Témoignage de Tiébilé Dramé à l’ occasion des funérailles de Soumeylou Boubèye Maïga « Il quitte l’arène à un moment de dures épreuves pour le Mali. Faisons ensemble le vœu que sa mort soit une délivrance! »

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Il était écrit que tu allais quitter l’arène à la veille du 31è anniversaire de la révolution démocratique qui a mis  fin à l’autocratie, à la dictature du parti unique et à la personnalisation du pouvoir .

Toi qui as consacré toute ton énergie juvénile, toute ta force d’adulte à

l’ avènement et à la consolidation de la démocratie pluraliste dans ce vieux pays.

Quand tu entrais en scène, au milieu des années 1970, ce pays était une jungle, une brousse lointaine sans père ni mère, « wulajan fantan ni a bantan »!

Quand tu entrais dans l’arène, le président Modibo Keïta, le Danko du peuple malien, venait de mourir dans une cellule du camp des parachutistes aux portes de Bamako.

Quand tu entrais en scène, les gisements de sel de Taoudenit dans le Tanezrouf malien, un des déserts  les

plus inhospitaliers de la planète,  avaient été transformés en camp de détention où allaient périr, dans des conditions infra humaines,  des vagues successives d’opposants militaires et civils à la junte d’alors.

Quand tu entrais en scène, le Professeur Abdramane Baba Touré, notre grand maître et les leaders du Parti malien du travail ( PMT) venaient de purger leurs peines qui à Yelimané, qui à Doïla, qui à Mineka….

Quand tu entrais en scène, le Professeur Ibrahima Ly, Thierno Yaya, et ses camarades du Regroupement des patriotes maliens étaient dispersés aux quatre coins du territoire , qui à Boughessa , qui à Tessalit, Adjel Hoc( Kidal), qui à Innakounder (Tombouctou) qui à Niono!

Quand tu entrais en scène, il y avait eu la « farce électorale du 2 juin 1974 » et la répression des manifestations estudiantines contre la junte d’alors!

Quand tu entrais en scène, Victor Sy avait été trimballé de prison en prison, Karamogo Vézéro avait fini le tour du Sahara!

Tu étais dans l’arène quand Cheikh Oumar Tangara, Abdoul Karim Camara Cabral et Sory Ibrahima Thiocary sont morts sous la torture et sous les balles.

Tu étais dans l’arène quand les leaders de la puissante contestation scolaire et estudiantine ont été envoyés à Kidal et Boughessa…quand les ténors  du syndicat indépendant des enseignants ont été jetés sur les routes de l’exil intérieur …. à Mineka, Ouatagouna, Haoussa Foulane, Tessit, Intilit, Telataye, Bambara-Maoudé, Raz El Ma…..

Après Gao, le Lycée de Badalabougou, le bac en Lettres Classiques en poche,  tu as choisi d’aller étudier le journalisme à Dakar,

L’homme que tu es devenu nous est revenu de Dakar, cette cité d’où  on ne revient jamais indemne. A partir de là, tu es devenu « Musabilen.  Aux contacts de patriotes engagés comme Mamadou Lamine Gakou: la préparation, le transport, la diffusion sous le boubou  du « Bulletin du Peuple » devenu un « organisateur collectif » .

Et puis, un jour de 1986, au plus fort du règne du parti unique , Musabilen est sorti de l’ombre: le face à face avec le Général  Moussa Traoré fut fracassant et mémorable. Un frêle militant du SNIPIL ( syndicat du livre et de la

presse) de 32 ans, rédacteur en chef de « Sunjata » mettait à nu les conséquences de l’ajustement structurel sur les travailleurs du Mali.

Ce fut un des moments héroïques de la

lutte patriotique du peuple malien.

Ce moment, nous le devons à ton courage, à la profondeur de ton engagement pour le Mali.

De ce jour, jusqu’à la victoire du peuple, à l’aube du 26 mars 1991, tu as été au cœur de l’évolution politique du Mali.

