Page Noire/ Hommage à Mohamedoun Barema Bocoum

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Il y a une vingtaine de jours, Amadou-comme on l’appelait affectueusement, me confiait au téléphone, en substance: « aujourd’hui, je me sens mieux, comme une personne normale, en bonne santé, qui n’aurait jamais eu de problème. Avec le temps, certains moments s’effacent de votre mémoire. Vous perdez peu à peu la peur de la maladie même si vous ne la perdez jamais totalement» .

Il est décédé hier à Rome, vers 17 heures.                                      

Ah oui, stylé comme pas un, professionnel jusqu’au bout des ongles.                       

Une économie de moyen, une droiture, une politesse du parcours, qui font contraste avec les gesticulations avides, les désordres précipités, le brouillon de nos « batteurs de tapis» de l’heure.         

Cher Bocoum, avec sa gouaille inimitable, il inspirait immédiatement le sentiment d’une énergie sans agressivité, d’une fermeté sans sécheresse, d’une intelligence sensible.

Un aristocrate. Un diplomate. Par sa famille, l’une des plus anciennes et glorieuses du Mali dans la politique et la carrière diplomatiques. Par sa manière d’être. Son esprit de camaraderie, de loyauté, son courage moral face à la maladie, la force de ses convictions. Par son travail.                                    

Il aurait pu, tranquille, mener une vie mondaine. Mais celà ne l’intéressait pas. Après des études de lettres, de droit, de Relations Internationales, il est devenu l’efficace coordonnateur des initiatives diplomatiques « Sud-Sud» de A. Blondin BEYE. On est là aux limites d’un travail qui est autant spirituel que matériel.                                        

Les problèmes et les conflits dans le monde occupant une place prépondérante sur la scène internationale, on en oublierait presque dans la décennie 1980-1990 que dans le Sud existaient des Etats dans lesquels la proportion de personnes vivant dans l’extrême pauvreté a été divisée par deux.                

La nécessité d’intensifier la coopération pour lutter contre la pauvreté s’est trouvée au centre des débats. Il fallait envisager d’autres objectifs, trouver des solutions par et pour les pays en développement.                                              

Des solutions transposables partout. L’intensification de la lutte peut, dans un pays, se faire grâce à des politiques tournées vers la croissance et spécifiquement destinées à combattre la pauvreté. Un programme ou un projet de la Malaisie peuvent être adaptés et étendus au fil du temps au Mali et à d’autres pays.                                               

A l’échelle mondiale, les synergies entre villes et villages, villes et régions, régions et nations ainsi que les relations entre les pays du Sud doivent être dynamisées et encouragées.                           

Expériences différentes dans des pays différents, entre lesquels pourtant doivent apparaître de nombreux points communs: une bonne gouvernance dans la gestion des projets et programmes, économie saine, l’accent clairement mis sur les besoins des bénéficiaires et non des donateurs, une communication transparente pour se prémunir contre la corruption, un esprit d’apprentissage et d’expérimentation, ainsi qu’une culture de l’évaluation des résultats qui permette soit de les appliquer dans d’autres régions du Sud, soit de recueillir un soutien politique significatif sur l’arène internationale.                                       

Amadou était de la clique glorieuse des Saouti, Gaston et Cheick oumar Diarrah, Daba, Papy, Sidibé, Sako, Niakaté, Balia, Sinclair, Ben, etc. Un peu moins cèlèbre peut-être, mais tout de même membre à part entière de ce cercle informel de penseurs talentueux. Très prolixe, écrivain prolifique, et polémiste, avide de lecture des journaux, il publia quelque 190 articles dans presque tous les périodiques du pays. Au cours de sa vie, l’homme a révélé un vrai don de médiateur, de conseiller, notamment lors de la création de la C.O.P.P., dont il ne fut cependant que sympathisant, tant il était attaché viscéralement à l’US-RDA des origines.                               

En un temps où la diplomatie s’appauvrit, se dessèche, réduite à la principale fonction de recasement d’amis et d’obligés, le Docteur Mohamedoun Barema Bocoum sera éternel, lui pour qui la diplomatie fut une musique dans la politique, une magie, et qui ne s’adresse pas à tous les Etats dans leur uniformité mais à chacun dans sa singularité, lui qui fut un cadre curieux pour écouter ce qu’elle murmure et un acteur assez compétent mais modeste pour la faire entendre.          

Il va ainsi depuis fort longtemps son chemin, ancien du lycée prosper Kamara, Docteur en Relations Internationales, sans jamais aliéner sa liberté, maître de ses choix, ayant, semble-t-il, toujours méprisé l’argent, ce qui, disait Chamfort, « est détrôner un roi ». Que la diplomatie, et la plus noble, se soit réfugiée en lui, allait de soi.   

Mais le plus bizarre, et réconfortant aussi, c’est qu’en se refusant d’abattre les atouts du moment, en ne s’exploitant pas, ce Mopticien de Quinzanbougou ait réussi à gagner sa partie et à captiver et conserver des amitiés disparates qui, en quarante ans ou plus, ne lui ont jamais fait faux bond.                                       

S’il est aujourd’hui un miracle de la diplomatie-et il faut croire aux miracles-il est aussi en Amadou Bocoum.                        

Il représente le bonhomme malien sympathique, astucieux, celui qui est né pour être hautain mais qui ne le devient pas à cause de sa richesse intérieure. Alors qu’on pourrait penser qu’il ne manquait rien à une carrière aussi enviable, Bocoum n’a pas été nommé Ambassadeur. Lui disait n’en avoir aucun regret, avouait qu’il était bien trop casse-pieds, bavard, pas assez « docile », franc, pour tourner avec les Grands Chefs.                       

Puisse Fatou, sa fidèle compagne, mère de leurs magnifiques enfants, contenir sa peine pour publier le manuscrit de la biographie de son défunt beau-père, que son conjoint adorait tant, avec son sens inégalé de l’esprit de famille, et tous ses autres écrits.        

Ciao, cher ami, tu échappes à la terre, mais tu enterreras la terre. Juste à la veille du Ramadan.

Maître Mamadou Gakou

Korofina Nord Bamako 

 

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