Décédé le 25 décembre 2011 à l’Hôpital Gabriel Touré, Baala Guimba Diakité repose dans son village et dans la grâce d’Allah depuis le 29 décembre dernier. Avec lui s’effondre sans doute un pan important de la musique Doson du mandé et disparaît un repère culturel exceptionnel du Mali.
« Sa mémoire rigoureuse, sa voix, son style de jeu et sa dimension mystique ont marqué pour longtemps la musique des chasseurs, ainsi que la musique moderne malienne. Il incarne peut-être aussi l’homme derrière lequel s’ouvre l’ère des Sèrè médiatisés, car il garda toujours un certain recul face à l’émergence des nouveaux supports technologiques et des médias », écrit un critique européen à propos du charismatique et légendaire Baala Guimba Diakité.
Mais, à 95 ans, la légende s’est éteinte après avoir écrit l’une des belles pages de la culture malienne avec son légendaire Simbi, son éternel compagnon. Non-voyant depuis l’enfance (mais il arpentait les ruelles de Baala sans guide), Gimba Diakité n’était pas seulement artiste atypique, mais il a aussi été et demeurera le repère culturel exceptionnel d’une région et d’un pays, le Mandé et le Mali.
Avec le Simbi et sa parfaite maîtrise de l’art oratoire ainsi que sa mythique connaissance de la confrérie des chasseurs, Nfa Guimba (il était l’hôte de mon regretté père à Baala, donc mon père adoptif) a fait de sa musique l’un des vecteurs puissants de la mémoire collective manding. Avec un répertoire riche de chants sacrés et légendaires comme Koulanjan, Baala-Kononifin, Simbo, sa présence dans une traditionnelle veillée nocturne était devenu un immense privilège pour les organisateurs.
En véritable Sora (ou Sèrè signifiant musicien chroniqueur des chasseurs), ce mythe culturel avait su développer un répertoire personnel et profane laissant la part belle à l’improvisation. Comme témoignait un critique français, « la vigueur de son art exalte et stimule le sens des vertus humaines, enthousiasmant un très large public, sans distinction d’âge ou de sexe ». Ce qui faisait de l’Oiseau du Badougou, selon de nombreux témoignages, « le plus grand Sora du Manden ».
« Les ancêtres de mon père étaient des chasseurs. Mon père était aussi un grand guerrier et chasseur venu de Birgo, une province du cercle de Kita. Il s’est installé à Baala (ou Baala) », avait-il dévoilé à un confrère d’Africultures qui l’avait rencontré lors de ses nombreux passages en Europe. Il avait ajouté, « c’est parce que je suis devenu aveugle très jeune que je suis devenu Sèrè. Je n’ai pas eu de maître, j’ai appris en imitant les autres. J’allais me cacher et je montais dans les arbres pour m’entraîner. Je tentais de reproduire les sons que j’avais entendus ».
Début atypique d’une légende
Un apprentissage atypique qui lui a permis de développer un style exceptionnel. « Il paraît que je ne pince pas les cordes du Donso ngoni comme les autres joueurs, que mon style est particulier. Il est vrai que ma cécité m’a fait apprendre par tâtonnement. Je ne joue qu’avec deux doigts. Quand j’allais pêcher au bord du fleuve (Baala est situé en bordure du fleuve Niger communément appelé Djoliba), je célébrais mes prises. C’est comme ça que j’ai commencé », explique cette grande mémoire orale du Mandé. Des chasseurs ont finit par l’entendre jouer et ont prié son père de le laisser jouer pour eux.
« Mais au début, celui-ci s’y est opposé, de peur que les gens disent qu’il ne pouvait pas subvenir aux besoins de son enfant malade. Un jour, il y a eu un événement fortuit. Les chasseurs devaient célébrer une grande cérémonie à Kouroussalé (Mandé). Et le Sèrè qui devait célébrer cette cérémonie avait voyagé en Côte d’Ivoire et on ne trouvait pas assez éloquents les deux autres chantres qui se trouvaient sur place. Alors les chefs des confréries se sont réunis pour aller demander à mon père, en lui forçant un peu la main, que je célèbre leur rite. Ils lui ont dit qu’ils n’avaient jamais vu quelqu’un d’aussi brillant, doté d’une telle voix et d’une aussi bonne mémoire », se rappelait-il. Réticent au départ, le Papa finit par céder. A l’époque, le talent en herbe faisait l’école coranique chez son grand frère qui était l’imam de Baala.
