Bamadou Simaga n’est plus ! L’icône de l’entrepreneuriat au Mali est décédé, mercredi 1er mai 2019 (Fête Internationale du travail) à l’hôpital Luxembourg “Mère-Enfant” quelques heures seulement après avoir été admis au service de réanimation. Le PDG du Groupe Simaga était pourtant malade depuis plusieurs années. Ses obsèques auront lieu ce vendredi 3 mai dans sa ville natale, Ségou. Nous republions un entretien exclusif qu’il avait accordé au journal “Le Ségovien” du 15 octobre 2007.
Bamadou Simaga à cœur ouvert dans le journal “le ségovien”
“J’ai vomi du sang pour que mes entreprises soient à ce niveau…”
Agé de 72 ans, le PDG du Groupe Simaga est un homme qui s’est fait tout seul. Même si tout au long de notre entretien, il n’a cessé de remercier ses parents qui l’ont obligé à mettre un frein à ses études malgré son examen réussi du CEPE. Etudes par correspondance bien après, le Simaga dont la gestion des entreprises a été toujours égale à elle-même s’est fait valoir des références académiques et managériales dans le monde des affaires au Mali et hors de nos frontières. Peu ou même disons, pas bavard, Bamadou, comme l’appellent familièrement tous les Ségoviens nous ouvrent une partie de ses mémoires derrière lesquelles courent beaucoup d’hommes de lettres.
Le Ségovien : Vous arrive-t-il d’entendre des commérages autour de votre personne ? Que vous êtes cloué dans un hôpital parisien, paralysé totalement, ou que vous avez passé l’arme à gauche ?
Bamadou Simaga : (Rires) Oh ! Vous voulez parler de ces dit-on ? Ils ont raconté bien de sornettes sur moi. Je n’en fais pas rigueur. Le chien aboie, la caravane passe. J’ai entendu qu’on m’a amputé des deux jambes. Que je suis dans un fauteuil roulant ! D’autres disent que je suis mort. Et tenez-vous bien ! Ils ont même annoncé le jour de l’arrivée de l’avion qui devait apporter mon corps !
Que vous inspirent donc ces racontars ?
Pour moi, tout cela est du folklore. Le chien aboie encore, la caravane passe. M. Maïga, s’il plait à Dieu, nous allons fêter chacun notre centenaire ! Vous savez, nous sommes dans un monde aujourd’hui égoïste. Les gens sont devenus méchants, égoïstes, jaloux. Ils ne souhaitent que le malheur pour leur prochain. Or, à ce que je sache, ma survie doit faire le bonheur de toute une population. Le Groupe Simaga est composé de cinq Sociétés (Ndlr : Somatra, Balanzan Transport, Ségou Lait, Betram et les Etablissements Simaga), une œuvre familiale où les actionnaires ne viennent de nulle part ailleurs qu’ici dans ma famille et qui profite pourtant à des milliers de personnes. Quand ils racontaient tous ces mensonges sur moi, ils ont pu voir à mon arrivée de l’Europe toutes les réalisations qu’on a pu faire. Le Groupe Simaga a fait un bond de géant de nouveau.
Vous ne trouvez pas que c’est parce qu’on vous accuse de ne pas savoir partager…..
Mais on ne peut rien contre ça ! Contre de telles accusations. Le capital de la société appartient, c’est vrai, à ma famille mais calculez le nombre de pères de famille qui travaillent et qui gagnent leur pain dans les cinq sociétés. Ils nourrissent des centaines et des centaines de tête, voire des milliers de personnes. Ceux-ci sont impliqués dedans et je me demande s’ils ne gagnent même pas plus que nous. Nous avons le sens du partage.
A votre décharge, est-ce que cette rigueur dans la gestion de vos entreprises, vite assimilée à un manque de partage de votre part, n’est pas due à votre parcours forgé au forceps ?
