NÉCROLOGIE. En tant que gardien de l’héritage zoulou, le décès du roi Goodwill Zwelithini, successeur du tout-puissant Chaka, plonge le pays dans la nostalgie.
es Sud-Africains appellent à la tenue de funérailles d’État en l’honneur du roi zoulou Goodwill Zwelithini, le monarque vénéré du plus grand groupe ethnique du pays, dont la mort a été annoncée vendredi. Descendant du légendaire Chaka, fondateur du royaume au début du XIXe siècle, Goodwill Zwelithini, 8e roi des Zoulous, soit le « peuple du ciel », est mort à 72 ans après cinquante ans de règne.
Pour beaucoup, au-delà des controverses, il était un symbole vivant de l’histoire zouloue et un lien entre la nation qui a combattu le colonialisme britannique et un peuple qui a conservé sa langue et sa culture dans l’Afrique du Sud post-apartheid. « Sa Majesté restera dans les mémoires comme un monarque visionnaire très aimé qui a apporté une contribution importante à l’identité culturelle, à l’unité nationale et au développement économique du KwaZulu-Natal et, par là, au développement de notre pays dans son ensemble », a écrit le président Ramaphosa sur Twitter. Un hommage national lui sera rendu jeudi après les cérémonies zouloues qui se tiennent ce mercredi 17 mars.
Des funérailles dans le contexte pandémique
Toujours drapé d’une peau de léopard, Goodwill Zwelithini, dont le corps devrait être « planté » dans la terre d’ici à jeudi selon le rite zoulou, renvoyait l’image d’un éminent chef coutumier à l’autorité spirituelle incontestable. Il parlait aux puissants, était apparu en public avec Nelson Mandela. L’ex-chef de l’État Jacob Zuma, premier président zoulou, s’est rendu dimanche au palais, accompagné d’une délégation du parti au pouvoir, le Congrès national africain (ANC).
Torses nus, couronnés de peaux de bêtes, plusieurs centaines d’hommes en tenue traditionnelle de guerriers se sont, malgré les restrictions dues à la pandémie de Covid-19, rassemblés pour marcher à la mi-journée, sous les cris, vers la morgue de Nongoma en Afrique du Sud, pour lever le corps du défunt roi des Zoulous. Téléphones portables à la main, sautant, chantant et sifflant au passage du cortège, des centaines de personnes étaient rassemblées dans la petite ville de la province du Kwazulu natal (Nord-Est), selon les images rapportées par les télévisions sud-africaines.
Des dizaines de femmes zouloues parées de colliers de perles et les seins nus ont escorté les « amabutho » (guerriers) sur la route. Tour à tour poussant des cris aigus et entonnant des chants traditionnels, certaines brandissaient des drapeaux à l’effigie du monarque.
Le corps du roi, conservé à la morgue de la ville, doit être transporté au palais royal de KwaKhethomthandayo, une des sept demeures du souverain, avant le début des obsèques.
Dans l’enceinte du palais, des personnes voulant rendre un dernier hommage affluaient depuis le début de la matinée, malgré les appels de la famille royale à éviter les rassemblements à cause de la pandémie de coronavirus. La police sur place tentait de faire observer les mesures de distanciation. Couleurs vives, chants polyphoniques et rythmes dansés avec de petites percussions sur les chevilles, des femmes rendaient là aussi un dernier hommage au monarque disparu.
Un peu plus loin, des vaches dans des bétaillères tirées par de gros engins attendaient sur le bas-côté. Dans la culture zouloue, le bétail, traditionnellement échangé contre des femmes sous forme de « lobolo » (dot) ou offert aux familles régnantes, a une grande valeur symbolique.
Qui était le roi Zwelithini ?
Issu d’une lignée qui s’est battue contre le colon britannique, avec une victoire historique à Isandhlawana en 1879, Goodwill Zwelithini divisait.
En 1976, à la tête d’Inkatha, son oncle Buthelezi était devenu le Premier ministre en chef du KwaZulu, à l’époque le « Bantoustan » désigné pour le peuple zoulou par le gouvernement dans un plan visant à maintenir le pays entre les mains des Blancs. Pendant ce temps, son autre oncle, le prince Mcwayizeni, avait rejoint le Congrès national africain (ANC), dont le chef, Nelson Mandela, était en prison.
Pendant les années d’apartheid, avec Buthelezi, le roi Goodwill s’est opposé aux sanctions internationales contre le régime dominant, une position qui a incité un rédacteur en chef d’un journal sud-africain à le qualifier d’« idiot utile » de l’apartheid après sa mort.
