La Transition, comme tout le monde le reconnaît, voulait marcher par la tête, rendant tous les Maliens sceptiques. La Communauté internationale, qui réduit la pratique démocratique dans les Etats africains à l’organisation d’élections, l’essentiel étant d’avoir un nom, une personnalité qui lui est favorable, restait le référant du président de la Transition, lequel avait quasiment oublié le peuple malien qui l’avait toléré comme son président de circonstance. Ce peuple, souffrant jusque dans sa chair les affres de la dure vie quotidienne sur fond de pessimisme quant à l’avenir, à cause d’un gouvernement issu d’une grande erreur de casting, commençait à se demander si réellement la refondation du Mali, telle que promise par les tombeurs du régime IBK, pouvait se réaliser à l’allure où allaient les choses. Le président de la Transition, ignorant quasiment sa mission essentielle, ose partir parader dans une rencontre internationale, prenant ainsi goût aux délices du syndicat des chefs d’Etat, pendant que le Mali, où il est le sapeur-pompier en chef, est en feu parce que sans gouvernement, en plus de voir son économie déjà exsangue s’effondrer à cause d’une grève de la principale centrale syndicale. Ne fallait-il pas agir ?
Si dans la forme de l’acte posé par le colonel Assimi Goïta on trouve matière à tergiverser, dans le fond on peut bien comprendre les mobiles de sa décision de maître “hors de leurs compétences” le désormais ex-président de la Transition, Bah N’Daou et le Premier ministre Moctar Ouane. Deux personnalités qui doivent, en réalité, leur parcelle de pouvoir au Conseil national de salut du peuple (Cnsp) qui a renversé le régime IBK le 18 août 2020 ? Bah N’Daou et Moctar Ouane n’avaient en fait de légitimité que d’être adoubés par la bande de colonels installée aux affaires et détenant la réalité du pouvoir.
Les faits le prouvent d’ailleurs parce que dans l’architecture institutionnelle actuelle que nous avons au Mali, le vice-président de la Transition, se prévalant d’être le gardien de l’expression populaire matérialisée par la Charte de la Transition, a plus de légitimité que le président de la Transition et le Premier ministre. Et en ayant la mainmise sur les forces de défense et de sécurité, le vice-président de la Transition maintient une épée de Damoclès par-dessus la tête des deux personnalités. Cette épée, justement est tombée sur leur tête et la leçon sera bien comprise par ceux qui sont tentés de remplacer Bah N’Daou et le Premier ministre.
En réalité, le bicéphalisme instauré à la tête de l’Etat ne pouvait que conduire à la crise que nous vivons actuellement. C’est parce que ce machin nommé Cédéao a voulu jouer au plus malin mais elle est aujourd’hui prise dans son propre jeu. En effet, en cherchant à faire coexister la Chartre de la Transition et la Constitution qui appelle une réforme profonde, avec comme conséquence deux pôles décisionnels au sommet de l’Etat, la Cédéao avait un très mauvais patchwork ayant conduit à la situation actuelle du Mali.
Effectivement, c’est difficile de toujours concilier les positions des deux plus hautes personnalités de l’Etat, quand l’une pose des actes au nom de la Constitution qui régit sa fonction de président de la République et l’autre fonctionne sur la base d’une Charte qui est censée corriger des distorsions notées dans la gestion des affaires publiques sur la base de la constitution qui se présente comme dépassée.
Faut-il alors reconduire ce schéma sans heurt ? Possible, à condition d’avoir un président de la Transition se contentant d’inaugurer des champs de chrysanthèmes, laissant la réalité du pouvoir à son vice-président qui détient la réalité du pouvoir car véritable pieuvre à la tête de l’appareil d’Etat pour tout happer au passage.
Pourquoi donc ne pas arrêter cette mascarade et laisser s’assumer ceux qui ont pris devant le peuple malien l’engagement d’une refondation de l’Etat après avoir interrompu la vie constitutionnelle ? Surtout que l’histoire récente de la Transition de 2012 est encore fraiche dans les mémoires puisque par les ruses de la Cédéao, la junte du capitaine d’alors, Amadou Haya Sanogo, s’est fait berner pour se retrouver isolée de la gestion du pouvoir sans que les problèmes de fond ne soient vraiment réglés, l’essentiel pour la Communauté internationale étant d’organiser très vite des élections. A quoi servent des élections si elles ne sont pas inclusives ? Faut-il organiser des élections toujours contestées parce que reposant sur un système électoral inapproprié ? Les questions sans réponse ne manquent pas.
Le Mali de ce qu’on appelle pompeusement “l’ère démocratique” vit sa troisième transition politique. La première, en 1991, conduite par feu Amadou Toumani Touré, lui-même auteur du coup d’Etat, fut une réussite. La deuxième, en 2012, qui a échappé aux putschistes, n’a fait que créer les conditions du dépérissement de la vie nationale ayant débouché sur la crise que traverse aujourd’hui le Mali. La troisième dans laquelle nous sommes devrait donc tirer les enseignements du passé et laisser une grande place aux auteurs du coup d’Etat qui détiennent la réalité du pouvoir, à condition que, eux aussi, s’inscrivent dans une dynamique de gestion consensuelle de la Transition pour atteindre les objectifs attendus.
