Pour rendre hommage à la super star rappelée à Dieu depuis mercredi dernier à l’hôpital Gabriel Touré, des suites d’une courte maladie, Bamako-Hebdo ne peut trouver mieux que cette interview que lui avait accordée Mamoutou Mangala Camara, puisque c’est de lui qu’il s’agit. Dans cet entretien avec l’enfant terrible de Kéniéba laissait apparaître son franc-parler et son sens de la répartie. En effet, fâché contre les organisateurs de l’Opéra du Sahel, pour la bonne et simple raison qu’il s’estimait écarté de la distribution de cette grande initiative, sans aucun argument valable, Mangala Camara est venu étaler ses quatre vérités dans les colonnes de Bamako-Hebdo qui en a profité pour l’amener à parler de lui-même, de sa vie et de ses convictions.
Bamako Hebdo : Qui est Mangala Camara?
Mangala Camara : Je suis un artiste, un simple musicien. J’ai commencé alors que j’étais encore tout petit. J’ai eu de l’amour pour la musique depuis l’âge de huit ans. J’ai fait mes premiers pas dans l’orchestre "Tambacoura Jazz" à Kéniéba, dans la région de Kayes. C’est en 1972, à 12 ans, que ce groupe m’a recruté. Deux ans après, j’ai fait ma première sortie avec cet orchestre pour une formation à Kita. Ensuite, faute d’instruments, j’ai dû abandonner la musique pendant trois ans, avant de reprendre en 1978.
J’ai participé pour la première fois à une Biennale artistique et culturelle en 1980, avec l’orchestre régional de Kayes. J’ai récidivé en 1982. En 1983, j’ai fait la connaissance de Raymond Fernandez (paix à son âme), un musicien capverdien qui vivait au Mali. J’ai fait partie de son orchestre qui jouait de la musique mandingue, de la salsa, un peu de tout. La même année, Salif Kéïta m’a proposé de jouer dans son groupe "les Ambassadeurs" au Motel. Nous avons fait notre première sortie sur
En 1985, je me suis présenté au concours Découvertes RFI pour la première fois, mais ça n’a pas marché. Deux ans après, je me suis présenté de nouveau et j’ai obtenu le Grand prix de l’Afrique et de l’Océan indien.
J’ai travaillé ensuite dans un orchestre qui s’appelait "Zaka Percussion", puis "Donkè Paris-Bamako" en
En 2003, j’ai également fait un disque traditionnel, avec kora et balafon. Ensuite, mon dernier album est intitulé "Min yé Min yé, o yo yé".
Quels diplômes avez-vous?
Je ne suis pas diplômé, mais j’ai suivi plusieurs stages. Lorsque j’ai décroché le Grand Prix Découvertes RFI, j’ai obtenu une bourse d’études de trois ans pour apprendre à lire et à écrire. Mon professeur m’a plutôt enseigné le jazz par l’écriture française.
Etes-vous marié?
Non je ne suis pas marié. Je suis célibataire avec deux enfants. Mon premier garçon, Djigui, est âgé de 25 ans. Et je viens d’avoir une petite fille. Je compte épouser sa maman très bientôt.
Que fait votre fils?
Il ne fait rien. Il était à l’INA et il a fini par abandonner.
Pouvez-vous nous parler de votre dernier album?
"Min yé Min yé, o yo yé". C’est un terme que j’entendais un peu partout dans les bars, quand les gens étaient contents ou fâchés. C’est une manière pour moi de renvoyer les gens face à eux-mêmes. On ne peut pas dire que tu es comme ça, alors que tu ne l’es pas. Il faut que les gens se regardent dans un miroir pour savoir qui ils sont. On ne peut pas changer la nature de quelqu’un. On est comme on est. On est ce qu’on est. J’ai chanté ce morceau dans les bars avant d’en faire un album.
Comment se portent les ventes de cette cassette aujourd’hui?
Bon, je ne suis pas parti vérifier au Bureau malien du droit d’auteur, pour savoir si l’album marche ou pas. Pour le moment, je ne m’occupe pas de ça. Je crois que l’album fait quand même son petit bonhomme de chemin. Il faut attendre au moins un an pour connaître la situation des ventes.
Peut-on dire que vous êtes heureux aujourd’hui?
Je ne suis pas malheureux. Je prends la vie avec philosophie, c’est-à-dire que tant qu’on vit, on galère, on est pauvre, on pleure et on rit.