La III ème République, fille de la révolution démocratique est née de la

résistance multiforme des démocrates et des patriotes maliens de tous bords.  C’est la somme de ces luttes, tel un impétueux cours d’eau qui s’appelle le

Mouvement Démocratique:  les protestations des étudiants de

l’ ADEENSUP dès les premières heures du coup de novembre avec Alpha Konaré, Charles Dagnoko, Gaye Boubacar, les  grèves des travailleurs de l’UNTM d’alors ( Bougouri Diatigui Diarra), du SNEC ( Zoumana Maïga, Mamadou Sarr, le Proviseur, Sidiki Diarra, Abdoulaye Barry, Amara Cissé), les sermons attendus de Mgr Luc Sangaré,  l’ UNEEM, la Commission des enseignants, l’ AMDH et Me Demba Diallo, le Ciné-Club Askia Nouh, l’ Association Nelson Mandela,

l’ ADIDE, l’AJDP,  la JLD, le CNID-Association, l’ ADEMA-Association,

l’ AEEM, les groupes et partis politiques clandestins, « Sanfin », l’Union de lutte Tiémoko Garan Kouyaté ( UGTKL), la presse libre, Jamana, la Roue, Les Échos, l’Aurore…..Le peuple malien n’a pas courbé l’échine tout au long de la nuit qui a duré près d’un quart de siècle….

Musabilen, tu as été au centre de ces combats à un titre ou à un autre. De la dictature à la IIIè République en passant par la transition démocratique, aux premières loges avec toujours le Mali à cœur.

Avec ta famille biologique solidaire. Les mamans Fadi Samaké et Kadidia Cissé en première ligne. Les syndicalistes déportés à Gao dans les années 1980 peuvent témoigner de leur générosité.

Il y a eu la IIIè République et l’exercice  du pouvoir d’État qui n’a pas été un fleuve tranquille….

Seydou Badian Kouyaté, essayiste, romancier, dramaturge, homme politique et homme d’État a mis dans « La mort de Chaka » ces paroles lourdes de sens dans la bouche du chef de guerre Zoulou:

« Je sais une chose, c’est que le pouvoir est comme une source claire et limpide. On la regarde, on s’y regarde, on admire sa limpidité; mais au fond de cette source, le sable n’est pas toujours pur…. ».

Le devoir d’inventaire qui s’impose à nous doit être nécessairement couplé avec  la lucidité de distinguer la part de lumière et d’ombre qui sommeille en chaque être humain.

Il nous faut assumer nos erreurs et nos fautes et ne pas laisser à d’autres, trop mal placés, le soin de l’inquisition.

Ne pas raser les murs, assumer le bilan, rassembler tous ceux qui se reconnaissent dans les idéaux et les acquis de mars, telles sont les tâches aujourd’hui et maintenant, demain et après-demain!

La mort de Soumeylou Boubèye Maiga, est une immense perte.

Mais, je sais que tu n’aurais pas aimé qu’on te pleure.

Les annales maliennes retiendront le nom d’ Abbas Sidi Ahmed Ben Wahab plus connu sous le sobriquet d’Abiche comme un symbole de fidélité tant il est resté attaché à y’a personne jusqu’à la dernière minute.

Ces derniers mois, il a été le seul à avoir accès au détenu de la Polyclinique Pasteur chaque jour jusqu’à ce lundi 21 mars fatidique quand il l’a aidé à prendre son ultime petit-déjeuner avant d’aller, chercher en librairie,  un livre qu’il souhaitait lire.

C’est pendant cette courte absence qu’ Azraël,  l’Ange de la mort,  a pénétré dans la salle 114 de la Polyclinique  emportant un homme qui a été, indubitablement, un des acteurs majeurs de l’évolution  du Mali au cours des 45 dernières années.

Devant de jeunes cadres éplorés, Abiche a confirmé mardi dernier que Soumeylou, n’aurait pas aimé qu’on le pleure. Une heure avant de quitter ce monde, il avait intimé à son fidèle compagnon de sécher ses larmes.

Sa grande satisfaction, serait que des jeunes se lèvent de partout pour assurer  le relais du combat qu’il a mené jusque là.

Il quitte l’arène à un moment de dures épreuves pour le Mali. Faisons ensemble le vœu que sa mort soit une délivrance!

Nous sommes à l’orée du mois saint du Ramadan, sur une terre d’islam et de vieilles civilisations.

Faisons ensemble le vœu que les souffrances que Soumeylou a subies tout au long de la maladie, son sacrifice et son martyre servent à réconcilier les Maliens, et nous aident  à sortir de la crise qui cloue notre pays au sol.

Pars en paix, camarade!

Le Mali pour lequel tu t’es tant battu, pour lequel tu as consenti tant de sacrifices, pour lequel tu t’es donné tant de peines, ce Mali ne se disloquera pas, il se relèvera, il se réconciliera. Pars rassuré.

Je souhaite ardemment que ta mort, au lieu de nous diviser davantage, contribue, dans un ultime sursaut, à rassembler les filles et les fils de notre vieux pays pour le sortir des crises en cours et lui permettre de retrouver le chemin de la stabilité.

