Maïmouna Hélène Diarra emprunte le train de l’infini : Et si on vous contait la vie et l’œuvre de Maïmouna Hélène Diarra

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Décorée chevalier de l’Ordre national du Mali, honorée au Festival du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), initiatrice de la Nuit du comédien au Mali, précurseur de la Maison des cinéastes au Mali, Maïmouna Hélène Diarra a promené sa bosse dans presque toutes les grandes structures étatiques de promotion des 5e, 6e et 7e arts de son pays et côtoyé les grands réalisateurs de son époque. Flash-back sur les 66 ans d’existence de celle qui repose désormais pour l’Eternité au cimetière d’Hamdallaye depuis ce vendredi 11 juin 2021, un jour après sa disparition.

De la personne au personnage, de l’enfance à la vieillesse, du domicile au service, Maïmouna Hélène Diarra a marqué son temps par sa discipline et sa rigueur.

Cinq ans avant l’indépendance du Mali, en 1960, nait dans une famille Diarra à Ségou, une jolie fille d’un couple de mère chrétienne et de père musulman. Très vite la petite Hélène devient orpheline de mère. Elle est alors adoptée par sa grand-mère.

La chance d’être issue d’une famille instruite, père magistrat, favorise les bons résultats scolaires de Maïmouna. Choisie pour être enseignante par l’Etat malien, elle décline l’offre et fait les études des arts dramatiques à l’Institut national des arts (INA).

“Ecolière, sœur et collègue, Hélène a été tout cela pour moi. Quand elle venait à l’INA, j’étais professeur. Elle ne m’a jamais appelé “Monsieur” puisque nous sommes de la même localité, Ségou, et il y avait un autre Habib Dembélé, elle a trouvé un nom spécial : Korobalen pour dire le Grand Habib. Nous avons travaillé toute la série du Kotéba ensemble pendant 10 ans à peu près avant son départ à l’ORTM”, se rappelle Habib Dembélé.

Elle lorgne dès lors les acteurs culturels de l’époque. Avant même sa sortie à l’INA, la jeune fille faisait des prestations pour la troupe Kotèba. Quelques années après, elle entre à l’ORTM en qualité d’animatrice. Puis l’aventure cinématographique s’ouvre à elle.

De l’illusion de la transparence, elle se méfie. Car selon elle, il ne faut jamais minimiser son rôle sur scène et il ne faut rien forcer, car dans la comédie, “plus on force, plus on s’enfonce”, aimait-elle dire aux jeunes. “La seule chose que je peux dire sur elle, au nom de la troupe Gnogolon, c’est sa ponctualité et sa volonté de jouer bien son rôle comme si nous étions en vraies réalités. Elle était toujours à l’heure aux rendez-vous”, témoigne Salim Sylla, comédien du groupe Gnogolon.

Comme si c’était hier, des fidèles auditeurs de Radio-Mali comme Mamadou Traoré, se souviennent d’une dame qui les mettait dans deux états : écouter les sinistres avis de décès et admirer une douce et vivace voix. Hélène n’a non seulement pas émerveillé les vieux de cette époque, elle a aussi incité des jeunes dames à s’intéresser à la radio et prendre leur destin en main.

Ce défi, elle l’a relevé avec brio car deux ans après sa retraite, Hélène venait en aide à ses cadets, selon Bourama Kané (BK) porte-parole de l’ORTM à ses funérailles. Elle avait l’habitude de dire que la vie n’est qu’une chaîne. “C’est un devoir pour nous (les seniors, Ndlr) de guider la nouvelle génération. Il ne s’agit pas de les pousser à faire comme nous. Mais de leur faire savoir qu’ils doivent s’inspirer de nos bonnes pratiques, respecter les exigences du métier, tout en mettant en scène leurs propres savoir-faire”, disait la regrettée.

“Nous nous sommes retrouvées à l’ORTM. Mais elle est avant tout une mère et une sœur pour moi. Elle a collaboré avec ma grande sœur à Ségou. Cette relation a continué entre nous ici à Bamako. Depuis qu’on s’est connues, c’est la droiture qui la caractérise. Nous avons travaillé ensemble dans plus de 30 projets dans le cinéma et le théâtre. Nous avons voyagé dans plusieurs pays. Nous passions souvent la nuit sur le même lit. Elle est un modèle pour moi. Elle exprimait sa vérité à tout le monde sans bavure. Hélène travaillait avec sérieux et perfection. Que ce soit à la radio ou au théâtre. Elle montrait toujours que seul le travail est notre première identité.

En plus de cela, elle faisait régulièrement ses obligations confessionnelles jusqu’à son dernier souffle”, assure Lalla Drabo dite Fiman, animatrice à l’ORTM.

Artiste caméléon, elle avait la faculté extraordinaire à s’adapter à tout rôle. Ce que le réalisateur malien et l’ancien ministre de la Culture Cheick Oumar loue avec fierté. “Nous avons travaillé ensemble dans six longs métrages parmi lesquels «Gnamanton», «Guimba», «Rapt à Bamako», «Toiles d’araignées»… Elle avait un professionnalisme sans égal. Elle aimait le cinéma.

