Souleymane Koly n’est plus : l’Afrique touchée en plein cœur de sa vitalité artistique

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L’Afrique pleure encore l’un de ses dignes fils, un enfant prodige doté d’un talent hors pair dans la création artistique : Souleymane Koly ! Ce baobab s’est couché le vendredi 1er août 2014 à Conakry (Guinée), victime d’une crise cardiaque. La mort a ainsi frappé le continent en plein cœur de sa vitalité artistique.

 

 

Souleymane Koly créateur du célèbre groupe Koteba
Souleymane Koly créateur du célèbre groupe Koteba

Mais, la sinistre victoire de la grande faucheuse se limite à la disparition physique de l’artiste qui demeure immortel par sa colossale création léguée à la postérité. Grâce à son immense talent et sa pédagogie, il a permis à l’Afrique de conserver des pans entiers de sa culture, d’enrichir l’art contemporain universel. Il a aussi donné l’opportunité à des générations de se passionner pour l’art et de vivre de leurs talents. Chorégraphe, metteur en scène, mécène, entrepreneur et producteur guinéo-ivoirien, Souleymane Koly est décédé le vendredi 1er août 2014 à Conakry (Guinée).

 

 

Cette figure emblématique de la culture en Afrique, célèbre notamment pour ses créations mêlant théâtre, musique et danse, s’est discrètement éclipsée à l’âge de 69 ans, à la veille de son 70ème anniversaire ! «Il a eu une soudaine attaque cardiaque après avoir fini de prendre son petit déjeuner… Il est décédé quelques minutes après son malaise», témoigne son neveu, Fidel Momou.

 

 

Né le 18 août 1944 à N’Nzérékoré (à environ 1000 Km de la capitale Conakry, au Sud de la Guinée), Souleymane Koly Kourouma a consacré l’essentiel de sa vie à la culture dans son pays de naissance, mais également en France, où il a étudié et en Côte d’Ivoire où il était régulièrement établi jusqu’à ces dernières années. Depuis 2011, d’après son entourage, «il vivait à cheval entre Conakry et Abidjan». Après un Bac scientifique en Guinée, Souleymane Koly s’était rendu en France pour y poursuivre des études en Sociologie et Sciences sociales appliquées dans les années 1960. La tête pleine de projets, il s’est installé en 1971 à Abidjan.

 

 

«La Côte d’Ivoire étant le lieu d’immigration traditionnel des gens de la région forestière, j’y avais des cousins ainsi que beaucoup d’amis ivoiriens. C’est ce qui nous a poussés, mon épouse (une Malienne) et moi ainsi que notre premier fils à aller en Côte d’Ivoire en 1971», expliquait-il à confrère guinéen de L’Indépendant (Guinée) en janvier 2013. Et la scintillante Cité de la Lagune Ebrié (Abidjan) lui a servi de tremplin pour bâtir sa solide réputation «d’homme de culture».

 

 

Danseur, chorégraphe, comédien, metteur en scène, musicien, producteur, auteur… il a servi l’art dans presque toutes ses composantes. Et ce fils prodige de l’Afrique a aussi été un responsable de l’Institut national des Arts de la Côte d’Ivoire et expert pour le gouvernement ivoirien. Sans compter que, depuis le milieu des années 1980, Souleymane était consultant auprès de certains gouvernements africains et de diverses organisations internationales dont l’Unesco et l’Union européenne. Et jusqu’à son décès, le vendredi 1er août 2014, il était «Conseiller spécial» chargé du développement culturel au ministère guinéen de la Culture.

 

Précurseur du Kotéba moderne

 

L’art, notamment le théâtre, Souleymane Koly ne le concevait que dans sa conception traditionnelle, populaire, donc plus accessible aux populations. Une vision qui l’inspire à créer «L’Ensemble Kotéba d’Abidjan» en 1974. «En plus de faire parler les comédiens dans les langues africaines et en français populaire, nous empruntons à tous les arts de la scène, notamment au théâtre, à la danse, à la musique, au chant…», expliquait Souleymane Koly sur le site d’Africultures.

 

Koly Kourouma et l’Ensemble Kotéba ont connu un grand succès en Afrique et dans le monde à travers de nombreuses tournées avec plus de 20 spectacles dont «Adama Champion», «Eh, Didi Yako». Une grande réussite qui pousse le metteur en scène à lancer «Les Go du Kotéba» en 1993. «Dans cet ensemble, il est arrivé un moment où des éléments étaient plutôt compétents en danse, d’autres en musique et le groupe créait la plate-forme où ils pouvaient développer leurs talents de façon plus large. C’est ainsi qu’en 1992, on a cherché les moyens pour produire le premier album de trois jeunes filles (Maté Keïta, Gnama Kanté et Hawa Sangho) qui étaient particulièrement compétentes dans le domaine du chant. Leur premier album est sorti en 1993. Et nous avons créé les Trois Go de Kotéba. Les Trois Go existaient en tant que groupe, mais étaient partie intégrante de l’ensemble. Elles participaient aux spectacles de l’ensemble tout en menant une carrière spécifique de chant», révélait-il.

 

 

Ce trio féminin de chanteuses-danseuses, va vite se bâtir une grande réputation en Afrique de l’Ouest. Koly est aussi le fondateur de la formation de danse contemporaine, «Le jeune ballet d’Afrique noire» en 1996. Koly et une grande partie des membres de l’Ensemble Kotéba figurent dans la distribution d’un film à succès dans de nombreux pays francophones. Il s’agit de «La vie platinée» du Français Claude Cadiou. Une œuvre qui évoque «le quotidien truculent d’une troupe de musiciens et danseurs appelés à se produire en France mais sans argent pour payer le voyage».