Dors en paix, Ism.

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LES ENFANTS DE SOUMEYLOU BOUBÈYE MAÏGA DURANT SES OBSÈQUES :

« Tu vas laisser un grand vide mais heureusement que la mort n’arrête pas l’amour »

Cher père,

Le premier homme de la vie de tes filles, super-héros de tes garçons. Tu as été un homme avec grand H. Un homme bon, généreux, humble, exemplaire, courageux. Ta tolérance, ta force de caractère, ta résilience, ta détermination, ta droiture, et ton sens du partage nous a toujours laissé admiratif. Plus qu’un pilier tu étais notre socle.

Tu as toujours été là pour nous et pour tout le monde d’ailleurs. C’est un privilège et un honneur de t’avoir eu comme père. Ce père aimant, attentionné, disponible, protecteur, respectueux et ouvert d’esprit. Tu étais un ami, un conseiller, un confident. Cela peut surprendre mais tu étais aussi ce papa drôle.

Tu vas laisser un grand vide mais heureusement que la mort n’arrête pas l’amour. Tu as toujours cru en chacun de nous et tu nous as poussés vers le haut. Tu as été ce père qui nous appris le sens du travail. Tu faisais tout ce qui étais en ton pouvoir pour que nous puissions atteindre nos objectifs et réaliser nos rêves.

Tu disais assez souvent: si vous êtes bien instruits et bien éduqués, je ne crains rien car je sais que partout où vous serez dans le monde vous pourrez vous en sortir. On aurait aimé que tu sois encore là pour pouvoir assister à nos différents accomplissements. Merci d’avoir cru en nous quelques soit nos différents potentiels et ambitions. Merci de nous avoir rassuré quand nous doutions, de nous avoir appris que rien n’était hors de portée à condition de travailler pour.

Tu disais que l’homme est l’enfant de l’obstacle – et les obstacles tu en as eu mais tu es toujours resté digne et tu as toujours su garder ta légendaire sérénité – le calme personnifié. Tu nous quitte sans avoir aucune dette morale envers nous, bien au contraire. Nous sommes plus que jamais fiers de toi et de porter ton nom.

“Qu’Allah nous donne la force morale pour surmonter cette épreuve. C’est un exercice de patience.” Une phrase que tu nous a souvent répéter également ces 7 derniers mois. Tu avais à toi seul la force morale de 1000 hommes. Certains disaient même que ton cerveau était programmé pour résister et ça tu l’as démontré tout au long de ta vie.

La veille de ton rappel à Dieu tu nous as dis que tu ne regrettais rien et que si tu t’étais dérobé face à la justice tu n’aurais pas pu vivre en paix. Aujourd’hui certes tu n’as pas survécu mais tu es parti pour tes convictions. Grand commis de l’état,

tu étais sur pied pour aller répondre à l’appel et c’est ton corps qu’ils nous ont remis.

Tout ce que tu as demandé c’était d’être jugé et blanchi car pour toi le plus important était que tu ne voulais pas léguer cet héritage à tes enfants et petits-enfants. Malheureusement c’est comme ça que ça se termine. Personne ne mérite le traitement qu’on t’a infligé et saches qu’on se battra pour que tu continues à être fier de nous.

Toute ta vie tu t’es battu pour le Mali et aujourd’hui tu nous quitte pour le Mali. Tu auras lutter jusqu’au dernier souffle et tu es parti avec la tête haute – avec toute ta dignité et toute ta fierté. Nous savons qu’aujourd’hui, tu es enfin en paix.

Tu nous disais aussi qu’on ne peut pas avoir peur de Dieu et avoir peur des hommes. Nous vous affirmons que notre famille n’a peur que de Dieu. Nous croyons en Lui pendant les bons et les mauvais moments – telles sont les valeurs que tu nous as inculqué. Et au-delà de tout nous croyons également en la justice divine.

Nous sommes heureux de te savoir parmi tes chers parents, tes frères, tes camarades de lutte et notre cher frère, Idi – qui t’aura précédé d’un an, un mois et un jour. Éternels complices, tu lui avais allumé une bougie de ta chambre d’hôpital pour les 1 an de son décès. Reposez désormais en paix.

Qu’Allah t’accorde un voyage paisible vers le Paradis. Que la terre te soit légère – gentil Papa. Qu’Allah te préserve des châtiments de la tombe, qu’il te pardonne et t’accorde les bienfaits de l’au delà ainsi que le plus haut degré du paradis. Notre petit Papa on t’aimait, on t’aime, on  t’aimera toute notre vie et après ça aussi.

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