En un mot, quand on est vivant, on voit tout. Je suis plutôt heureux aujourd’hui parce que je me rends heureux grâce à ma musique, à mon amour pour la musique.
Concrètement, qu’est-ce que la musique vous a apporté?
La musique m’a apporté beaucoup de relations, même si je n’ai pas eu autant de biens matériels que je le souhaitais. Mais je suis sûr que ça va venir. Je n’ai pas brûlé les étapes, je suis sur la bonne voie. C’est très difficile, pour un artiste, de s’en sortir quand on n’a pas d’autres business à côté. Moi, j’essaye de vivre de ma musique.
Avez-vous des défauts?
J’ai plein de défauts, comme tout le monde. Je suis comme je suis. Ce qui peut déranger d’autres personnes. Je bois comme tout le monde, je mange comme tout le monde.
Ne croyez-vous pas que l’alcool peut influer négativement sur votre carrière?
Je ne suis pas né alcoolique. Il est rare de voir un musicien malien qui ne boit pas de l’alcool. Moi, dès que je sens l’alcool, on dit que je suis alcoolique. Ceux qui me traitent d’alcoolique n’ont qu’à aller balayer devant leur propre porte, avant de s’occuper de ce que je fais.
Quelles sont les qualités de Mangala ?
Mes qualités, c’est vraiment de faire rire les gens et de leur offrir de la bonne musique. Je suis un messager.
On dit que Mangala ne peut plus aller en France. Est-ce vrai?
(Rires). Je suis déjà allé cinq fois en France et je dois d’ailleurs aller bientôt récupérer mon visa au Consulat de France, car je dois effectuer prochainement une tournée européenne avec le Symétric Orchestra de Toumani Diabaté. Je n’ai pas eu de problèmes dans ce pays. J’ai préféré vivre au Mali, c’est tout. Ceux qui disent que je ne peux pas aller en France n’ont qu’à venir voir mon passeport. Ce sont des mauvaises langues. Ils racontent n’importe quoi.
Quels sont vos projets à court terme?
Je viens de signer avec Syllart Production un contrat qui court jusqu’en
Que pensez-vous de la musique malienne actuelle?
Je pense qu’il y a de très bons musiciens au Mali.
Qui par exemple?
Comme ils ne me citent pas dans leurs interviews, moi aussi je préfère ne pas citer de noms ici. Mais, puisque je ne suis pas comme ça, moi je suis ouvert de cœur, je parlerai de musiciens comme Baba Salah ou Habib Koïté. J’ai des goûts divers.
Je respecte tous les artistes maliens. Celui avec qui je joue régulièrement et qui aiguise le plus mon inspiration, c’est Toumani Diabaté. Il joue la kora, moi je chante. On se complète.
Les artistes maliens s’entendent-ils?
Disons que les artistes maliens ne sont pas encore mûrs pour être solidaires. Peut-être que ça va venir. Au Mali, les artistes ne s’aiment pas, alors qu’ils ne sont pas des concurrents parce que faisant des musiques différentes. J’invite les jeunes à être solidaires. On peut même être des concurrents et ne pas être méchants les uns envers les autres.
Quelle appréciation faites-vous de l’Opéra du Sahel?
Je me fous de l’Opéra. Je veux vivre sans cet Opéra.
En avez-vous été écarté?
J’ai été parmi les premiers artistes choisis. Mon comportement n’a pas plu, alors que j’ai travaillé honnêtement. Ce sont les gens de
C’est après qu’il m’a posé la question de savoir pourquoi j’ai quitté l’Opéra. Je n’étais d’ailleurs pas le seul, il y avait également Kassé Mady. Ce sont des égoïstes qui ont monté tout cela.
Je ne dirai pas leur nom, mais, quand ils verront le journal, ils se reconnaîtront. Moi, je ne regrette rien, alors qu’eux croyaient que sans l’Opéra, je ne pouvais pas vivre. Je m’en fous.
En une seule tournée, je gagne mieux que ce qu’on me donnerait à l’Opéra pour un mois. L’Opéra était devenu, en fait, une affaire sénégalaise.
Tous les grands artistes maliens en ont été écartés, à part Abdoulaye Diabaté. Nous étions dérangeants, c’est pourquoi nous avons été écartés.
Réalisé par Alou B HAIDARA