La musique malienne en deuil : Le virtuose Lobi et le rossignol Ousmane Sacko se sont tus

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Après  Ramata Diakité arrachée à notre affection le 30 octobre 2009, le monde des attriste est à nouveau endeuillé. La famille est frappée par un double deuil. Deux des plus belles voix masculines du pays se sont tues à jamais. En effet, Lobi Traoré et Ousmane Sacko sont décédés du jour au lendemain, c’est-à-dire le 1er et 2 juin 2010. Deux artistes qui n’avaient pas seulement en commun la beauté vocale, mais aussi et surtout leur attachement à leur terroir respectif au point de renoncer à la brillante carrière internationale que leur ouvrait largement leur talent.

 

Il est né Bourama Traoré ! Il s’est distingué sur la scène de la vie et de la musique sous le sobriquet de Lobi. A cause de sa taille courte ? Pas en tout cas à cause de son talent. En effet le précurseur de ce que les critiques ont vite appelé le Bambara blues avait la musique dans le sang car nés de parents chanteurs de la société secrète. Décédé le mardi1er juin 2010 des suites d’une courte maladie, Lobi Traoré a été conduit à sa dernière demeure le lendemain au cimetière de Kalabancoura. L’homme s’est effacé de la scène comme il a vécu : discret et humble ! Sa vie a été marquée par la courtoisie, la disponibilité et une grande générosité.

 

Lobi c’était un look : Jeans moulant et T-shirt, béret noir frappé d’une étoile vissé sur la tête à la manière du Che ! Lobi c’était un style, un genre : le Bambara blues ! Lobi c’était une voix, une belle voix pénétrante et réconfortante. Lobi, vous l’avez sans doute deviné, était un grand artiste.  Un virtuose de la guitare que nous avons beaucoup côtoyé à Mali K7. Il avait l’approche facile car, comme le dirait l’autre, il était «sans façon».

Nous avions eu beaucoup d’échanges sur sa musique, sur son style. Comme le regretté Ali Farka Touré, il était convaincu que les racines du blues sont en Afrique. Aussi était-il très fier que l’on qualifie sa musique de Bambara blues. Une étiquette transformée en label car son premier opus international sera baptisé «Bambara Blues» (1991). L’enfant de Bakaridianna (un village situé à 16 kilomètres de Ségou où est né Lobi Traoré en 1961) était très attaché à son terroir et à son pays.

 

Un attachement qui se retrouve dans les titres génériques des albums comme  «Bamako» (1994), «Ségou», «Duga» (1999) et «Mali-Blues» (2004). Cette brillante discographie est complétée par «The Lobi Traoré group» et «Yougouba», respectivement sortis en 2006 et 2007, qui ont donné une assise solide à sa carrière internationale. Lobi Traoré fut le premier artiste malien à obtenir en 1993, une reconnaissance à la 1ère édition du Marché africain des arts du spectacle d’Abidjan (MASA). Cela lui a ouvert les portes de l’Occident, notamment de la France, de la Belgique, des Etats-Unis…

 

 

Mais, il faut dire que sa rencontre avec Vincent Bucher, l’harmoniciste parisien, a été une «expérience exceptionnelle» dans la vie de l’enfant bambara et lui a ouvert d’autres horizons. Mis sur orbite par Philippe Berthier (Mali K7) et Philippe Conrad (Africolor), Lobi a tendu la perche à de nombreux jeunes artistes en les conseillant et en les soutenant à entreprendre une carrière artistique. Ce ne sont pas Binké Traoré et Moulaye Diarra qui diront le contraire.

N’ayant jamais voulu céder à l’appel des sirènes, Lobi avait mis sa carrière internationale en veilleuse ces dernières  années se contentant de participer à quelques festivals. Mais, comme l’écrivait un confrère «l’homme propose Dieu dispose. C’est le moment où l’artiste s’apprêtait à nous prouver qu’il n’avait pas encore atteint les limites de son talent, que Dieu a choisi de le rappeler à lui».

 

Le dernier chant du Rossignol

A peine nous commencions à reprendre nos esprits après les obsèques de Lobi, que nous avons été cueillis à froid par l’annonce du décès d’Ousmane Sacko aux environs de 14h de ce mercredi 2 juin 2010.  Hélas, un autre monument de la musique malienne venait de se coucher. Pour notre génération un seul titre résume le talent et la vie de ce Kayésiens pur sang : Mariama ! Une vraie anthologie de la musique de terroir au Mali. Un sublime titre repris avec la jeune Rokia Traoré sur l’album Bowmboï. Avec une voix belle et inaltérable, cet ingénieux auteur-compositeur a écrit les plus belles pages de la musique khasonké. Avec sa sœur cadette, Oumou Sacko, et des monstres sacrés comme Harouna Barry (paix à son âme), il a permis à Kayes d’illuminer les biennales artistiques et culturelles.

 

Ousmane Sacko a été sans doute la plus belle voix masculine du Mali. Et comme l’écrivait le doyen Adam Thiam, chroniqueur de Le Républicain, «on ne pouvait pas tuer après l’avoir entendu chanter». En effet, qui d’autre que lui méritait le surnom de Rossignol avec cette voix qui vous donne la chair de poule, vous sauve du spleen et vous exhorte au patriotisme. Une voix suave et mélodieuse qu’on n’oubliera pas de si tôt à cause des œuvres qu’Ousmane lègue à la postérité.

 

Sur scène depuis ses 8 ans, l’homme a tourné sa bosse sur de nombreuses scènes nationales et internationales comme au 8e festival mondial de la jeunesse à Helsinki (Finlande). Mais, même s’il s’est produit à Londres, à Amsterdam et dans plusieurs grandes capitales du monde, Ousmane Sacko n’a pas eu la carrière qu’il méritait au niveau international. Ce qui s’explique par le fait que le rossignol n’a jamais cédé au showbiz international.

Pour lui, la musique fait partie d’un patrimoine à sauvegarder à tout prix afin qu’elle sert de pont entre les générations. On comprend alors aisément qu’un hommage mérité ait été rendu au parrain de la région de Ségou à la biennale 2008 à Kayes. D’ailleurs, sa prestation à cette occasion est sans doute la dernière de sa brillante carrière, le dernier chant du Rossignol. Ousmane s’en est allé laissant Yakaré seule sur cette scène impitoyable de la vie avec des orphelins inconsolables.

 

C’est par l’oubli que le Tout Puissant, le Très Miséricordieux et l’Omnipotent nous permet de supporter la disparition de ceux qui nous sons chers. Mais, les mélomanes vont longtemps pleurer Lobi et Ousmane Sacko. Reposez en paix dans la grâce infinie d’Allah. Amen !

Kader Toé

 

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