De son indépendance à nos jours, sept présidents se sont succédé à la tête du pays avec des fortunes diverses. Quatre d’entre eux ont été malheureusement renversés par une opération militaire de rupture de l’ordre constitutionnel, plus précisément un coup d’Etat. Curieusement, tous les coups d’Etat se sont déroulés un mardi, inscrivant ainsi d’une encre indélébile quatre mardis noirs dans l’histoire politique du Mali. Même si le dernier n’a fait, heureusement, aucune victime humaine.
Le mardi 19 novembre 1968, coup d’état contre Modibo Kéïta
Un groupe de sous-officiers de l’armée malienne dirigé par le lieutenant Moussa Traoré, alors instructeur de la milice populaire du Mali, a donné un coup d’arrêt au régime nationaliste du président Modibo Kéïta, le mardi 19 novembre 1968.
Modibo Kéïta est le premier président du Mali lorsque ce pays proclame son indépendance, le 22 septembre 1960. Celle-ci fait suite à l’éclatement de l’éphémère Fédération du Mali, formée entre le Soudan français et le Sénégal. Un panafricaniste engagé, Modibo Keita prône le non-alignement à l’extérieur et un modèle de développement socialiste sur le plan domestique.
Dans la nuit du 18 au 19 novembre, à minuit, les putschistes rassemblent la garnison de Kati et leur annoncent leurs intentions. Le réseau téléphonique est coupé à 2 heures du matin et les cadres du parti-Etat d’alors, l’Us-Rda, commencent à être arrêtés avant l’aube. Les soldats stoppent le convoi du président Kéïta alors qu’il rentrait à Bamako depuis Mopti. Ils prévoient de l’arrêter à Koulikoro lors de sa descente de son bateau, le Général Abdoulaye Soumaré. Mais Modibo Keïta est en avance sur son horaire et sa Citroën DS est bloquée à 10h à Kayo, à quelques kilomètres seulement de Bamako.
Le lieutenant Bagayoko lui demande : “Monsieur le président, voulez-vous mettre à la disposition de l’armée ?” puis les officiers le font monter dans un véhicule blindé de transport de troupes BTR-152. Il est amené à Bamako à 11h30. Les militaires mutins lui demandent de mettre un terme à sa politique socialiste et de remplacer ses collaborateurs, mais Modibo Keïta refuse, arguant son élection démocratique sur la base d’un programme socialiste. Cependant, selon le capitaine Abdoulaye Ouologuem, conducteur de la voiture présidentielle, les mutins ne font que réclamer de nouvelles élections, ce que le président refuse. Devant ce refus, l’armée diffuse un message radio pour confirmer son arrestation et annoncer la fin de son “régime dictatorial”, selon les termes du communiqué.
Le mardi 26 mars 1991, coup d’état contre Moussa Traoré
Le 26 mars 1991, le régime de Moussa Traoré est renversé par une junte militaire qui a pris le nom de Comité militaire de libération nationale (Cmln).
À la fin des années 1980, le mouvement de contestation contre le régime autoritaire du général Moussa Traoré s’accentue. Attisées par la situation économique, les sécheresses et les aspirations démocratiques des Maliens, des grèves étudiantes et syndicales secouent le pays. La répression brutale accentue le climat d’instabilité. Les militaires prennent alors l’initiative d’arrêter Moussa Traoré, le 26 mars 1991. Le nouvel homme fort du pays, le général Amadou Toumani Touré qui dirige le Comité transitoire pour le salut du peuple prennent la décision de dissoudre le parti-Etat, l’Union démocratique du peuple malien (Udpm). Comme preuve de bonne volonté d’ouverture et de ne pas s’éterniser au pouvoir, ils nomment un civil, Soumana Sacko, à la tête du gouvernement. La transition se poursuit malgré un coup d’État raté, le 15 juillet 1991, qui mène entre autres à l’arrestation du ministre de l’Intérieur.
Après son arrestation, Moussa Traoré est emprisonné à la prison de Markala. En février 1993, lors d’un procès qualifié de Nuremberg malien, il est condamné, par un tribunal de Bamako, à la peine de mort pour crimes de sang commis entre janvier et mars 1991. Il est incarcéré ainsi que tous les membres de sa famille, dont son petit-fils de 6 ans qui a purgé une peine de 14 mois.
L’histoire retiendra que Moussa Traoré est le premier chef d’État africain à devoir répondre de ses actes devant la justice de son pays. Ayant été condamné à mort, ainsi que son épouse Mariam, Moussa Traoré est déchu de ses droits civiques et ne peut donc pas voter. Il considère cependant avoir été condamné pour des crimes qu’il n’a pas commis. Ensuite, il soutient mordicus avoir été la victime d’un complot politique. Pour lui, le massacre du 26 mars 1991 a été orchestré par l’opposition politique et les socialistes français qui auraient fait venir des mercenaires au Mali afin de le déstabiliser. Ce qui fut d’ailleurs le fil conducteur de ses avocats lors du procès qui retiendra la participation de l’éminent avocat sénégalais Me Cheick Khoureïchi Bâ. Dans le cadre de la stratégie mise en place par la défense de Moussa Traoré, Me Bâ était chargé de déstabiliser l’accusation soutenue par Manassa Dagnoko, la même qui vient d’être limogée de la Cour constitutionnelle. Les autres avocats, chacun en ce qui le concerne devait ensuite battre en brèche, avec des arguments de droit, les différents points de l’accusation.
