Le Premier ministre n’a pris aucun risque. MoctarOuane s’est offert un discours de la méthode au risque d’assommer les membres du CNT de précisions sur les gros chantiers qui attendent le gouvernement jusqu’à la fin de la transition.
La voie est libre pour le Premier ministre MoctarOuane. Le débat n’a pas duré trop longtemps lundi. Le soleil allait se coucher quand les membres du Conseil national de la transition (CNT) ont donné carte blanche au gouvernement par une écrasante majorité -100 votes positifs, 4 négatifs et 3 abstentions – de conduire les gros chantiers qui l’attendent jusqu’à la fin de la transition.
Vendredi, MoctarOuane a présenté devant l’organe législatif de la transition un Plan d’action de son gouvernement et le chronogramme de mise en œuvre de la feuille de route de la transition politique. Le Premier ministre s’est offert un discours de la méthode enchâssé sur deux dizaines de pages et renfermant une foultitude de sujets abordés. Tour d’horizon des six axes prioritaires.
Renforcement de la sécurité
Le Premier ministre n’a pris aucun risque. Tout pour caresser dans le sens du poil les membres du CNT. En faisant du renforcement de la sécurité son souci primordial, il a signifié par un acte-message sa volonté de s’attaquer à un gros morceau et qu’il comptait bien avancer sur cette question capturée en quatre points : « Diligenter la relecture, l’appropriation et la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger « tant souhaitées par ses compatriotes, puis « accélérer le processus de désarmement, de démobilisation et de réinsertion des combattants dans le Nord et le Centre du pays ; procéder à la dissolution effective de toutes les milices d’auto-défense » et enfin « redéployer les forces de défense et de sécurité sur l’ensemble du territoire national » par le truchement de l’augmentation des effectifs de 25.000 nouvelles recrues, la construction de 42 postes de sécurité, l’acquisition de matériels et d’équipements militaires et la formation d’unités organiques. Un travail titanesque mais pas irréalisable à ses yeux.
Promotion de la bonne gouvernance
MoctarOuane n’avait pas grand-chose à craindre. Le devoir impose aux gouvernants de se mettre à l’écoute des gouvernés, de se mettre à leur service, de veiller à une meilleure distribution de la justice, de renforcer la lutte contre l’impunité et la lutte contre la corruption. « En 2012, le retrait des agents de l’Etat a été ressenti par nos compatriotes en proie contre l’insécurité comme un abandon. Aujourd’hui, malgré le retour progressif de l’Etat, l’accès limité des citoyens aux services sociaux de base renforce le sentiment que les pouvoirs publics ne sont toujours pas en mesure de répondre entièrement à leurs attentes… La lutte contre l’impunité et la corruption s’inscrit en droite ligne des préoccupations soulevées par le peuple malien lors des journées de concertation nationale. Elle pose des questions fondamentales relatives à l’amélioration de la gouvernance et à la mise en œuvre d’institutions fortes et crédibles. Une justice saine, accessible, efficace et performante, des vérifications et audits réguliers, le suivi et l’application des recommandations et sanctions qui en sont issues ainsi que la mise en place de garde-fous relatifs à l’enrichissement illicite sont autant de réformes permettant de restaurer la confiance des citoyens dans l’appareil d’Etat…La dépense publique représente plus de 20% du PIB de notre pays, chiffre très élevé qui explique notre dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure ».
Le Premier ministre compte s’appuyer sur plusieurs leviers à la fois, sensés réduire le train de vie de l’Etat, notamment la bancarisation des salaires des agents des forces de défense et de sécurité, la mise en place d’un système de rapportage de suivi technique et financier des ressources transférées aux collectivités territoriales, la rationalisation de la gestion du parc auto de l’Etat ».
Refonte du système éducatif
Comment repenser une politique scolaire qui répondrait à la crise que traverse l’éducation ? La question pratique de la réforme croise la double question du diagnostic et de ses valeurs.La situation favorise aujourd’hui une réflexion nouvelle sur le sujet, on prend conscience que la question éducative ne se résume à la seule croissance des effectifs, au statut des enseignants, au contenu des programmes, bien que ces dimensions ne soient pas absentes de la liste des problèmes.
