Front social-léthargie-autorités intérimaires-conférence d’entente nationale-situation sécuritaire : Le temps des incertitudes!

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Processus de paix : Un chef touareg hisse le drapeau malien dans la région de Tombouctou

Le Mali est à l’arrêt. Jamais, avant le règne d’Ibrahim Boubacar Kéïta, le pays n’était tombé si bas, atteint jusque dans ses fondements. Aujourd’hui plus qu’hier, 2017 plus que 2016, 2015, 20014 et 2013, est dure et intenable pour un peuple qui a (naïvement) cru faire le bon choix en misant sur IBK. En effet, entre un front social qui bouillonne à l’incandescence, un immobilisme gouvernemental engendré par un remaniement mirage, les fortes contestations qui encadrent la mise en place des autorités intérimaires et la nomination de gouverneurs de région, les réticences par rapport à la Conférence d’entente nationale, et la précarité endémique de la situation sécuritaire, le Mali est happé dans un condensé de crises qui paralysent aussi bien le gouvernement que l’Etat dans toutes leurs composantes. Conséquence ? Le pays se retrouve au centre de toutes les incertitudes. 

Le pilotage à vue qui caractérise le Mali depuis plus de trois ans se transforme en un véritable cauchemar pour les millions de citoyens (pas seulement eux) qui avaient élevé Ibrahim Boubacar Kéïta au rang de magistrat suprême en 2013. L’espoir suscité par l’avènement de « l’Homme de la situation » a fondu comme beurre au soleil au fil du temps et des dérives du régime.

La période des scandales et mensonges d’Etat passée (accalmie passagère ?), le pays est pris aujourd’hui dans un engrenage de mouvements sociaux et décisions politiques qui perturbent le fonctionnement normal de l’administration caractérisée en plus par un immobilisme sans précédent.

Aux calendes grecques

L’un des fondements actuels de l’immobilisme de l’action publique est sans doute le remaniement gouvernemental dont l’imminence est chantée depuis plusieurs mois maintenant.

Le Premier ministre Modibo Kéïta a un trophée pour garnir son musée de distinction : celui du record de longévité à la tête des gouvernements d’Ibrahim Boubacar Kéïta.

Arrivé à la Cité administrative en janvier 2015 suite au renvoi de Moussa Mara déguisé en démission, Modibo semblait avoir pour unique mission de conduire à bon port le processus d’Alger dont il a conduit les premiers pas en qualité de Haut représentant du président de la République dans le dialogue inclusif inter malien.

Dès qu’il a réussi cette mission, avec la signature les 15 mai et 20 juin 2015 par le Gouvernement et ses alliés puis les groupes armée de la CMA, de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, l’on donnait Modibo partant. La rumeur sur l’imminence de son départ et son remplacement par de hauts cadres « Premier ministrables », comme Bokary Tréta (secrétaire général du RPM et ancien ministre), Soumeylou Boubeye Maïga (président de l’ASMA et ancien ministre), Mohamed Ag Erlaf (ministre), Michel Sidibé (directeur d’Onusida) et Tiéna Coulibaly (ancien ministre et ambassadeur du Mali à Washington) fit le tour du Mali, avant de s’estomper.

Le Premier ministre a l’entière confiance du président de la République qui compte sur lui pour continuer le bail. Le chef de l’Etat mise encore sur l’expérience administrative de ce grand commis de l’Etat. En outre, avec les difficultés qui persistaient dans l’application de l’Accord pour la paix et la réconciliation, n’était-il pas un risque fatal de faire partir l’artisan principal de cet acquis?

Tous ces motifs constituaient des circonstances atténuantes pour Modibo Kéïta. Mais aujourd’hui, plus rien ne semble pouvoir justifier le maintien du vieil homme, visiblement à bout. Même IBK semblait l’avoir compris, car tout le monde se faisait à l’esprit de voir Modibo partir au lendemain du sommet Afrique-France de Bamako. Les membres du gouvernement auraient même reçu l’instruction présidentielle de ne gérer que le service minimum. Mais, un mois est écoulé sans remaniement. Celui-ci serait renvoyé pour plus tard, notamment après la tenue de la Conférence d’entente nationale, initialement annoncée pour ce mois de mars. Motif : permettre aux représentants des groupes armés d’avoir de la place dans le gouvernement. Pendant ce temps, tout est arrêté !

