L’Accusé sans nom : Le procès (suite)

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-Le Président : A tout seigneur, tout honneur ! Actualité oblige, compte-tenu de la crise que traverse le pays, mais aussi du rôle joué par les Forces armées de défense et de sécurité, est appelé à la barre le représentant de l’Armée. Est-il présent dans la salle ?

-Oui, monsieur le Président.

-Le Procureur Général : Monsieur le Représentant des forces armées et de sécurité, il vous est reproché, je voudrais dire par là aux Forces armées et de sécurité dans leur ensemble, d’avoir failli à votre mission de défense et de sécurité de la nation. Et c’est là un euphémisme, car les termes contenus dans la plainte sont assez durs. Le Peuple vous accuse de l’avoir trahi pour n’avoir pas accompli votre devoir lorsque des groupes armés et des djihadistes se sont attaqués à la mère patrie, avant de la réduire à sa portion congrue. Il ne restait plus, en effet, qu’un tiers de son territoire. Depuis les temps immémoriaux, vous conviendrez avec moi que le Mali n’a jamais été autant humilié. Nos ancêtres ont dû se retourner à plusieurs reprises dans leur tombe. La forfaiture des forces de défense et de sécurité est d’autant inadmissible que le peuple a délibérément renoncé à une partie de ses ressources, afin de prendre en charge ceux qui sont appelés à le défendre contre d’éventuels envahisseurs.

Un rappel me paraît nécessaire par rapport aux événements du Nord, en l’occurrence la rébellion du MNLA, suivie de l’occupation de deux tiers du territoire national par des groupes armés.

Le peuple malien ne comprend toujours pas comment les forces armées d’une nation à la bravoure légendaire ont pu fuir devant l’ennemi, livrant les citoyens à leur sort. Seuls quelques soldats ont accepté de se sacrifier pour défendre leur honneur de militaires et accomplir leur mission de défense jusqu’au bout.

La débâcle de l’armée a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Pour justifier leur forfaiture, les militaires ont souvent invoqué le manque de matériel nécessaire à leur mission. Mais cet argument ne saurait nous satisfaire. En effet, monsieur le Représentant des Forces armées et de sécurité, vous avez souvent essayé de faire croire que les présidents Alpha Oumar Konaré et Amadou Toumani Touré sont les seuls responsables de la faillite de l’armée, pour n’avoir pas effectué les investissements nécessaires à la modernisation de l’armée, et ont préféré la laisser mourir de sa belle mort. Le peuple ne remet nullement en cause ces accusations, mais la responsabilité de l’armée ne lui paraît non plus aucunement moindre. Elle est au contraire plus grande que la responsabilité politique. Et ceci pour des raisons toutes simples. En effet, s’il est vrai, comme vous le dites, que les deux chefs d’Etat déjà mentionnés ont failli à leur mission, il n’en demeure pas moins que vous les avez suivis et encouragés dans leur déroute. Certes, l’armée est qualifiée de Grande Muette, mais pour autant, rien ne l’empêchait, au regard de la menace grave qui planait sur le pays, d’attirer l’attention de l’autorité politique sur la réalité militaire dans un premier temps, et si nécessaire, de la dénoncer publiquement voire mettre en garde cette autorité politique dans un second temps, d’autant plus que c’est la survie du Mali qui était en jeu. Vous avez préféré vous accommoder de cette situation qui vous arrangeait apparemment. Vous avez préféré vous prélasser dans vos salons avec les galons de général qui vous ont été distribués à la pelle, au moment où certains hauts gradés ne maîtrisent même pas le fonctionnement de nos engins lourds. Vous avez préféré vous affubler de vos faux galons et rouler dans vos 4×4 et autres véhicules non immatriculés aux vitres teintées, ces véhicules que vous ne dédouanez presque jamais malgré le sacrifice et les privilèges que la nation a bien voulu vous consentir. Mais je reviens à un autre aspect de la faillite militaire.