Le mardi 20 mars 2012, débute un coup d’état contre Amadou Toumani Touré
Le mardi 20 mars 2012, 80è jour de l’année 2012, débute un coup d’état contre le président Amadou Toumani Touré. C’est ainsi que le lendemain, le mercredi 21 mars 2012, le régime du président Amadou Toumani Touré est renversé par une poignée de soldats maliens jusque-là anonymes. Des sous-officiers coiffés par quelques officiers subalternes ont finalement transformé en putsch une mutinerie démarrée la veille, le mardi 20 mars, au camp Soundiata Kéïta de Kati.
Amadou Toumani Touré, affectueusement appelé par ses initiales ATT, ancien lieutenant-colonel putschiste, mais converti en homme d’état légalement et légitimement élu par la voie des urnes, avait su résister aux pressions de son entourage et s’était ainsi abstenu de briguer un troisième mandat. Par cette décision historique, qui divorçait d’avec l’entêtement de chefs d’Etat de la sous-région à s’éterniser au pouvoir, quitte à tripatouiller leur constitution, ATT voulait compléter de la plus belle manière une partie de l’histoire politique du Mali qu’il était en train d’écrire. Mais il a raté sa sortie par la grande porte de l’histoire politique du Mali à un mois de l’élection qui devait permettre la désignation de son successeur.
Son tombeur, le capitaine Amadou Haya Sanogo, est ensuite présenté au peuple malien comme le nouvel homme fort du pays, en tant que président du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (Cnrdre). Suite à une pression de la communauté internationale, à travers la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao), les putschistes ont accepté un semblant de retour à l’ordre constitutionnel avec la démission du président ATT, pour permettre au président de l’Assemblée nationale, Pr Dioncounda Traoré, de diriger la Transition. Mais il fallait s’accommoder d’une sorte de bicéphalisme car la garnison de Kati entretenait autour du capitaine Sanogo une importante activité politique. Par un décret présidentiel signé par le président Dioncounda Traoré, le capitaine Sanogo est élevé à titre exceptionnel au grade de Général d’Armée et devient ainsi, à son jeune âge, le militaire le plus gradé de l’Armée malienne.
Après l’élection du président IBK pourtant adoubé par la junte, Amadou Haya Sanogo séjournera plusieurs années en prison au titre d’une détention préventive, en attendant un procès relatif à l’affaire dite des 21 Bérets rouges disparus, suite à ce qui est communément appelé au Mali “contre-coup d’état” mené par les commandos-parachutistes, lesquels se distinguent du reste de l’Armée malienne par leurs bérets rouges.
Sanogo sera ensuite libéré après plus de cinq ans de détention, tandis que le procès attendu, quant à lui, n’a jamais eu lieu.
Le mardi 18 août 2020, coup d’état contre Ibrahima Boubacar Kéïta
Durant sept ans passés au pouvoir, le président IBK a beaucoup déçu les Maliens qui avaient vu en lui un homme providentiel en mesure de sortir le Mali de la crise sécuritaire qui menaçait son existence, notamment avec la pression exercée par les djihadistes et la tentative de sécession d’une partie du territoire menée par des leaders touareg indépendantistes.
Mais avec IBK au pouvoir, ce n’est plus seulement le nord du Mali qui est soustrait du contrôle de l’Etat par les groupes armés, mais aussi le centre du pays. La situation sécuritaire s’est beaucoup dégradée et les forces de défense ne sont pas équipées à souhait, malgré les centaines de milliards de francs annoncés comme dépensés à travers des marchés scandaleux d’achat de matériel militaire. Des hélicos et avions d’occasion sont achetés pour rester cloués au sol. S’y ajoutent des histoires de détournement des primes des militaires.
Pendant ce temps, le front social est en ébullition et tous les secteurs de l’économie nationale connaissent des perturbations. Les Premiers ministres défilent sans rien changer à la gestion du pays puisque, comme on le sait, changer les Premiers ministres relevaient du rafistolage, du vernis de gouvernance car le vrai problème était le chef de l’Etat lui-même. Ne dit-on pas que le poisson pourrit d’abord par la tête !
Toujours est-il que le mécontentement généralisé, porté par la voix du M5-RFP sous le leadership de l’imam Mahmoud Dicko, a plongé le Mali dans une période trouble ponctuée de contestations et d’une campagne de désobéissance civile pour réclamer la démission du président IBK. Ce dernier a résisté, secouru par la Cédéao dont les propositions de sortie de crise n’ont été, en fait, que de l’huile jetée sur le feu parce qu’ayant radicalisé davantage le vaste mouvement de protestation. Le Mali était bloqué, il était presqu’à l’arrêt disait-on dans les rues de Bamako. C’est dans cette situation que les militaires, dirigés par un groupe d’officiers supérieurs, ont pris leurs responsabilités pour arrêter Ibrahim Boubacar Keïta et les dignitaires de son régime et le contraindre par cette voie à la démission, le mardi 18 août 2020. Le quatrième mardi noir de l’histoire politique du Mali venait d’être vécu, mais cette fois-ci sans aucune effusion de sang.
Amadou Bamba NIANG