Son sérieux, sa constance dans le travail peuvent être une leçon pour la future génération. Surtout, elle reproduisait exactement ce que le réalisateur lui demandait. Je n’ai fait aucun long métrage sans Hélène. Elle était tout simplement extraordinaire dans le jeu. C’était une comédienne au naturel”, l’encense le doyen.

“Balla Moussa féminin”

La ponctualité était l’une des caractéristiques de cette battante. C’est sans doute le secret de sa bonne liaison avec les grands professionnels de la radio, du théâtre et du cinéma. “J’ai longuement travaillé avec Hélène en tant qu’assistant de Cheick Oumar Sissoko. Avec elle, on gagnait toujours du temps. Elle était très disciplinée. Nous avions un projet qui a duré une année et quelques mois. Hélène n’est jamais venue en retard, pas même une seule fois. C’est la raison pour laquelle je n’ai pas hésité à l’inviter pour le projet de Toiles d’araignées (l’adaptation au cinéma du célèbre roman d’Ibrahima Ly sur la condition des prisonniers sous le régime de Moussa Traoré)”, confirme Ibrahima Touré, réalisateur.

Maïmouna avait aussi un fort penchant pour la vie associative. Jusqu’à sa disparition, elle se battait pour la reconnaissance du cinéma et l’autonomisation du comédien malien.

”J’ai connu Hélène à la radio. J’étais à l’époque à la télé. On a fait des sketches de sensibilisation ensemble. Nous avons créé ensemble la Maison des cinéastes du Mali. Elle était très engagée pour ces genres d’initiatives. C’était pour inclure tous les acteurs de la culture dans le bon fonctionnement du secteur. Ce que je retiens d’elle, c’est son sourire. Elle sourit toujours pour vous accompagner dans n’importe quelle situation. Elle était tout simplement le Balla Moussa féminin. Sincèrement, je croyais que l’Etat malien allait prendre en charge ses funérailles. C’est peut-être à cause de la situation politique actuelle du pays (il n’y avait pas un gouvernement sur place Ndlr). Elle mérite mieux que ce que nous venons de lui offrir. Ce que je regrette le plus, c’est de n’avoir pas pu exploiter son talent. Je sais qu’elle en avait à foison. Elle pouvait encore faire quelque chose pour le Mali”, souligne  Aboubacar Sidibé, cinéaste malien.

Le Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM) reconnait les multiples efforts de cette brave dame. Tant à l’interne qu’à l’externe.

“J’ai connu Hélène lors de nos répétitions au Carrefour des jeunes de Bamako dans le Kotèba. Nous avons ensuite sillonné presque tout le Mali dans les années 1989 avec ‘Férékégnakamibougou’ après ‘Wari II’ ainsi de suite. On peut tout dire contre elle sauf la méchanceté. Elle était très sincère dans ses propos et disait clairement à n’importe qui ce qui n’allait pas. C’est elle qui a initié la Nuit du comédien à son retour du Ghana en 1989. C’est l’UNCM qui a fait la première édition et c’est Hélène qui a finalement pris le relais. La dernière édition a eu lieu en 2018. Maintenant qu’elle est partie, que va devenir ce projet qu’elle tenait vraiment à cœur ?”, s’interroge Mamadou Sangaré, directeur général adjoint du CNCM, ancien comédien du Kotèba.

Personnalité épatante, Maïmouna avait compris le vrai sens de la vie conçue par les Bamanans. La famille était absolument prioritaire pour elle. “Maïmouna a été une sœur exceptionnelle pour nous tous. C’est elle qui s’occupait toujours de la famille. Elle a été très disponible pour nous sa famille quand il le fallait malgré les contraintes de son métier”. Une déclaration de Mamadou Diarra, un de ses frères.

Elle considérait tous les enfants comme les siens. C’était la bonne mère des jeunes filles rurales qui venaient dans la capitale pour, majoritairement, chercher leur trousseau de mariage ou trouver de quoi épauler les parents dans la prise en charge de la famille.

“J’étais son employée (aide-ménagère). Nous sommes restés en contact pendant plus de 30 ans. Jusqu’à sa mort, je lui donnais des jeunes filles du village à adopter. Le mariage de l’une d’entre elles, prévu pour le mois mai dernier, a récemment été reporté. Le lien entre nous va de loin, c’est devenu familial. Elle sort dans presque tous mes clips pour prouver à quel point on était proche”, témoigne Mamou Sidibé, une célèbre cantatrice malienne.

En tout cas, Maïmouna aura fait son devoir. Elle a montré que nous pouvons chacun être utile à ce pays, au monde en faisant juste dignement ce qui est de notre pouvoir. Sa mort n’est pas que douloureuse selon certains.

“Je ne regrette pas la disparition d’Hélène. Car elle a posé d’énormes actes qui honorent le Mali sur le plan théâtral et cinématographique. Aujourd’hui, il n’y a pas un grand réalisateur malien qui ne connaît pas Hélène. Cela prouve son sérieux.

L’homme est appelé à mourir tôt ou tard. Si elle est partie aujourd’hui, nous ne pourrions que nous en remettre à Dieu. Si nous continuons de regretter son départ, cela veut dire qu’elle n’a rien fait. Ce qui n’est pas le cas”, tranche Idrissa Diarra, réalisateur du film “Adama Dachiba”.

 Chaka Kéïta

 

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