Les événements de ces dernières années nous ont amplement convaincus que notre ‘’vaillante armée’’ n’est qu’un tigre en papier. Et pour cause !

La fuite de nos soldats devant l’ennemi avait une autre explication tout aussi valable. Durant ces vingt dernières années, lorsqu’il s’est agi de recruter de jeunes soldats dans l’armée, des chefs militaires, et même tous les autres, ont trouvé là une occasion inespérée d’accorder le privilège à leurs propres familles. Charité bien ordonnée…Rares étaient les jeunes garçons non issus de familles de militaires qui avaient la chance de se faire enrôler, malgré toutes leurs aptitudes physiques et mentales. Ceux qui parvenaient à porter le fameux uniforme devaient mettre la main à la poche. Cette pratique honteuse a continué même lorsque nous étions en pleine crise du Nord en 2012 et que la junte militaire, qui avait chassé le président ATT, s’était installée au pouvoir. Le résultat a été que nous nous sommes retrouvés avec une armée composée de ceux pour qui leurs parents n’avaient rien pu trouver d’autre, ou encore de recrues sans vocation aucune, qui ne portent l’uniforme que pour échapper au chômage, parce qu’ils ne pouvaient rien trouver d’autre à faire, parce que leur père était militaire. Ils ne sont pas venus dans l’armée pour combattre, mais pour toucher un salaire.

Certains militaires avaient jusqu’à trois membres de leur famille au sein des Forces armées. Ainsi, dès que le conflit a éclaté et que nos forces –comme on pouvait s’y attendre – se sont retrouvées en position de faiblesse, ces papas, en chefs de famille et à la faveur de la banalisation du téléphone, ordonnaient à leurs enfants de déserter et regagner la famille.

Je me souviens encore de ces propos combien justes du général Gassama aux mères de famille. En substance, avait-il dit : « Au moment des recrutements, vous exigez d’avoir la priorité pour vos enfants, et maintenant qu’ils sont au front, vous manifestez votre colère, soi-disant qu’ils sont en train de mourir ». En somme, le beurre et l’argent du beurre !

Monsieur le Représentant de l’armée, un autre symbole de la trahison de l’armée, c’est le fameux Prytanée militaire que vous avez détourné de son objectif initial. Comme pour l’enrôlement dans l’armée, n’accèdent au fameux centre de formation que les ‘’fils à papa militaires’’. Le résultat est que nous nous retrouvons avec de jeunes officiers sans vocation, lesquels, de surcroît, ne pourront jamais se sacrifier pour la patrie, pour la raison que j’ai tantôt soulignée, à savoir leur filiation.

Le recrutement, mesdames et messieurs, est une affaire trop sérieuse. Je me souviens encore qu’en son temps, il ne se faisait pas partout. Des localités étaient ciblées, des ethnies étaient objectivement privilégiées. C’est pourquoi j’ai été atterré  de voir qu’en pleine crise, ceux qui ont fait partir ATT ‘’dans le but de rétablir l’ordre et la dignité du peuple malien’’, comme ils l’ont prétendu, n’ont trouvé autre chose que de recruter des jeunes de Bamako ou Ségou…c’est-à-dire nos plus grandes villes qui ne sont certainement pas les meilleurs endroits indiqués pour cet exercice, d’autant plus que nous n’avions pas besoin en ce moment d’enrôler de petits citadins diplômés sans emploi, mais de vrais combattants convaincus qui ne cherchent qu’à rendre à leur patrie sa dignité. Et Dieu sait s’ils sont nombreux, malgré la déconfiture sociale. C’est comme le sac de piment, il a beau être vide…

Toujours par rapport au recrutement opéré sous la Transition, de nombreux jeunes – enrôlés ou non – ont témoigné qu’il fallait débourser de l’argent (trois cent mille francs CFA par personne, selon certains témoignages) pour espérer figurer sur la liste des ‘’bienheureux’’. « Bienheureux » entre guillemets, car ils l’étaient pour eux-mêmes, pour avoir décroché un ‘’job’’. Pardonnez-moi de recourir à ce mot vulgaire, mais c’est ce qui me paraît convenir en pareille circonstance. En revanche, « malheureux », ils étaient pour l’opinion publique, convaincue que ce ne seraient nullement des combattants recrutés à coup de dizaines de milliers de francs CFA qui laveraient l’humiliation qu’elle subit depuis plusieurs années maintenant.