« Le gouvernement mettra un cadre légal de discussion qui associera l’ensemble des partenaires sociaux de l’école (administration scolaire, corps enseignant, syndicats, parents d’élèves) autour des problèmes de l’école et permettra de les aborder en toute responsabilité… Le gouvernement entreprend d’organiser les assises nationales de l’éducation qui auront pour but d’établir un diagnostic et un état de lieu sans complaisance du système éducatif et de dégager des propositions fortes en vue d’une refondation pertinente et efficace du système d’éducation et de formation ».
Les réformes politiques et institutionnelles
On ne peut s’interdire de penser qu’à la lumière de l’expérience, et plus particulièrement des dernières législatives, que certaines améliorations d’importance inégale, pourraient être apportées à cette œuvre de démocratisation de nos institutions. Il s’agit ainsi en premier lieu de « parachever le processus de réorganisation territoriale », ensuite de « reformer le système électoral en prenant en compte les Maliens établis à l’extérieur, d’élaborer une nouvelle constitution » et enfin de « poursuivre le chantier de la régionalisation. . . Les questions qui nous interpellent portent, entre autres, sur la multiplicité des organes intervenant dans les élections, la fiabilité du fichier électoral, la faiblesse du taux de participation… Avec les dysfonctionnements constatés dans sa pratique institutionnelle, notre pays a initié de nombreux cadres de réflexion et de concertation sur la consolidation de la démocratie.
En 1999, la nécessité d’apporter les ajustements nécessaires à la pratique institutionnelle et démocratique de notre pays a été soulignée et avait abouti, en 2011, sur un vaste chantier de réformes politiques et institutionnelles conduit par le Comité d’appui aux réformes institutionnelles (CARI) a été lancé. Une autre initiative de réformes a été suspendue en raison des tensions politico-sociales qu’elle avait suscitées. Dans le même esprit, fut recommandée, à l’issue du dialogue national inclusif tenu en 2019, l’organisation d’un référendum pour la révision de la constitution du 25 février 1992. En tirant les leçons de ces différences initiatives et sur la base des recommandations des journées de concertation des 10,11 et 12 septembre, seront engagées des réformes politiques et institutionnelles».
Adoption d’un pacte de stabilité sociale
Reposant sur des fondements axiologiques, politiques, économiques, sociaux, le pacte de stabilité sociale a pour objectif général de contribuer à l’instauration et à la consolidation d’un climat apaisé, propice à une amélioration significative des conditions de vie, et le renforcement de la sécurité, de la stabilité et de la gouvernance. A cet effet, le Premier ministre s’est engagé à « organiser le débat sur les questions de société comme le rôle des autorités coutumières et religieuses, la question et la pratique de l’esclavage ainsi que sur le statut de la femme, à engager le dialogue avec les groupes radicaux maliens, à engager le dialogue entre les communautés et acteurs locaux en conflit , à créer les conditions favorisant le retour des déplacés et refugiés , à accélérer le processus d’indemnisation des victimes depuis 1960 ».
Organisation des élections générales
La démocratie est souvent appréciée sous l’angle de l’organisation d’élections libres et transparentes. Le vote est perçu comme le mode le plus légitime de désignation des représentants du peuple et de se prononcer sur des questions spécifiques par voie référendaire.
MoctarOuane a pris l’engagement d’élaborer un chronogramme pour les futures échéances électorales, d’actualiser le fichier électoral, à travers l’audit et la révision des listes électorales, la tenue des élections et du référendum, notamment.
Un long chapelet d’actions engrené qui a laissé perplexe les chapelles politiques et les organisations de la société qui ont jugé le temps imparti–13 mois avant la fin de la transition – trop court pour dérouler, ne serait-ce, qu’une pincée de son plan d’action. Son examen oral passé avec brio, il pourrait se fracasser contre l’impossibilité de transformer ses généreuses idées en actes concrets. Le but poursuivi n’était-il pas de tout promettre pour ne presque rien faire ? L’essentiel ne résidait-il pas dans l’obtention de l’onction des membres du CNT ?
Georges François Traoré