Son prénom était Douga, mais tout le monde l’appelait le «Vautour» qui signifie duga en bambara, un grand oiseau rapace, diurne à tête et au cou nus qui se nourrit principalement de charogne.
L’histoire raconte que lors d’un grand classique, Douga Dembélé, fraîchement admis au grade d’arbitre fédéral, a distribué un carton jaune à l’ensemble des joueurs avant même le coup d’envoi de la rencontre. Le jeune arbitre, dit-on, voulait ainsi montrer aux joueurs qu’il est le seul maître à bord et que tout geste anti-sportif entraînerait un deuxième carton jaune synonyme d’expulsion. Vrai ou faux, en tout cas pendant toute sa carrière, Douga Dembélé faisait partie des arbitres les plus craints par les joueurs et les entraîneurs. Nul n’osait contester son autorité sur la pelouse parce que le «Vautour» ne badinait jamais avec les lois du jeu. Tous ceux qui l’ont connu, vous le diront, chez Douga Dembélé il n y avait pas de demi-mesure. Sa force, c’était son intransigeance, sa façon à lui d’interpréter et d’appliquer les lois sur un terrain de football. Mais derrière cet arbitre qui n’a pas forcément laissé que de bons souvenirs chez les joueurs, les entraîneurs voire certains dirigeants, se cachaient un grand humaniste et un grand passionné de son métier. Il y a deux ans, un responsable sportif avouait que Douga Dembélé «fait partie de ceux qui ont permis à l’arbitrage malien de se faire une place au soleil sur l’échiquier international». L’hommage n’est pas immérité quand on sait que Douga Dembélé a gravi tous les échelons au plan national (arbitre élève, arbitre du District, arbitre de ligue et arbitre fédéral) et participé à presque toutes les compétitions internationales (coupes d’Afrique des clubs, éliminatoires de la CAN et du Mondial). «Dans l’arbitrage, j’ai eu ce qu’aucun autre arbitre malien n’a eu dans sa carrière», aimait-il dire pour montrer simplement le bonheur qu’il ressentait sur les terrains de football. Le vrai visage de Douga Dembélé, les supporters le découvriront à partir de 1997, lorsque l’homme en noir prit sa retraite. D’acteur, le «Vautour» devient alors spectateur comme tout le monde. Ainsi, à chaque match, cet enseignant de profession, directeur d’une école fondamentale prenait place dans les gradins pour bavarder avec les supporters. Avec son sourire éternel, il se prêtait volontiers aux questions des supporters sur l’arbitrage et faisait régulièrement des confidences à ses interlocuteurs. Ami de tous les journalistes, Douga Dembélé n’hésitait pas également à venir dans la loge de presse pour partager quelques moments avec ceux qu’il appelait toujours les petit-frères. Mais quiconque se hasardait à l’appeler le «Vautour» recevait un carton jaune assorti d’amende. Car pour Douga Dembélé, le droit d’aînesse s’exerçait partout et un cadet ne pouvait en aucun cas s’autoriser à parler du passé de son aîné sans permission. La plaisanterie à tout moment et en toute circonstance, c’était également l’une des qualités de Douga Dembélé. Le «Vautour» serait sans doute venu au stade Modibo Keïta le 11 juillet dernier pour assister à la finale de la Coupe du Mali, Djoliba-Stade malien, mais quelques heures avant ce grand classique, il a été brutalement fauché par la mort. Une demi-heure plus tôt, Douga Dembélé avait eu une conversation téléphonique avec un responsable de la Fédération malienne de football et c’est après avoir raccroché le téléphone et s’être mis à table pour griffonner quelque chose, que l’ancien arbitre international nous a fait faux bond en rendant l’âme. Douga Dembélé repose désormais au cimetière de Hamdallaye où il a été accompagné, le jeudi 11 juillet par une foule composée d’amis, de parents, de supporters et d’anciens collaborateurs. Dors en paix le «Vautour» !
S. B. TOUNKARA