Monsieur le Représentant de l’armée, c’est là aussi une nouvelle démonstration évidente de la trahison des forces de défense et de sécurité de la patrie. En effet, au moment même où la chère patrie traversait la pire crise de toute son histoire, à cause notamment de l’absence d’une armée digne de ce nom, ceux qui ont pris le pouvoir par la force n’ont trouvé mieux que de poursuivre les pratiques qui nous ont conduits là où nous sommes aujourd’hui.

Monsieur le représentant de l’armée, j’en viens à présent au manque d’équipements militaires adéquats nécessaires à l’accomplissement de votre mission. Pour se trouver une parade, les militaires, suivis en cela par une large partie de l’opinion, ont reproché aux régimes successifs d’Alpha Oumar Konaré et d’Amadou Toumani Touré, de reléguer l’armée au second plan, de n’avoir pas assuré l’entretien des équipements militaires existants, et de ne pas avoir acheté de nouveaux. Comme cette large partie de l’opinion dont je viens de faire cas, je partage cette lecture de la situation. Mais en partie seulement. En effet, s’il est vrai que les décideurs, les politiques, les chefs d’Etat n’ont rien fait pour mettre l’armée dans les conditions optimales, il n’en demeure pas moins que la responsabilité de l’armée dans cette situation me semble plus grande. Car, ce qui s’est passé est le suivant. Pour vous faire taire, les gouvernements successifs vous ont bombardés de galons, de véhicules 4×4, d’avantages de toutes sortes. On vous permettait de ne pas dédouaner vos véhicules personnels, d’utiliser les véhicules de l’Etat à des fins personnelles, de circuler dans des véhicules aux vitres fumées, en violation de la loi en vigueur, de vous rendre au service quand vous vouliez…Bref, tout vous a été permis au prix de votre silence sur le chaos qui guettait la nation et qui, hélas, ne l’épargna pas. Et ce, malgré ‘’l’inflation de généraux’’ qui n’avait d’égale que la déconfiture de l’armée. Des ‘’généraux de salon’’, faudrait-il dire, des tigres en papier. Des généraux qui ignoraient parfois jusqu’au maniement de certains de nos équipements militaires.

Que dire des autres haut-gradés, colonels majors, colonels, lieutenants colonels et autres, n’ayant d’autre occupation, quand ils ne se reposent pas dans une ambassade à l’étranger, que d’arpenter les marches des ministères en qualité du titre pompeux mais combien vide de ‘’Haut-commissaire de l’armée’’ ; comme s’ils n’étaient d’aucune utilité au sein de l’armée. Or, monsieur le Représentant, vous n’êtes pas sans savoir que l’armée ne produit rien, que c’est le peuple qui la prend en charge pour qu’elle puisse assurer sa protection, assurer la défense de l’intégrité de son territoire. Le peuple vous a investis d’une mission qui primait votre allégeance aveugle à un politique, fût-il président de la République. Forts de la confiance que le peuple a placée en vous, vous auriez pu, dû dénoncer voire vous soulever contre la dérive dont se rendaient coupables les chefs d’Etat Konaré et Touré. Mais au lieu de cela, vous avez préféré vous satisfaire –de façon égoïste et éhontée – de votre confort personnel. Confort qui vous permettait d’accéder aux grades les plus inimaginables, de bénéficier d’avantages jusque-là insoupçonnés sans fournir le moindre effort. De vous deux donc, c’est-à-dire, entre l’armée et le chef d’Etat irresponsable, la responsabilité de l’armée est incontestablement la plus grande. Vous avez trahi la confiance que le peuple a placée en vous, l’amenant progressivement au chaos actuel…A suivre.

S.H

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