La triste nouvelle a ébranlé les réseaux sociaux et les sites web tôt le matin. Fantani Touré, artiste/compositeur et interprète ainsi que chorégraphe, s’est éteinte à l’aube du mercredi 3 décembre 2014 à Paris (France) où elle résidait depuis plusieurs années avec son époux, Habib Dembélé dit «Guimba national». L’émancipation féminine perd ainsi l’une de ses illustres voix au Mali.
Issue d’une des familles fondatrices de Bamako, les Touré (maures), Fatoumata dite Fantani (la petite Fanta) a découvert la musique et la danse grâce aux activités artistiques et culturelles de Bozola, son quartier situé au cœur de la capitale malienne. Ayant débuté presqu’à 7 ans, elle est distinguée à dix ans «Meilleure soliste et danseuse» lors de la Biennale artistique et culturelle du Mali de 1978. Une initiative culturelle qui servait de tremplin aux jeunes talents des arts et de la culture à l’époque. Elle a conservé sa couronne jusqu’en 1986. Le talent en herbe est propulsé sur la scène musicale africaine en 1995 lors du Marché des arts du spectacle africain (MASA, Abidjan-Côte d’Ivoire).
Pour la circonstance, Fantani chantait en solo, accompagnée par le virtuose de la kora, Toumani Diabaté. Deux ans plus tard (1997), la «Princesse de Bozola» est encore au rendez-vous du MASA avec son propre groupe. Elle enchaîne ce succès avec un premier album baptisé «N’tin Naari» (merci en soninké). «N’tin Naari» (merci en soninké, 1997), «Bozola» (2000) et «Soukabé Mali» (Enfants du Mali en peulh, 2003) ont fait l’histoire du showbiz national, puis international, à leur sortie. On comprend alors aisément qu’elle ait l’un des meilleurs palmarès aux «Tamani d’Or» ou «Trophées de la musique malienne» (Seydoni Music), car sacrée deux fois «Meilleur artiste de l’année» avec un record de vente pour tous ses opus.
Fantani a composé la musique du film «SIA, le Rêve du python» et du feuilleton «Les aventures de Séko» dont son époux, Habib Dembélé dit Guimba est la vedette. Cette grande comédienne a également joué dans deux films, précisément «SIA, le Rêve du python» de Dani Kouyaté et «La Genèse» de Cheick Omar Sissoko dont elle était très proche. Issue de la noblesse malienne, c’est sa détermination qui lui a valu la brillante carrière qui a connu son épilogue le 3 décembre 2014. Courageuse, elle est l’une des rares chanteuses maliennes instruites, car diplômée de l’Ecole d’industrie, de commerce et d’administration (ECICA) et l’Institut National des Arts (INA) de Bamako. Ses dernières apparitions publiques au Mali remontent à la campagne présidentielle de 2013 durant laquelle elle était engagée aux côtés du candidat Ibrahim Boubacar Kéïta plébiscité par la suite président de la République du Mali.
Distinguée Ambassadrice de la paix
C’est donc cette grande voix de la musique, cette voix des «Sans voix», qui a été arrachée à notre affection ce mercredi 3 décembre 2014. Un décès brutal, pour la majorité de ses compatriotes, qui a ému les Maliens qui ont pris d’assaut les médias et les réseaux sociaux (Facebook et Twitter) pour laisser des témoignages éloquents et émouvants. Longtemps rongée par le mal qui vient de l’emporter, on ne l’a jamais entendue gémir ou se plaindre. Bien au contraire, cela l’a rendu davantage combative. Fantani est décédée, mais sa voix va résonner pour l’éternité, car elle nous laisse une œuvre gigantesque avec surtout des clips qui sont de véritables chefs-d’œuvre de promotion des arts et de la culture du Mali.
Épouse dévouée au grand «Guimba national» (Habib Dembélé) et modèle de modestie, Fantani est restée une star engagée jusqu’à son dernier souffle. Ce qui lui vaut cette unanimité sur ses qualités humaines et artistiques. Eminente figure artistique, comme le dit pertinemment le ministère de la Culture en lui rendant hommage, l’engagement de Fantani pour la promotion de la culture malienne a été couronné par de nombreuses distinctions. Il s’agit notamment de Chevalier de l’Ordre national du Mérite au Mali (2010), Prix Unesco de la Paix (2011) et «Tamani d’Or» cette année (2014) en reconnaissance de l’ensemble de son œuvre, mais aussi pour ses efforts inlassables en faveur de l’unité nationale et de la paix.
Elle s’est éclipsée sans avoir concrétisé un rêve qui lui tenait beaucoup à cœur : Le Mali au Zénith ! Le concept était un méga-événement au Zénith de Paris avec toutes les générations d’artistes et cantatrices du Mali sur scène. Puisse le Tout-Puissant et le Très Miséricordieux lui ouvrir les portes de son paradis pour l’éternité ! Amen !
Moussa BOLLY
Adieu Princesse de Bozola
Fantani est partie
Elle s’est éclipsée
De notre quotidien
Elle va nous manquer
Cette humble et digne Princesse Maure
Sa forte personnalité va nous manquer
Son talent et son engagement
Vont manquer aux fans et à la musique
Elle va nous manquer
Cette charmante et joviale star
Réputée pour son franc-parler
Et sa voix nasillarde
Ne nous bercera plus
Parce que Fantani Touré nous a laissés
Elle a tourné dos à la scène
À son «Papa chéri», Habib Dembélé dit Guimba,
À ses enfants
À des millions de Fans sur la planète musique
Immense est le vide
Ainsi laissé sur la scène musicale
Et «Les Voix de Bamako»
Perdent leur mécène engagé
La charmante et l’élégante Souraka Muso
La Princesse de Bozola
S’est éclipsée
Dans la discrétion et dans la dignité
Comme a elle vécu
Humble, mais engagée !