Qu’on le veuille ou non, la classe politique constitue un des grands problèmes de ce pays. Elle ne parvient pas à s”entendre autour de l’essentiel et même s’il y a un regroupement, il fonctionne sur la base d’un jeu de dupes, chacun des leaders pendant pouvoir se servir des autres pour assouvir des ambitions personnelles. Les alliances entre les partis politiques se font et se défont au gré des intérêts de chacun d’eux. C’est très rare de les voir cheminer ensemble sur une base idéologique ou programmatique. Ce sont des alliances de circonstance que nous appelons très souvent, dans les colonnes de ce journal, “des combines politiciennes”.
Même le M5-RFP n’échappe pas à cette réalité car les premières lézardes ont commencé à apparaître dès lors qu’on a demandé à ce regroupement de proposer un Premier ministre. Qu’en sera-t-il si on lui demandera de choisir le président de la Transition ? Le M5-RFP est parvenu à regrouper des leaders politiques se regardant jadis en chiens de faïence parce que le président déchu, IBK et son clan, ont eu le mérite de pouvoir dresser tout le monde contre eux et de faciliter ainsi une alliance de frères ennemis pour les combattre.
Depuis quatre mois le climat était tendu entre l’ex président de la Transition, Bah N’Daou et le vice-président, le colonel Assimi Goïta. Bah N’Daou qui est arrivé sur la pinte des pieds s’est installé progressivement dans la fonction de chef de l’Etat. L’appétit venant en mangeant, il a cherché à exercer ses prérogatives de chef de l’Etat dans leur intégralité, en s’émancipant de la tutelle du Cnsp qui, bien que virtuellement dissout, est plus que jamais actif. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la surprise du vice-président de la Transition de n’avoir pas été convié à un conseil des ministres parce que, tout simplement, le président de la Transition l’avait décidé, cherchant ainsi à réduire l’influence du putschiste en chef. Erreur vite corrigée car en tant que Haut responsable de la Défense et de la Sécurité, le vice-président doit assister au conseil des ministres.
Dès lors, la méfiance s’est installée entre les deux hommes au sommet de l’Etat. De même que la défiance des militaires envers Moctar Ouane ne souffrait d’aucun doute. Mais si Bah N’Daou était quelque peu intouchable parce que bénéficiant du parapluie protecteur de la Cédéao en particulier et de communauté internationale en général, le cas de Moctar Ouane, Premier ministre très contesté, était plus facile à gérer et sa démission donnait l’espoir au vice-président Assimi Goïta que le Bah N’Daou allait le consulter, lui qui les a fait venir tous les deux, pour choisir un successeur de Ouane à même de rectifier la trajectoire de la Transition.
Le faisant, le président Bah N’Daou pouvait d’ailleurs se soustraire de la ligne de mire des vrais maîtres du pays à l’heure actuelle en faisant ainsi acte de bonne foi quant à une collaboration avec la junte. Mais hélas, en un moment donné, il était beaucoup plus dans la peau d”un chef d’Etat élu, qui voyageait tut le temps, au lieu de se concentrer sur les problèmes réels qui ont suscité son accession au poste de président de la Transition.
Mais il faut dire que la situation au Tchad a beaucoup dopé le Cnsp qui s’est rendu compte de la fumisterie de l’Union africaine en acceptant que la Transition reste entre les mains des militaires tout en décidant de les accompagner. C’est d’ailleurs avec une honte et une grande gêne que nous avons lu le communiqué du secrétaire général de l’Union africaine, un Tchadien qui défend avec toute son énergie la junte tchadienne devant l’institution africaine, condamner l’acte du colonel Assimi Goïta en demandant le retour aux affaires de Bah N’Daou et Moctar Ouane. L’Union africaine est donc un machin au même titre que la Cédéao car n’ayant pu rien faire comme des chefs d’Etat comme Alassane Outarra et Alpha condé qui ont manipulé leur constitution pour contourner les dispositions qui empêchent leur troisième mandat qu’ils entament. Et au Sénégal, on soupçonne aussi Macky Sall de vouloir faire la même chose.
Il faut se réjouir que l’ONU n’ait pas suivi la France dans ses propositions de sanctions des membres de la junte, ayant compris que la France, après le soutien enthousiaste de Macron à la junte tchadienne, est disqualifiée pour proposer des sanctions contre la junte malienne.
En un mot comme en mille, il faut coller la paix au colonel Assimi Goïta et ses compagnons du Cnsp pour les laisser assumer ce qu’ils ont commencé car eux seuls sont actuellement responsables devant le peuple malien. Vouloir les supplanter et laver leurs mains dans la gestion de la transition ne ferait que différer la résolution du problème et non apporter une bonne solution.
Amadou Bamba NIANG
Merci monsieur Bamba. Analyse très intelligente et très pertinente. Dans la vie, il faut être logique. Vous ne pouvez pas accepter de travailler dans un régime installé par les militaires qui y sont encore présents au plus haut sommet et en même temps travailler sans eux ou contre eux. Monsieur Bah Ndaw a oublié qu’il n’était pas un président élu et qu’il n’était là que par la volonté de ceux qu’il a fini par mépriser par arrogance. S’il ne voulait pas collaborer avec des militaires, pourquoi est-ce qu’il a accepté ce poste alors que les règles et les rôles étaient très clairement définis dans la Charte de la Transition? Les militaires ont eu parfaitement raison d’agir car on ne sait pas où Monsieur Bah Ndaw se serait arrêté. En politique, c’est parfois une question de vie ou de mort. Il a voulu s’appuyer sur la France pour marginaliser les militaires car certains comme lui considèrent que nos pays ne sont que des sous-préfectures de la France et que Macron est le vrai maitre du Mali. Monsieur Bah Ndaw a joué. Il a perdu.
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