Bouna a les lèvres qui tremblent et les mains pleines de terre ocre. Il vient d’enterrer son oncle, Adama Traoré, à Bamako. Il ne l’a vu « qu’une fois, au Mali », comme la majorité des gens qui ont assisté aux funérailles de ce jeune homme de 24 ans, mort dans des circonstances controversées, lors d’une interpellation le 19 juillet dans le Val-d’Oise. « Je connaissais son père, depuis des années. J’étais présent à son enterrement. Je viens ici soutenir la famille », explique Mohammed, drapé dans un beau bazin vert foncé.
Adama Traoré n’a pas grandi au Mali. Qu’importe, la solidarité et les racines familiales sont des motivations suffisantes pour la cinquantaine de personnes présentes ici. La pluie battante ne s’est pas arrêtée de la journée. Elle se mêle aux larmes, rince les mains et les visages de ceux qui viennent d’inhumer le jeune homme. « La pluie, c’est un beau présage. Cela signifie que les portes du paradis vont s’ouvrir devant lui », affirme Assa Traoré, sa sœur, qui a fait le déplacement depuis Paris.
« On voulait qu’Adama puisse être enterré pas loin de notre père. » C’est chose faite, il repose désormais dans le cimetière de Kalabancoro, un quartier en périphérie de Bamako. Assa Traoré parle avec une voix amère, emplie de colère :
« Aujourd’hui, on pleure des larmes de haine. Tant qu’il n’y aura pas de justice, on ne pourra pas faire autrement. »
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« La justice, on y croit »
Comme sa mère Oumou, elle dénonce « les mensonges répétés » du procureur de Pontoise, Yves Jannier. « Quand je suis allée à la gendarmerie, on m’a dit que mon fils était en garde à vue. Il était mort, déjà une heure plus tôt. Vous trouvez ça normal de mentir comme ça ? »
Deux proches amis d’Adama ont également fait le déplacement depuis Paris. Ils ne veulent pas que leurs noms soient divulgués dans la presse. « La justice, on y croit. Parce que cette histoire est tellement grosse, il y a eu tellement de cachotteries, que cela ne peut que se retourner contre eux », affirment-ils.
Lors de son arrestation, le jeune homme avait été maintenu au sol sous « le poids des corps » de trois gendarmes, selon une source proche de l’enquête citant les déclarations de l’un des militaires. « Quand des faits comme ça sont reconnus, ça donne envie de continuer à se battre pour la vérité. » Assa Traoré ne veut même plus parler de « bavure policière ». Le mot est trop faible pour elle, « après tout ça ».
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Manque d’implication du Mali
La famille d’Adama dénonce aussi le manque de soutien du gouvernement malien. « Les associations maliennes nous ont immédiatement contactés pour voir comment elles pouvaient nous aider à traverser ça. Mais la justice du Mali, le gouvernement, rien ! », explique Assa. La famille a été reçue une fois par le consul à Paris mais depuis plus de nouvelles. « IBK [Ibrahim Boubacar Keïta, le président malien] est partout dès qu’il s’agit d’afficher sa solidarité avec la France. Mais concernant ses ressortissants que fait-il ? Nous, on veut voir le président. On veut être soutenu politiquement par le Mali. »
Juste avant de s’envoler pour Bamako, l’avocat de la famille Yassine Bouzrou a déposé deux plaintes. L’une, avec constitution de partie civile, pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner », l’autre visant une gendarme pour « faux en écritures publiques aggravés, dénonciation calomnieuse, modification de scène de crime ». Contacté par l’Agence France-Presse, le procureur Yves Jannier a précisé n’avoir « aucun commentaire à faire ». Après deux autopsies, sans qu’il ne soit possible de déterminer les circonstances exactes de la mort, Adama Traoré a donc été inhumé au Mali. Assa Traoré veut croire en la justice :
« Ce que l’on espère c’est que la France restera un Etat de droit, un Etat ou Adama bénéficiera de la même justice qu’un autre. »