Le doyen de la photographie ségovienne, Adama Kouyaté s’est éteint le vendredi 14 février 2020 à Ségou à la suite d’une longue maladie. Les obsèques ont eu lieu le samedi 15 février 2020 au grand cimetière de Ségou.
Ce « magicien » de la photographie a vécu et il vivra dans la mémoire collective des hommes politiques au Mali en général, et Ségou en particulier. Sa disparation est une grande perte pour l’histoire de la photographie Africaine dont notre pays abrite la biennale de la photographie Africaine chaque deux ans. La majeure partie des photos albums des archives familiales à Ségou datant des années 1960 sont les œuvres du doyen Adama kouyaté. Il était un photographe doublé d’un homme politique, car il fut acteur majeur du mouvement démocratique en 1991, membre fondateur et militant actif du CNID Association, puis CNID-Faso Yiriwaton. Membre influent du COPPO (Opposition) Pour son militantisme, il fut arbitrairement arrêté et emprisonné en 1997 et fera 18 mois en prison par le régime d’Alpha Oumar Konaré pour complot contre la sûreté nationale de l’Etat. Il fut libéré et reconnu non coupable. Il démissionna du Cnid et adhéra au SADI de Dr Oumar Mariko. Bref, son combat politique est aussi riche que celui professionnel. Pour ses admirateurs, Adama Kouyaté fut l’un des grands gardiens du temple de la démocratie malienne. Dors en paix Patriarche.
Qui était le doyen Adama Kouyaté ?
Adama Kouyaté est né en 1928, à Bougouni dans la région de Sikasso. Photographe historique malien, il fit son apprentissage en 1947 à Bamako chez les pionniers de la photographie, Bakary Doumbia et Pierre Garnier, le « maître blanc » des photographes de l’Afrique de l’Ouest. En 1949, Adama ouvre son premier studio à Kati près de Bamako, le baptise : « Photo Hall Kati ». Quelques années plus tard, il devient chauffeur routier car la photographie ne suffisait pas à subvenir à ses besoins. En 1964, il s’installe à Ouagadougou pour y ouvrir pendant une année un nouveau studio, le « Photo Hall Voltaïque ». Puis il ouvre un troisième studio à Bouaké en Côte d’Ivoire, qui fonctionnera jusqu’en 1968. Le 22 septembre 1969, il inaugure son dernier studio à Ségou, plus précisément au grand marché de Ségou, où il possédait une maison depuis 1954, le « Photo Hall d’Union ».
La photographie de Adama Kouyaté se concentre principalement sur la photographie de studio, un espace réduit et aménagé au fond du « magasin » situé au grand marché de Ségou, où sous la chaleur de deux projecteurs se produit la rencontre du photographe et du modèle. « Adama Kouyaté prend volontiers des libertés par rapport aux règles convenues de la photographie de studio. Au lieu d’avoir trois lampes pour une plus grande lumière, il se contente de deux lampes latérales et supprime la lampe d’ambiance. Il met en avant les ombres des sujets et des accessoires. Il explore les désirs et les envies d’élégance du sujet photographié. Même si ce dernier n’est pas un fumeur, il lui met une cigarette entre les doigts pour lui donner un air mondain. Il organise et esthétise les poses, crée une connivence passagère pour rendre la magie possible. Plus le photographe ose se libérer des canons “esthétiques” établis par ses confrères, plus il crée une image surprenante de son sujet. Et cette invention devient sa marque de fabrique que chaque client diffuse et commente. ».
Témoignage du photographe Alain Turpault
« J’ai eu la chance de rencontrer Adama Kouyaté en 2010 à Ségou.
Bel homme de solide facture (c’est un ancien boxeur), il a toujours été cependant très modeste et affable. Alors que je lui rendais visite, il me demanda si je pouvais apporter des tirages photographiques à un parent vivant à Bamako lors de mon retour vers la France. Ce que j’acceptai bien volontiers.
Il me donna rendez-vous le lendemain soir à 21h car il devait réaliser les tirages en question dans son laboratoire et me proposa d’assister à la séance dans sa chambre noire. Ce qui m’enchanta.
Le soir venu j’apportai avec moi une petite camera numérique DV et j’ai pu enregistrer toute la séance de travail. Il s’agissait presque d’un long plan séquence, j’ai fait quelques coupes parce que connaissant bien le déroulement du tirage argentique, j’ai pu anticiper ses gestes et lui épargner des interruptions. La porte du petit laboratoire (2x2m) était restée ouverte sur la nuit étoilée et la température des bains devait avoisiner les 25°. Après avoir recherché assez longuement dans les pochettes Kodak le négatif en question, il le trouva avec soulagement. Je remarquai tout de même son sens de l’organisation malgré le peu d’espace de rangement. Ses négatifs étaient classés dans des pochettes, elles-mêmes rangées dans des boîtes de papier de différentes marques jaunies et poussiéreuses, mais tout ce « trésor » comme l’appelle Adama est bien là ; toute une vie de photographe. Il ne possédait que trois feuilles 30×40 cm et une demi-feuille pour les essais. Il a travaillé sans margeur en comptant de tête les secondes nécessaires à l’exposition – « je me trompe rarement », dit-il. Il faisait très chaud, Adama était torse nu, j’observais son matériel et particulièrement son agrandisseur Krokus dont le soufflet avait été réparé à maintes reprises ; les cuvettes étaient recouvertes d’un important dépôt d’argent, le révélateur était oxydé, presque noir, mais tout cela semblait très bien fonctionner et donner les meilleurs résultats escomptés par l’auteur. J’ai ressenti chez Adama une certaine fierté légitime au moment du rinçage final, quand il présenta les trois épreuves encore ruisselantes ; « c’est magnifique » dit-il avant de déclarer : « la séance est terminée ».
Grace aux éditions Gang, on peut aujourd’hui consulter dans un très beau livre intitulé studios d’Afrique la première monographie de ce très attachant personnage, dont l’œuvre faite de retenue et de rigueur impressionne l’amateur de portraits en studio en Afrique. »
Rassemblés par ABD Avec Baptiste de Ville d’Avray