que certains de mes amis sur place ont aménagée. J’y vais maintenant une fois par an. Souvent, j’y vais en famille.
Pour être complet sur Bandiagara, il faut rappeler l’épopée de Famory Sissoko, le grand père de ma mère. C’était un résistant enrôlé très jeune dans l’armée d’El hadj Omar Tall.
Aux dires de ceux qui l’ont connu, c’était une personne très impétueuse, de l’âge de certains enfants d’El hadj Omar. Il venait de Logo Sabouciré, dans la région de Kayes. Logo Sabouciré, il faut le rappeler, est très célèbre dans l’histoire de la conquête coloniale du Soudan pour être la porte d’entrée des troupes françaises vers 1878. Le père de Famory a été tué lors des tout premiers affrontements entre les troupes coloniales et celles de la résistance. Par reconnaissance ou par amitié pour El Hadj Omar Tall, le jeune Famory a été confié au grand résistant. Il a gravi tous les échelons de l’armée toucouleur jusqu’à atteindre le grade de général. Famory est le fondateur de la lignée de mes oncles à Bandiagara.
Un jour, je vais à Bandiagara. J’étais ancien chef d’Etat engagé dans la lutte contre la dracunculose. Une équipe japonaise arrive pour faire des forages dans la zone de
Bandiagara. Un village est choisi au hasard pour accueillir le premier forage. J’arrive et embarque mon oncle pour aller sur les chantiers. On est dans un petit village à environ 5- 6 km de Bandiagara. Moi-même, j’inaugure le forage. A un moment, mon oncle me prend de côté et me dit : « Sais-tu où nous sommes ? ». Non ! « Ici, c’est Saré Famory, me dit-il, le village de Famory. C’est là qu’il y avait le poste avancé de l’Etat-major de Famory, en charge de l’une des quatre grandes portes qui assuraient la sécurité de Bandiagara ». Mon oncle me demande aussi comment se fait-il que j’ai choisi ce village. Je lui réponds que c‘est pur hasard et que dans cette affaire, je n’avais strictement rien décidé. On a chahuté ensuite et on est repartis. C’est dire que parfois, tout ne peut être pur hasard, il y a souvent la main du destin.
Tombouctou ?
A un certain moment de mon enfance, il semble que mon père me choyait un peu trop. On peut le comprendre, c’est humain qu’il porte beaucoup d’affection sur moi suite à la disparition de ma mère et de mes deux sœurs. Mes oncles et mes tantes en ont pris conscience et se sont dit : « Si nous ne séparons pas Amadou et Toumani, celui-ci ne sera rien dans la vie». C’est ainsi que mon oncle Amadou Sissoko, instituteur de son état est venu me chercher pour Tombouctou.
Aujourd’hui, j’ai beaucoup d’amis à Tombouctou tels l’imam de la mosquée de Djingareber, Tidiane Ascofaré et bien d’autres. Pour tout vous dire, la plupart des notables de cette ville sont mes amis d’enfance.
Pour la petite histoire, lors d’un de mes voyages à Tombouctou, en tant que Président de la République, j’ai retrouvé ma classe et la place que j’occupais à l’Ecole Régionale. Par contre, je ne suis pas sûr que le table-banc était le même. Ce jour-là, par coïncidence, il y avait une opération de restauration de l’école et vous imaginez bien que j’étais heureux de participer à l’opération en apportant ma modeste contribution.
Tombouctou, c’était l’adolescence. On était à la fin des années cinquante.
Le commandant de cercle était français. Il y avait un camp militaire et des unités coloniales françaises sur place. La mosquée de Djingareber séparait notre maison du camp. L’une de mes attractions, c’était d’aller au camp. Pour ce faire, je me suis même débrouillé pour avoir des amis parmi les enfants de militaires. J’y allais donc régulièrement.
L’allure du camp exerçait sur moi une grande fascination. Les soldats étaient des gens biens habillés, costauds et aimant l’ordre. Chaque fois que je le pouvais, j’assistais à la relève de la garde. A partir de là s’est forgée une vocation, celle du métier des armes. Tombouctou, dans ma vie d’adolescence, m’a laissé une grande marque d’amitié. En plus, c’est là aussi que j’ai appris à parler la langue sonrhaï.
Riazan ?
Riazan est une étape importante dans ma formation militaire. J’étais au Bataillon de Commando Para à Djicorono et il a été décidé que j’aille faire un cours supérieur à Riazan.
C’est une des plus grandes écoles de parachutisme au monde. Le Général Lebed et la plupart des généraux soviétiques sont des produits de Riazan. Là, j’ai fait un cours supérieur de Commandant de Compagnie, de Chef de Bataillon et aussi, tout naturellement, de saut en parachute. Je suis resté deux années. L’hiver y est particulièrement rude et nous pratiquions le ski. Je reste très lié à cette école. D’ailleurs, chaque fois qu’une délégation russe arrive au Mali, l’école de Riazan s’arrange toujours pour m’envoyer un petit souvenir. Une fois, une télévision russe est même venue à Bamako pour s’entretenir avec moi sur mon passage à Riazan.
Pratiquez que vous le russe ?
Pas bien, j’avoue ! Je n’ai pas l’occasion de pratiquer très souvent et forcément j’oublie. Mais quand on parle russe à côté, je comprends.
Les jours où je suis inspiré, je peux même aligner quelques mots. Pour la petite histoire, lorsque j’ai rencontré la Secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, nous avons échangé quelques mots en anglais, mais ça n’a pas franchement marché.
Mais dès qu’on a essayé le russe, alors là, on s’est compris tout de suite. Je parle mieux le russe que l’anglais.
A Riazan, j’ai rencontré beaucoup d’officiers venant d’Iran, d’Irak, du Viet-Nam, de la Chine, du Congo, de l’Angola, de l’Ouganda… L’Union Soviétique, il faut le dire, a joué un rôle de premier plan dans la formation des cadres militaires et civils de nos pays. Chaque fois que je rencontre une délégation russe, je ne manque pas de lui dire combien ce beau pays nous a rendu service.
Prenons le Conseil des Ministres du Mali et voyons autour de la table le nombre d’anciens de l’Union Soviétique. Et même dans mon propre cabinet. C’est impressionnant !
A suivre…
Propos recueillis
Par Diarra Diakité
(Le Contrat No 20 du jeudi 07 juin 2007)