Pourquoi l’armée française est-elle allée à Kidal sans les soldats maliens ? Pourquoi Paris tient-il tant au dialogue avec le MNLA fortement diminué par les évènements dramatiques qui ont mis le Mali au devant de la scène mondiale depuis un an ? Quel accord le Mali peut-il trouver avec le MNLA ou le MIA récemment sorti des flancs de Ançar Dine qui n’existe déjà dans le Pacte national signé en avril 1992 et l’Accord d’Alger de mai 2006 entre la rébellion touareg et le gouvernement du Mali ? Telles sont les questions que l’on se pose au regard de l’attitude affichée par la France par rapport à la région de Kidal.
En effet, après son intervention fulgurante qui a permis de stopper nettement l’avancée des jihadistes vers la capitale malienne et de libérer la majeure partie du nord, l’armée française a brusquement changé de stratégie dès lors qu’elle s’est trouvée en situation de “ finir le travail ” en passant à la conquête de la région de Kidal. Après la débâcle des éléments d’Ançar Dine suite à l’avancée spectaculaire des troupes franco-maliennes, cette région, qui constitue le cœur de la rébellion Touareg, a été occupée avec une étonnante facilité par le MNLA dont tous les observateurs s’accordent à dire qu’il n’existe plus que par son sigle. Son convoi d’une vingtaine de pick-up peints à la couleur du désert a pu entrer dans la capitale de l’Adrar des Iforas sans être le moins du monde inquiété par la chasse française qui ne pouvait ne pas le savoir. Les satellites américains veillent bien au-dessus de nos têtes.
Plus curieusement, l’armée française elle-même a débarqué à Kidal sans son alliée locale qu’elle est venue secourir, du moins tant qu’il s’agissait du centre du pays et des capitales régionales historiques que sont Gao et Tombouctou. Créant ainsi le doute et l’émoi chez le commun des Maliens. Car Kidal est à la fois le sanctuaire et le symbole de la rébellion au Mali. Toutes les rébellions qui ont eu lieu dans ce pays depuis l’indépendance en 1960 à ce jour sont parties de là. Et toutes se sont terminées là. Du moins provisoirement pour reprendre quelques années plus tard. Donc en libérant Gao et Tombouctou par les armes et en préconisant le dialogue pour la région de Kidal, la France crée le sentiment d’une guerre inachevée. D’autant plus que face à la montée en puissance de l’opération Serval, les jihadistes “ suréquipés et bien entraînés “ (d’après les Français eux-mêmes) ont trouvé refuge dans les montagnes de la région où l’accès sera très compliqué pour les seules forces maliennes et africaines.
La France croit-elle qu’en ménageant le MNLA, peut-être le MIA, récemment sorti du flanc de Ançar Dine et en les mettant du côté des forces de la reconquête, elle rendrait celle-ci plus aisée et favoriserait l’avènement d’une paix durable voire définitive entre cette région et le reste de l’entité malienne ?
Des négociations et des accords, il y en a eu dans le passé, notamment le Pacte national en avril 1992 et l’Accord d’Alger en mai 2006. Dans tous ces documents qui ont force de loi puisque adoptés par l’Assemblée nationale, le gouvernement du Mali s’est évertué à accorder des avantages pharaoniques aux régions du nord, en particulier celle de Kidal aux plans économique, social, culturel (construction d’infrastructures routières, aéroportuaires, insertions des jeunes dans le tissu économique, multiplication des écoles avec cantines et des centres de santé, alphabétisation des femmes et des jeunes, formation aux métiers de l’artisanat et du tourisme, accès aux services sociaux de base en particulier l’eau potable pour laquelle des milliers de forages ont été réalisés etc). S’y ajoute le processus de décentralisation qui leur a accordé une large autonomie dans la prise des décisions concernant leur quotidien. Les différents programmes destinés à la promotion des populations de Kidal ont englouti ces dernières années plusieurs centaines de milliards de FCFA. Aucune autre région du Mali ne peut se targuer d’avoir bénéficié d’autant d’argent que celle de Kidal. Il y avait comme qui dirait une véritable politique de discrimination positive à l’égard de cette région. Au nom de la paix, de la stabilité et de l’unité.
