IN MEMORIAM : Le crédo de l’exactitude. Hommage au Pr. Marimantia Diarra (1948-2023)

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A ya seben k’a gun ! Ecrivez et consolidez-le [texte] !

 

La métaphore rappelle le tissage ou la quête du bois de chauffe. Contentons-nous du premier. Lorsque le tisserand tisse son étoffe, il veille à ce qu’elle tienne. Pour ce faire, il veille scrupuleusement à combiner intimement fil de traine et fil de trame afin d’assurer la qualité du produit. Il y va de son nom et de son renom.

De son peigne, il pousse soigneusement le fil de trame, pour ne laisser aucune marge superflue. Il claque sur le fil avec la même passion, fil après fil. Martin, puisque c’est ainsi qu’on l’appelait, n’avait pas lu Nicolas Boileau, le poète français du XVIIe siècle. Néanmoins, il ne voyait pas moins dans le texte un objet à remettre autant de fois que nécessaire sur le métier, afin de le polir au possible.

Cette ardeur au travail est à répéter pour produire un ouvrage, texte ou pas. Chaque étape se gagne, pas à pas, et le prochain texte et le prochain effort et ainsi de suite. Il faut de la constance et de la bonne humeur. Le chantre de cette éthique du travail n’est plus. A ce credo, que dis-je, à cette philosophie, il resta fidèle jusqu’à son dernier souffle à l’aube du 23 juillet 2023.

Ancré dans ton terroir, tu fus, à tous égards, un véritable Sahélien ouvert sur le monde. Tu descends d’un grand-père mobilisé pour la Grande guerre et d’un père recruté pour la Deuxième Guerre mondiale. Ces moments de l’Histoire marquèrent durablement ton itinéraire et ta passion pour la discipline.

Ton curriculum vitae de l’ancien étudiant de l’Ecole normale supérieure de Bamako ne le contredit pas, même si tu t’orientes en section géographie par passion pour les gens du pays, qui, pour prospérer, depuis des temps immémoriaux, combinent l’agriculture, l’élevage et la migration. Le brillant mémoire soutenu à l’Ecole normale supérieure de Bamako en 1977, en témoigne éloquemment.

Tu y examinais déjà un phénomène qui s’amplifiait, la problématique des fonds envoyés par les migrants et leurs investissements au pays. Tu étudiais les tiens et toi-même, puisque ton itinéraire te conduisit tour à tour de Diaman, à Diéma, puis à Bamako, en passant par Nioro du Sahel. La qualité de ton mémoire de maîtrise te valut d’être retenu comme chercheur dans la vallée du Sénégal dans le cadre de l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS), notamment à Bakel.

Tu laboures le terrain, une passion qui ne te quittera plus, puisque retenu pour des études doctorales en géographie et aménagement du terroir dans les universités de Enschede, Pays-Bas et de Caen, France. Tu soutins avec brio ta thèse de doctorat. La passion pour l’ardeur au travail t’amena à faire la synthèse de deux traditions universitaires, la néerlandaise et la française.

Caen, ta résidence, n’était pas seulement la demeure, mais elle se transforma en point de ralliement de la communauté estudiantine et de l’intelligentsia malienne de Normandie et bien au-delà. De là-bas, Martin, tu rayonnais sur la région parisienne où demeurait et demeure encore une importante diaspora malienne et sénégalaise. Ce faisant, l’homme devenait déjà une véritable ancre de la diaspora qui ne tardera pas à le suivre dans ses différents domiciles de Bamako, Diéma, Diaman et Dakar.

Géographe-aménagiste frais émoulu, tu fis ton entrée au pays, à la direction du service des eaux et forêts, avant de prendre la direction d’une institution d’envergure nationale, le Projet de gestion des ressources naturelles (PGRN). “Sans grade militaire”, mais bardé de diplômes universitaires, tu embarrassais tes collègues officiers des eaux et forêts, juchés aux frontières du civil et du militaire. Que faire d’un aménagiste dans le marigot forestier ?

 

Fils d’un pays à l’histoire féconde

Qu’importe ! Tu mets ta compétence au service de nombreuses institutions internationales comme consultant, notamment la FAO, la Banque mondiale, le Pnud, l’Unso, Inter-coopération Suisse, l’ACDI et le BIT. Tu investis ta passion pour la recherche en compagnie des amis : nous avons ainsi fondé Point Sud, le Centre de recherche sur le savoir local, avec comme slogan, “Muscler le savoir local”.  Tu en fus le premier président. Tu restas fidèle à ce domicile intellectuel, toujours prêt à t’engager dans un débat intellectuel avec jeunes et moins jeunes.

La passion pour le politique et l’histoire te colle à la peau. A preuve, le surnom de Martin, que les camarades de promotion t’attribuent, en référence à Martin Luther King. Ainsi s’exprime au quotidien ton intérêt pour le politique qui te saisit à jamais dans le tourbillon des années 1980 finissant. Mais, en fait, l’engagement était franc dès lors qu’étudiant de l’Ecole normale supérieure de Bamako, tu participas activement à la révolte estudiantine de la fin des années 1970.

Tu en gardas des souvenirs impérissables, scandés de rires aux larmes. Tu fis de l’Alliance pour la démocratie au Mali/Parti africain pour la solidarité et la justice (Adéma/PASJ) ta famille politique.

Les récits de traditionnistes que tu récitais avec bonheur, te passionnaient. Fils d’un pays à l’Histoire féconde, tu appris auprès des tiens.

Tu rappelais, émerveillé, la résistance des tiens au milieu du XIXe siècle à l’expansion militaire conduite par El Haj Umar. Ton humour frisait le sarcasme à la lecture de la Qacida en pulaar de Mohammadou Aliou Tyam, traduit et publié en 1911 par Henri Gaden. “Païens pourris”, désignait-il, intolérant, les résistants, qui faisaient face à la déferlante armée, venue notamment du Fuuta. Rendre compte du passé fécond te tentait, mais la géographie, comme discipline universitaire, s’imposa.

Fidèle au village et aux activités y afférentes, la chasse te semblait la métaphore de la vie. Pour toi, toute activité était comme une partie de chasse. Elle se mène en équipe. Dès lors que tes compagnons se raréfient, retire-toi, au risque de ne rapporter qu’un jamatutu (coucal du Sénégal ou Centropus senegalensis) pour tout gibier.

Quelle catastrophe pour le maître de la poudre, nourricier du village et au-delà, de rentrer avec un chétif oiseau qui n’a de valeur que sa capacité de prédire l’avenir. Moralité, il faut savoir quitter la scène, et à temps. Martin, tu nous quittes prématurément, en toute discrétion, comme toujours. Tu laisses le souvenir de l’ami fidèle, de l’aîné et du beau-frère badin, du logeur généreux, du villageois ancré dans la cité.

Que d’orphelins ! Plus que ta seule petite famille de Bamako, de Diéma, de Diaman, de Dakar, de Bakel, de Kayes, de Paris et sa banlieue, plus que ceux de la grande famille de Point Sud. Eplorée est la communauté scientifique tout entière et bien au-delà. Mais ta mémoire reste à jamais gravée en nous. Le tombeau qu’on a refermé comme pour marquer un terme t’ouvre le firmament et inaugure une nouvelle ère pour toi.

Et le Grand arbre nous a été arraché ! Et où vont s’abriter les oiseaux ?

Puisse ton âme reposer en paix !

Professeur Dr. Mamadou Diawara

Point Sud, Bamako, Mali

Goethe Universität Frankfurt, Allemagne

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