Qui est civil ? Qui est militaire ? A quelle occasion est-on belligérant ? Manifestant armé ou non armé ? Qui est-ce qui est civil en Libye et qui l’était en Côte d’Ivoire ? Dans quelle mesure chacun a-t-il besoin de protection ? De liberté ? De démocratie ? La notion de civil n’est plus ce qu’elle était. Le concept de la protection à lui accorder a donc évolué dans la même veine. C’était nécessaire. La France, la Grande Bretagne et les Etats-Unis d’Amérique, en Côte d’Ivoire et en Libye, avaient besoin de cela pour rendre opérationnelles les résolutions 1973 et 1975 votées récemment contre le régime du Guide libyen et contre le clan Gbagbo au pouvoir il y a peu encore en terre ivoirienne.
Depuis que les Etats-Unis ont inventé le concept fumeux de la « guerre préventive » et l’ont lamentablement éprouvé en Irak, la levée de boucliers dans le monde entier, dans les cercles tant politiques qu’intellectuels, tant juridiques que culturels, leur a sans doute fait comprendre qu’il ne faudra plus recommencer de cette sorte à tenter de tordre le cou au droit international. D’ailleurs, il n’est pas de la tradition des Démocrates de se comporter ainsi à la tête de l’administration américaine. Dans la même veine, la France de Nicolas Sarkozy, héritière joyeuse ou non de celle de Jacques Chirac, l’homme du « Non » français à la guerre en Irak, ne pouvait, en dépit du regain d’atlantisme de son Président, s’engager dans des actions militaires internationales sans un minimum de précautions vis-à-vis des normes juridiques internationales. En définitive donc, ni la France, ni les Etats-Unis, ni leurs alliés n’auraient pu mener les guerres ou les opérations militaires dans lesquelles ils se sont engagés ces dernières semaines hors de leurs territoires respectifs, sans un aval du Conseil de sécurité des Nations unies. De l’aube de l’Odyssée qui fait pleuvoir des tonnes de bombes sur les troupes et les armes du colonel Kadhafi en Libye à l’opération Licorne-Onuci qui a contribué à abréger le pouvoir de Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, il est de notoriété publique que le Conseil de Sécurité des Nations unies a voté dans chaque cas une résolution. Sensée indiquer les circonstances, les formes et les limites de l’action internationale à mettre en œuvre pour arriver à des résultats eux-mêmes prédéterminés. En l’espèce, les résolutions 1973 et 1975 ambitionnaient de protéger les civils des frappes et des exactions occasionnées par les moyens militaires exorbitants déployés par les régimes politiques alors mis en cause. En Libye, tout le monde avait vu les avions du Colonel Kadhafi, au début du soulèvement populaire, tirer sur les manifestants dans un effroyable bain de sang. En Côte d’Ivoire, les Forces de Défense et de Sécurité fidèles à Laurent Gbagbo tiraient indistinctement sur les manifestants, les marchés et même les troupes de l’ONUCI. Il était donc urgent que ces forces malfaisantes soient neutralisées. Mais alors, quelle limite faut-il appliquer à la notion de protection des civils quand les forces de l’OTAN se trouvent pratiquement sommées d’ouvrir les routes des villes libyennes d’Ajdabiya, Misrata, Syrte et Tripoli aux forces insurgées ? Où se situe la limite de la protection des civils lorsque les militaires français de l’opération Licorne et ceux des Nations unies sont amenés à détruire le dispositif de protection du palais présidentiel ivoirien afin d’anéantir ses défenses et permettre aux Forces républicaines de Côte d’Ivoire de mettre la main sur Laurent Gbagbo ? Le contenu des résolutions votées par des Etats souvent réticents sur ce type de situation comme la Russie et la Chine, inclurait-il une protection « préventive » et « extensive » des civils ? On le dirait. En faisant voter les résolutions 1973 et 1975 en mettant en exergue l’impérieuse nécessité de protéger les civils, les nations occidentales ont joué sur une corde sensible qu’il eut été immoral pour certains Etats de ne pas accompagner. On se souvient bien qu’à quelques heures du vote de la résolution sur la Libye, les forces du Colonel Kadhafi étaient sur le point d’entrer dans Benghazi, avec la menace d’y commettre une véritable hécatombe. On se doute également bien que sans la résolution 1975, la situation ivoirienne ne serait certainement pas encore en voie de normalisation. Il apparait néanmoins probable que l’élasticité d’interprétation de ces résolutions, parfois obtenues au forceps, mette en délicatesse les prochains peuples en faveur de qui ce type de décision devra peut-être être pris. Car à force de voir l’usage que finissent par faire de leur vote les nations occidentales, la Chine et la Russie seraient bien capables d’en arriver un de ces jours à opposer un veto fatal.
Pour l’heure en tout cas, le dossier Côte d’Ivoire peut être rangé. Il ne reviendra sans doute pas de sitôt, espérons-le, au Conseil. C’est pour la Libye qu’il conviendrait de faire voter une autre résolution. Autorisant clairement la guerre contre le régime de Kadhafi jusqu’à son départ. Mais, il ne faut pas se faire d’illusions en la matière. Le BRICS a déjà annoncé les couleurs. Désormais, veto !
Paul N’guessan