Mon parcours, vraiment, je ne le regrette pas. Le résultat est là. C’est vrai, j’ai vomi du sang au volant des gros porteurs que je conduisais pour mettre en place ce patrimoine ; des témoins vivent aujourd’hui pour attester de la véracité de mes propos et du lieu où cela s’est passé, à côté du Stade municipal. Donc, il n’est pas séant, vu tous ces efforts entrepris, que nos entreprises soient confiées à n’importe qui. C’est cette rigueur que j’ai enseignée à mes enfants. C’est pourquoi, ils m’ont dit que chaque fois qu’ils vont dans un service public et qu’on apprenne qu’ils sont des enfants de Simaga, on ne tarit pas d’éloges sur moi.
Revenez un peu plus sur votre parcours…
Bon, c’est un parcours très simple. Mes études avaient été interrompues par la volonté de mes parents au niveau du second cycle. Apres ma sortie de l’école, j’ai fait de la cordonnerie auprès de mon père. C’était à l’époque de l’administrateur des colonies Hubert Léon qui occupait l’actuel logement du gouverneur de Ségou et mon père avait son atelier du côté sud du bâtiment. J’assistais mon père. Il y a eu après la Loi cadre (Ndlr : 1946). Ce qui a permis à mon père d’acheter une Citroën décapotable. La rivalité PSP-RDA battait son plein et chacun des partis politiques venait louer la voiture pour des besoins de campagne.
Mon père étant un futuriste et ayant le sens des affaires, s’en est tiré avec des sommes inimaginables avec la voiture. Ensuite, il était le cordonnier de tous les colons, des cadres européens de l’Office du Niger et de toute l’administration. Ainsi M. Medas de l’Office du Niger qui était un bon copain de mon papa, lui a dit, un jour : “Ousmane, pourquoi, avec ces sollicitations, tu ne te cherches pas une voiture de plus grande capacité ?”. Entre autres, il lui a cité un exemple, celui de Dramane Coulibaly et d’Aljouma Maïga, un infirmier. Ils ont acheté une camionnette sur laquelle on peut lire Ségou-Bamako, Ségou-Banlieue. M. Medas venait d’orienter mon père dans le transport et notre papa nous a fait part de sa décision. Malgré mon jeune âge, j’ai accepté la proposition aussi bien que mon grand frère.
Medas a fait confiance à mon père en lui disant qu’il sera garant auprès de la Manutention Africaine, l’essentiel étant de donner une avance. Je venais donc de me séparer des bancs de l’école. Je ne regrette pas le choix de mon père qui était un visionnaire, malgré les réticences de mon directeur d’école, André Bretelet qui trouvait que j’étais très intelligent et que je devais continuer les études. Mon père lui a dit que cette intelligence, je la mettrai au service d’autres entreprises (Ndlr : son père est décédé en 1961). Notre départ dans le transport va commencer avec cette camionnette de 22 places.
Pour la petite histoire, en 1949, quand on commençait, mon frère qui était convoyeur et moi, nous avons vu ce camion rapide, louer par Tahirou Ndiaye, gérant de la Maison Peyrissac, jusqu’à Niamey pour le pèlerinage à La Mecque. J’avais 14 ans, mais je me souviens que dans la délégation, se trouvait la mère de l’actuel imam du 1er Quartier. Quelques années après l’exploitation de cette camionnette, nous avons eu la chance d’acheter un camion 2 tonnes 5. Automatiquement, j’ai abandonné l’atelier de cordonnerie pour gérer le deuxième véhicule.
Aujourd’hui que vous n’êtes pas au-devant de vos entreprises, est-ce que ceux qui les dirigent vous donnent satisfaction, comme vous qui avez donné à votre père des raisons de quitter l’école très tôt ?
Autant j’ai investi dans les affaires, autant j’ai investi dans l’avenir des enfants. C’est ainsi que j’ai envoyé mes 4 garçons et 3 filles sur fonds propres pour étudier le management et la gestion en France afin de prendre la relève. Satisfait de leur gestion ? Je remercie le Bon Dieu. Bon, l’homme n’est jamais satisfait. Ma vision, c’est vraiment l’orientation que j’ai donnée à mes enfants. S’il plait à Dieu, ils feront un bon chemin.