Malgré tous ces efforts consentis par l’Etat malien dont on sait la limite des ressources financières et de ses partenaires au développement, la région de Kidal reste à ce jour une région à problème. A cause de l’agitation irraisonnée d’une poignée de têtes brûlées qui rêvent de faire du Sahara malien un vaste no man’s land où elles peuvent se livrer à toutes sortes d’activités criminelles transfrontalières comme le trafic de drogue, le trafic des humains vers l’Europe, la prise d’otages occidentaux, le trafic des armes de tout calibre pour alimenter les foyers de guerre à travers le monde, le recrutement et l’entraînement des individus pour nourrir et faire prospérer le terrorisme antioccidental.
Seulement voilà : le MNLA est allé trop loin cette fois-ci en proclamant l’indépendance de l’Azawad, ce qui n’avait jamais été fait par les rébellions précédentes. La communauté internationale n’a certes pas reconnu ce nouvel Etat artificiel, sans fondement ni juridique ni politique (l’appartenance de cette zone au Mali n’ayant jamais été contestée depuis mille ans et les Touareg, venus d’Algérie pour s’y implanter en fuyant l’islamisation et l’arabisation n’y ayant jamais occupé une position majoritaire eu égard à leur nombre insignifiant). Malgré tout, l’ONU, dans sa résolution 2085 du 21 décembre 2012, a fortement recommandé aux autorités de la transition maliennes le dialogue politique avec les Touareg concomitamment avec le volet militaire. En allant à Kidal sans l’armée malienne et en appelant Bamako à dialoguer avec le mouvement touareg, Paris est resté dans la logique de la résolution de l’ONU. La France est en phase également avec la CEDEAO qui n’a jamais écarté l’option du dialogue et a même désigné pour le rechercher et le conduire le président burkinabé Blaise Compaoré désigné par elle “ médiateur dans le conflit malien “. Avec moins d’enthousiasme, l’Union africaine elle-même, pilotée par le président béninois Thomas Yayi Boni, s’était inscrite dans la même quête de dialogue. Enfin, dans une interview accordée à nos confrères de RFI, le président Dioncounda Traoré lui-même n’écarte pas l’hypothèse d’un dialogue avec le MNLA, tout en précisant que de son point de vue, Ançar Dine, qui s’est rendu coupable de la situation de guerre qui prévaut actuellement, s’est totalement disqualifié.
La grande interrogation est de savoir maintenant sur quoi le dialogue tant prôné va porter. Le président par intérim a déjà fait savoir que le préalable à toute discussion serait pour le MNLA de se débarrasser de sa demande d’indépendance. Il a ajouté que la solution pourrait se trouver dans le cadre de la démocratie et de la décentralisation qu’offre le système politique malien. Ce qui nous ramène en fait aux deux grands accords signés en 1992 et 2006. Il est difficile, en effet, d’aller au-delà de ces deux textes en matière de concessions économiques, politiques, administratives et culturelles. Une façon de dire que tout ce qui est faisable par un Etat comme le Mali a été déjà fait pour préserver et consolider la paix, l’entente et la cohabitation harmonieuse entre la région de Kidal (et non encore une fois le nord du Mali comme on le dit abusivement) et le reste de la nation malienne.
Pour aller plus loin, il va falloir que la France, qui a démontré qu’elle est l’amie du Mali et qui, par la voix de son ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, affirmé que ” les Touareg aussi sont (ses) amis ” formule des propositions inédites et plus poussées dans les domaines de préoccupations explorés par le Pacte national et l’Accord d’Alger. Ce ne sera pas pour elle une tâche aisée.
Youssouf CAMARA