Repose en paix
Dans la Grâce d’Allah,
Fantani Touré !
Moussa BOLLY
Journaliste/Critique
Tu peux dormir en paix, Fantani
Chère Fantani,
Tu me pardonneras de rendre publics quelques-uns des moments que nous avons partagés, mais la retenue n’est plus de mise lorsqu’il s’agit de rendre hommage à l’être qui est parti.
Le septentrion était occupé, les bandits armés y martyrisaient les enfants, les femmes et les hommes, l’intégrité territoriale et la laïcité du Maliba étaient menacées. Dès les premières heures de 2012, du plus célèbre au plus anonyme, les Maliens de la diaspora se sont mobilisés, sous la neige ou en pleine chaleur. Impossible d’énumérer toutes leurs actions. Africains originaires d’autres pays et Occidentaux ont marché à leurs côtés. C’est ainsi que sur le pavé des rues parisiennes, que nos vies se sont croisées. Je ne vais évoquer que deux de ces marches. Enveloppée du drapeau vert, jaune, rouge, tu étais là en avril, sur l’Esplanade des droits humains du Trocadéro, pour rappeler que le Mali est laïc, un et indivisible. En juin aussi, de l’Ambassade du Mali jusqu’à celle du Burkina Faso, tu dénonçais les relations ambiguës de Blaise Compaoré avec le Mnla.
Le 22 septembre 2012, des débats et des concerts ont été organisés pour mieux comprendre les crises qui secouaient le Mali et pour célébrer la paix. Tu as répondu présent à l’appel. Quelque temps plus tard, ton époux, Habib, Guimba national et toi m’avez reçue comme une sœur, chez vous, à Aubervilliers. Je me suis rendue compte de ce que vous représentiez pour les Maliennes et les Maliens, quand, assise à tes côtés, j’ai appelé un de mes amis à Gao. Ce jour-là, pas de problème de réseau, je t’ai passé le téléphone. Tu lui as parlé. Tu as trouvé les mots justes pour lui exprimer ton soutien indéfectible, pour lui faire comprendre que tu souffrais avec eux du joug qu’ils subissaient. L’émotion profonde que j’ai perçue dans la voix de mon ami, était à la hauteur du réconfort qu’une des grandes voix du Mali apportait à ceux restés au Nord qui se sentaient abandonnés aux mains de leurs occupants.
Le 9 novembre 2012, je suis allée à l’Espace Fraternité d’Aubervilliers, car tu y donnais un concert. Quand je suis entrée, ta voix m’a «cueillie» pour me saluer, comme seules celles des griots peuvent le faire. Les lumières n’étaient pas dirigées sur moi, personne n’a pu être témoin de ma surprise. Le 5 juin 2013, dans l’immense salle de l’Unesco à Paris, en présence de Dioncounda Traoré et de nombreux chefs d’Etat, François Hollande recevait le Prix Félix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix. Au grand étonnement de chacun, tu n’as pas hésité à te lever pour le remercier d’avoir lancé l’Opération Serval.
Trois jours, plus tard, tu participais à l’événement Africabezons 2013, consacré au vivre-ensemble au Mali et plus largement, à la paix en Afrique.
Le 20 juin, la Maison de l’Afrique de Paris organisait le Forum sur les musiques africaines, dans l’une des élégantes salles de l’Assemblée nationale française. Des Africains, musiciens, producteurs, distributeurs, diffuseurs, journalistes, responsables de festival ont échangé sur les difficultés de leurs métiers. Tu as expliqué qu’il t’avait fallu braver les arguments de tes parents qui n’admettaient pas que tu puisses vouloir faire de la musique ton métier. Le 16 janvier 2014, je venais d’arriver à Bamako. Je me suis rendue sur les berges du Djoliba, dans les jardins du Palais de la culture.
Dans le cadre du Festival au Féminin Les Voix de Bamako que tu dirigeais, tu animais un débat sur la vulnérabilité des femmes en période de conflits, et sur leur rôle dans la reconstruction de la paix et la réconciliation nationale. Là encore, tu choisissais les termes appropriés qui permettaient aux femmes et aux hommes, jeunes et moins jeunes, assis sous les arbres, de comprendre comment mieux avancer ensemble. Plus tard, dans la soirée, je suis passée à la Fast chercher notre ami commun, le Professeur Assadeck. Lorsque tu nous as vus arriver, c’est à bras ouverts que tu as marché à notre rencontre pour nous inviter à tes côtés, au premier rang, pour suivre le concert, lançant ainsi un message clair à ceux qui murmurent dans les couloirs que les différents groupes culturels maliens ne s’entendent pas.
Ce ne sont là que quelques dates, quelques moments précieux, chère Fantani. Il y en aurait bien d’autres. Il était 6h du matin, mercredi dernier, le 3 décembre 2014, quand la sonnerie du téléphone a retenti. Impossible de comprendre, de croire ce que mes oreilles entendaient. Tu venais de partir. Il m’a fallu appeler Habib pour être sûre que je n’avais pas fait un mauvais rêve. Le temps de parcourir la cinquantaine de kilomètres qui séparent mon domicile du vôtre, j’ai retrouvé ton époux, vos parents et amis, serrés les uns contre autres, essayant ensemble de supporter l’immense douleur de ton soudain départ.
À l’heure où Le Reporter paraîtra en kiosque, ta dépouille aura rejoint ton cher Maliba. Tous ceux qui t’ont connue poursuivront ton combat pour le Mali laïc, un et indivisible, et pour la Paix en général. Chacun reprendra le flambeau de ta lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles. Tu peux dormir en paix, Fantani !
Françoise WASSERVOGEL