« Un autre jour, les chasseurs sont revenus voir mon père avec un très grand des leurs, notamment Mafodé Kéita de Nafadji. Ils ont dit à mon père que c’en était assez, que si j’étais malade, je l’étais pour tous, mais que c’était moi qu’ils avaient choisi pour être leur chantre, malgré les quarante autres élèves Sora disponibles à l’époque. J’ai demandé à mon père et à mon frère de céder. Ils ont accepté après avoir réaffirmé que notre famille savait subvenir à mes besoins. Voilà comment je suis entré de plein pied dans la Sèrèya, la compagnie des chantres de chasseurs. Mais, j’ai toujours gardé en tête l’idée de me retirer à partir d’un certain âge ».
Une grande notoriété au service de nobles causes
Ce fut le départ d’une brillante carrière artistique jalonné de succès et d’événements inoubliables. « En 1975, Une autre date mémorable eut lieu à Bamako, j’ai participé à la fête de Kibaru (Kibarou), organisée par le ministère de l’Information du Mali. Cette rencontre a rassemblé tous les chasseurs du Mali, notamment le Mandé, le Wassoulou, le Bélédougou, Ségou, Kita, San et le pays Dogon. L’année suivante, c’était à Kangaba. Ces deux manifestations furent très impressionnantes par le nombre de chasseurs qu’elles rassemblèrent. C’est inoubliable. Pendant tout ce temps, je rajoutais continuellement des compositions personnelles au répertoire traditionnel », se rappelait Guimba.
Il faut aussi souligner que Baala Guimba Diakité n’a pas utilisé exclusivement son talent et son charisme au service de la musique. Il fut un artiste engagé qui a servi de nombreuses causes comme la promotion de la femme. On se rappelle surtout de sa présence à la journée (6 mars 2010) dédiée à la Communion au sein des couples par la présidente de la Fondation Partage et fondatrice de Muso Kunda (Musée de la Femme), Adam Bâ Konaré. A cette occasion Balla Guimba, avait martelé que « la femme joue un rôle important même dans la confrérie des chasseurs… On ne peut devenir un grand homme si l’on n’a pas une grande dame derrière soi ».
Il avait mis aussi sa notoriété et son influence en jeu pour soutenir l’abandon de l’excision dans le Mandé. Et grâce à son implication, cette pratique néfaste à la santé maternelle et infantile a été abandonnée dans de nombreuses localités du Mandé. En 1996, la légende vivante du Mandé avait pris sa retraite artistique. Et Ses rares apparitions publiques étaient très symboliques. Sa dernière apparition publique a été sans doute sa présence à la 5ème édition du Festival international des Cauris du Mandé (FESCAURI) que Siby (environ 45 km de Bamako) a abrité du 2 au 4 décembre 2011. A la cérémonie d’ouverture de cet événement, les organisateurs de la manifestation et l’un des sponsors avaient rendu un vibrant hommage à Balla Guimba Diakité « pour son apport exceptionnel à la promotion de la culture du Mandé ».
Le célèbre joueur de Simbi (Donso Ngoni) avait reçu des mains du président de l’Assemblée permanente des chambres d’Agriculture du Mali (APCAM), Bakary Togola, une attestation et une enveloppe de 200 000 F CFA. Mieux, pour saluer cette icône vivante de la culture mandingue, Bakary Togola a pris l’engagement de lui remettre une tonne de riz. Selon de nombreux témoignages, « ce fut un moment très pathétique car, pratiquement, chacun des spectateurs voulaient voir Baala Guimba Diakité de près, le toucher ». Ils étaient loin d’imaginer, pour la grande majorité, que ce serait sa dernière apparition publique, leur dernier contact physique ici bas. La légende s’est éteinte le 25 décembre dernier en nous laissant le mythe et un héritage culturel exceptionnel. Dors en paix Nfa Guimba !
Moussa Bolly
Journaliste/Critique