Avec votre retraite, vous n’avez pas l’impression qu’on vous cache beaucoup de ratés dans la gestion de vos entreprises ? Est-ce qu’on vous dit tout ? Ce qui va, ce qui ne va pas…
Je suis aujourd’hui à la retraite. Mon rôle, aujourd’hui, est de servir de conseiller technique. Mon souhait est donc qu’ils me mettent au courant des contraintes que vivent les entreprises et, à mon tour, de les aider. Ils ont intérêt à me dévoiler toutes les difficultés qu’ils rencontrent et que je puisse y trouver des solutions afférentes.
A propos de retraite, quel est véritablement maintenant votre état de santé ?
Dieu Merci. C’est une retraite obligatoire. Je vis aujourd’hui les séquelles de ma très grande activité sur les routes. J’étais un grand routier. A l’époque, il n’y avait pas un seul kilomètre de goudron au Mali ; pas de direction assistée dans les véhicules et nous étions sans amortisseurs. Moi-même je ne savais pas ce qu’était vraiment la fatigue. Ce patrimoine, je l’ai forgé à la sueur de mon front. Dieu Merci, je ne me porte pas très mal. J’ai de la visite et vous le voyez vous-même !
Justement, on voudrait bien savoir l’état de vos relations avec vos camarades d’enfance. Vous les fréquentez ?
Vous savez, j’ai beaucoup d’amis. Et ce sont des amis avec qui nous nous sommes retrouvés depuis lorsque nous jouons des parties de football dans la rue. Jusqu’à l’heure actuelle, nous sommes ensemble. C’est le cas à Ségou de Mamou Traoré, celui que j’appelle le dernier des fédérés. A Bamako, vous avez Boubacar Bass dont le nom est porté sur mon benjamin. Plusieurs ne sont plus de ce monde.
Vous vous seriez fait des amitiés aussi sous le régime de Moussa Traoré…
Au temps de Moussa, nous avions plutôt eu des inquiétudes. Je n’ai pas intérêt à le cacher. Ces inquiétudes se sont révélées justes lors des événements du 28 février 1978 (Ndlr : Arrestation de la bande des trois, Kissima, Tiécoro et Karim). On nous a incarcérés au Camp de gendarmerie de Bamako. Selon leurs termes, nous étions mis à disposition de la gendarmerie, pour raisons d’enquêtes. En plus de moi, il y avait Amary Daou, Diané de la Comatex, Amadou Diatigui Diarra de la Somiex, Diaby de l’Intendance militaire. Ce fut une rafle puisqu’il y avait beaucoup de personnes. On n’était pas maltraités. Je me souviens, c’était juste après les événements du 28 février 1978 jusqu’au 5 mars 1979, soit 10 mois et 5 jours dans les mains des gendarmes. Ce vendredi 5 mars, quand on nous libérait, il y avait toute la commission d’enquête avec en tête le contrôleur général de l’Etat feu Samballa Sissoko. Il a dit je le cite : “M. Simaga, vous étiez mis à disposition pour besoins d’enquêtes. Ce fut long, on s’en excuse. Mais, c’est parce que vous avez fourni des équipements à l’armée, entre autres des groupes électrogènes, des camions bennes, des portes-chars… Il fallait vérifier la matérialisation de la fourniture de tous ces équipements. Ça pris un temps puisqu’il fallait voir tout cela, de Kayes à Tessalit. Nous avons trouvé que les bordereaux de livraison de votre société et ceux de la Socopao, en plus des bordereaux de réception de l’Intendance militaire sont tous conformes. Je vous en félicite car si l’Etat malien avait votre méthode de gestion, on n’en serait pas là aujourd’hui. Donc, après toute enquête, c’est l’Etat malien qui vous est redevable de 430 millions de francs maliens. Je donnerai des instructions pour qu’on vous paye”. Après Samballa Sissoko je fus de nouveau rassuré par le commandant Hamadoun Maïga de la gendarmerie qui m’a dit que j’étais libre et que nos fonds auprès de l’Etat seront débloqués…