 

 

Entre tristesse et émotion

Cette figure emblématique de la scène artistique et culturelle de l’Afrique et de la francophonie a reçu plusieurs prix et distinctions honorifiques en Côte d’Ivoire, en France, et ailleurs dans le monde. Depuis l’annonce de cette triste nouvelle, les témoignages inondent les médias traditionnels et surtout les réseaux sociaux. Tous reconnaissent en Souleymane Koly, «ce talent engagé qui a «entièrement consacré sa vie à la promotion des valeurs culturelles du continent africain…». Son décès est «une triste nouvelle pour le monde du théâtre», a réagi (sur son compte Twitter) Mme N’Diaye Ramatoulaye Diallo, ministre de la Culture.

 

 

Le témoignage d’Alioune Ifra N’Diaye, qui l’appelle affectueusement «Papa Souleymane Koly», est non seulement très émouvant, mais suscite aussi l’espoir d’un héritage laissé en de bonnes mains. Pour ce talentueux réalisateur et ambitieux entrepreneur culturel, «Adama Champion» et «Ladji Kabako» sont des références éternelles au point de vouloir écrire le «remake» du spectacle. «Ce spectacle m’a construit et m’a donné envie de faire le métier que je fais aujourd’hui. Et Papa Souleymane Koly, sans m’avertir, s’en est allé», écrit Alioune sur sa page Facebook. Très nostalgique et mélancolique, il promet : «Sache, Papa Souleymane Koly, que je fais partie des graines que tu as plantées en Afrique. Nous serons des baobabs comme toi et ferons d’autres graines qui seront des baobabs. Et l’Afrique va continuer à compter dans la culture».

 

 

Avec le décès de Souleymane Koly, disparaît sans doute une légende de la culture mandingue voire africaine, se couche un baobab de la culture universelle. Mais, ce n’est pas «une bibliothèque» qui a entièrement brûlé, comme le craignait souvent l’autre très regretté Amadou Hampaté Bâ, parce qu’il a partagé son savoir et savoir-faire, son expérience et sa sagesse avec toutes les générations qui ont eu à le côtoyer sur les scènes, dans les coulisses… ou dans la vie de tous les jours.

 

 

Sa mort est donc un immense défi pour ses nombreux héritiers qui ont la redoutable mission de reprendre le flambeau pour perpétuer son œuvre colossale et intemporelle, de garder la «bibliothèque» vivante pour que les futures générations puissent y puiser l’inspiration indispensable à la consolidation du rayonnement des arts africains, de la culture universelle.

 

 

L’illustre créateur laisse derrière lui une veuve, des enfants et de nombreux disciples inconsolables. Dors en paix «Papa» !

 

Moussa BOLLY

 

 

Kotéba, une expression démocratique

Fondé en 1974, à Abidjan, l’Ensemble Kotéba d’Abidjan est une troupe de «théâtre total» par Souleymane Koly. Le Kotéba est un genre théâtral traditionnel originaire du Mali qui tient de la satire socio-politique, tout en recourant au chant et à la danse.

«L’Ensemble Kotéba conjugue l’Afrique au futur dans un esprit pluridisciplinaire et fédérateur», écrivait un critique à l’occasion du 40ème anniversaire de la formation mythique. En 40 ans, elle a présenté 25 créations, produit 3 spectacles et 5 albums, et formé plusieurs centaines d’artistes dans des disciplines comme le théâtre, la danse, la musique… À l’ensemble, se sont greffés un groupe musical, «Les Go de Kotéba» et une compagnie de danse contemporaine, «Le jeune Ballet d’Afrique noire».

 

 

«Mon premier contact avec le Kotéba est venu d’un livre. C’était le mémoire du diplôme d’études supérieures d’un Sénégalais qui s’appelait Bakary Traoré, qui a soutenu à l’Université de Bordeaux en 1958. Il y parlait de ce théâtre typiquement africain qui n’avait rien de quelque chose d’importé. Donc, l’intérêt pour moi, c’était que c’est fondamentalement africain. Puisqu’on dénie à l’Afrique l’existence d’un théâtre», expliquait Souleymane Koly à un confrère guinéen en janvier 2013. «C’est aussi un théâtre de critique sociale. Le Kotéba malien pourfend les travers sociaux et prend la parole pour dire un peu ce qui ne va pas bien, mais toujours sur le ton humoristique, cet autre aspect m’intéressait», avait-il ajouté.

 

Mais, le jeune metteur en scène était aussi fasciné par le fait que ce spectacle mélange la musique et la danse. «Une sorte de préfiguration de la comédie musicale», décrie-t-il dans l’entretien accordé au journal L’Indépendant de la Guinée. Kotéba veut dire, en bambara, le grand escargot. Mais, selon Souleymane Koly, on peut aussi l’interpréter comme «Ko o tè ban», pour «Rien ne finira jamais».

 

 

Et l’artiste/sociologue de conclure : «En fait, aucune vérité n’est absolue. Je pense que c’est cela même la base de la démocratie et de la tolérance. Tu as une vérité, j’en ai une autre. Tu as une part de savoir, mais ne crois pas que tu sais tout…Donc, accepte que je puisse te critiquer. C’est un peu cela la base du Kotéba». Son Kotéba posait «la problématique du développement de la Côte d’Ivoire. Nous étions dans les années 70, dans Abidjan qui était en pleine gestation. En tant que créateur artistique et sociologue, l’intérêt pour moi, c’était d’observer ce laboratoire en gestation dans une ville très cosmopolite avec des gens qui viennent de divers horizons, de différentes ethnies et différentes nationalités ; des gens qui ont des tas de formes d’expressions. C’était important de suivre cela et que mon Kotéba en soit le reflet». Comme lui-même a été le parfait et sublime reflet de l’Afrique dans sa vitalité culturelle et artistique !

M.B

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