Un de ces matins où vous prenez votre informateur pour votre pire ennemi à cause de la nouvelle apocalyptique qu’il vous donne. Dans le cas précis de Salia Maiga, c’est exactement ce qui nous est arrivé, car la veille nous nous étions vus aux funérailles d’Attayeb Dicko. Nous avons papoté comme toujours quand nous nous voyons, cassant joyeusement du sucre sur le dos de notre ami commun, Lamine Touré. Je ne savais pas que je ne le reverrai pas.
Parce que ce bel homme aux allures d’immortel allait nous quitter seulement le lendemain. Un 11 septembre, une date qui, semble t-il, a une grande portée dans la numérologie musulmane. Autre acte de grande portée, tant au regard de l’islam que de la morale et du « maaya » tout court, il est mort pour sa famille. Non pas ces murs égoïstes où ne vivent que papa, maman, les deux gosses et le chien mais la famille au sens le plus étendu possible, cet ensemble où grouillent neveux, nièces, aînés et oncles, alliés, voisins du voisin, et j’en passe.
Parce que le «Grand Maïga», le « prince de Tacharane » ainsi qu’on le surnommait était très humblement la branche sur laquelle était assise toute une communauté. Et peut-être rarement oraison funèbre sonnera aussi juste que celle d’Ali Coulibaly, au nom de l’administration des Douanes maliennes, le corps professionnel du regretté disparu. « Un grand homme par sa simplicité, par ses compétences et par sa grande capacité d’écoute et de partage…Un homme bon, juste, généreux et tourné vers l’autre ». Un hommage qu’on ne veut que pour soi-même, mais le plus tard possible. Pour Salia aussi, tout le monde l’aurait souhaité le plus tard possible. Sauf que Dieu est le seul à savoir et à décider, maître absolu d’un chronogramme qui nous révèle tous les jours, au-delà de la précarité, notre parfaite impuissance.
Le roi avait besoin du prince. Il nous l’a pris sans crier gare comme il nous prendra tous un jour, à notre tour. Mais peut-être, me laisseras-tu, Salia, juste avant de te laisser reposer, porter témoignage de la tristesse mais de la belle dignité de ta famille ?
Adam Thiam