La « question zouloue » était devenue l’une des plus délicates de la période de transition vers la démocratie multipartite. Au crépuscule du régime suprémaciste blanc dans les années 1990, la grande nation guerrière, à travers le parti nationaliste Inkatha, est accusée d’avoir joué le jeu des ségrégationnistes, en luttant contre l’ANC de Mandela. Cette guerre sanglante des partis, soupçonnée d’être orchestrée en sous-main par le pouvoir blanc pour déstabiliser l’ANC et retarder l’arrivée inéluctable de la démocratie, a fait des centaines de morts. Avant les premières élections démocratiques en 1994, le roi zoulou a appelé des milliers d’hommes, armés de bâtons, à se rassembler dans les rues de Johannesburg. Une fusillade devant le siège de l’ANC s’était soldée par 42 morts et 250 blessés.
La nation zouloue, qui avait survécu au colonialisme et à l’apartheid, est alors critiquée pour s’être rangée du côté de la démocratie à la onzième heure, contre des avantages et la reconnaissance d’une certaine autonomie. La toute nouvelle nation arc-en-ciel s’achetait, en contrepartie, une garantie de stabilité.
Une influence politique et culturelle grandissante
Souverain sans pouvoir, le roi zoulou exerce une influence morale sur plus de 11 millions de personnes de cette ethnie, soit près d’un Sud-Africain sur cinq. Les chefs traditionnels ont obtenu à la fin de l’apartheid d’être reconnus par la Constitution et ils continuent à jouir d’un rôle symbolique important. Jouant un rôle consultatif au Parlement, ils se prononcent en matière de culture, de gestion des terres ou encore d’administration de la justice sur leur territoire. Et le plus influent d’entre eux est le chef zoulou. Dans d’autres pays africains colonisés, comme au Mozambique, des gouvernements ont essayé de se débarrasser des chefs traditionnels avant d’être obligés de les réhabiliter.
En Afrique du Sud, plusieurs centaines de chefs coutumiers rémunérés par l’État, dont une dizaine de rois, veillent au respect des coutumes, témoins de la complexité de la société sud-africaine où moins de 10 % des citoyens ont l’anglais comme langue maternelle. Le zoulou reste l’idiome le plus courant. Certains mots de cette langue bantoue ont marqué l’histoire du pays. Le célèbre « Asimbonanga » (« Où est-il ? », NDLR) du chanteur Johnny Clegg, est devenu l’hymne de la libération de Nelson Mandela. Ardent opposant à l’apartheid, le chanteur, surnommé le « Zoulou blanc », avait contribué à transporter un peu de culture zouloue au-delà des frontières.
Des controverses aussi
Goodwill Zwelithini s’est fait également connaître sur la scène internationale, en rétablissant dans les années 1980 l’Umhlanga, la danse annuelle des roseaux. Pendant huit jours en pays zoulou, des jeunes filles en tenue traditionnelle et seins nus coupent des roseaux et dansent autour de la résidence royale. Seules les jeunes filles vierges participent à ce rite, il est interdit aux femmes « impures ». En 2010, il a promu un retour à la tradition de la circoncision masculine afin de lutter contre les taux élevés de VIH au KwaZulu-Natal, après que des études ont indiqué qu’elle réduisait considérablement la transmission.
En 2018, le roi Goodwill Zwelithini s’était lancé dans une bagarre judiciaire avec le gouvernement contre l’expropriation d’une partie des terres royales au nom de la redistribution en faveur des Noirs déshérités pendant l’apartheid. Si on touche à ses terres, « les enfers se déchaîneront », avait-il averti. Il est l’administrateur unique de 2,8 millions d’hectares royaux par l’intermédiaire d’un trust.
Menant sa vie entre plusieurs palais, six épouses et une trentaine de descendants, il profitait des avantages de son statut avec une rente annuelle de l’État d’environ 3,4 millions d’euros.
La nation zouloue attend son successeur
La nation zouloue attend désormais le couronnement de son nouveau roi. Le nom de son successeur reste un secret bien gardé. « C’est un processus complexe », explique à l’AFP l’historien sud-africain Ntuli Pikita. Le fils aîné du roi est mort en novembre dernier, mais, quoi qu’il en soit, dans la culture Nguni, dont sont issus les Zoulous, il n’est pas évident que le premier enfant de la première épouse hérite du trône, selon l’historien. Au palais, dans le cercle intime, « ils savent sans doute qui c’est », poursuit-il. Mais alors que les responsables politiques défilent depuis plusieurs jours dans la petite ville de Nongoma, dans la province du KwaZulu-Natal (Nord-Est), aucun nom n’a filtré.
SOURCE: https://www.lepoint.fr/afrique