 

Pluie de revendications

A partir du 9 mars, soit jeudi prochain, le Mali pourrait vivre une situation inédite dans son histoire, à savoir une grève illimitée des agents de santé. Ce qui pourrait avoir des conséquences incalculables dans un contexte où les soins de santé sont déjà précaires et à un moment de forte chaleur. Le syndicat qui projette ce vaste débrayage des hôpitaux et centres de santé avaient déjà observé en début d’année une grève de 5 jours qui marque encore les esprits. Prières collectives pour que cette catastrophe annoncée puisse être évitée !

Cette grève en perspective n’est qu’un maillon d’une longue chaîne de grèves qui ont jonché l’année 2017. De janvier à nos jours, le gouvernement n’a connu aucun répit en la matière. Quasiment nul jour sans le pays ne soit perturbé par une action du front social.

Ce sont les inspecteurs de travail qui ont emboîté le pas aux magistrats en séchant le boulot pendant 5 jours, du 16 au 20 janvier. Le Comité syndical des services du travail exige l’application immédiate de tous les points d’accord du Protocole d’accord du 29 juillet 2011 et du Procès-verbal de conciliation du 05 avril 2016, et l’adoption immédiate du projet de décret en souffrance portant Primes et indemnités accordées aux Inspecteurs et Contrôleurs du travail ainsi qu’à leurs assistants.

Déjà au début du mois, les syndicats des magistrats (SAM et Sylima) avaient donné le ton avec une grève de 7 jours ouvrables, convertie en grève illimitée à partir du 18 février. Que voulaient les magistrats ? Le président du SAM, Cheick Chérif Mohamed Koné, résumait les revendications ainsi : « On a d’abord demandé que nos salaires soient revus, comme cela a été fait partout à travers le monde. Nous avons demandé des indemnités signifiantes de judicature. Ce sont des nuits blanches que les juges passent pour pouvoir sortir des décisions.

Toutes les fonctions du juge font qu’il a droit à des indemnités. Celles accordées aux juges maliens restent les plus basses au monde. Dans les autres pays, les indemnités de judicature font le double, sinon le triple de celles accordées au Mali. Au Burkina Faso, un magistrat débutant n’a pas moins de 750 000 FCFA comme indemnité de judicature. Au Sénégal, c’est dans l’ordre de 800 000 également pour un magistrat débutant. Ici, au Mali, le débutant à 200 000 FCFA, et un magistrat en fin de carrière gagne 250 000 FCFA comme indemnité de judicature. Il y a un déséquilibre total. Que dire des indemnités de logement ? L’Etat a l’obligation de loger les magistrats de façon décente, à défaut il doit leurs verser des indemnités suffisantes pour pouvoir se loger. Cette indemnité de logement est de 50 000 F. Ce montant comprend le logement, l’électricité et l’eau. Au Sénégal, l’indemnité de logement fait 400000 CFA pour le jeune magistrat, contre 1 million pour le magistrat de la Cour suprême.

On a aussi demandé le passeport diplomatique pour les magistrats de la Cour suprême, les premiers présidents de Cours d’appels et le directeur de l’Institut de formation judiciaire.

On a aussi demandé des passeports de service pour les autres magistrats. C’est de droit. Nos revendications n’ont pas concerné que les aspects d’argent. Nous avons aussi demandé que le conseil supérieur de la magistrature, qui est l’organe de veille, soit revu. Mais, ça n’a pas fait l’objet d’accord. Alors que c’est un organe qui permet d’assurer la discipline des magistrats. »

Au bout, le gouvernement est parvenu, sur fond de division, à faire reprendre le chemin des tribunaux aux magistrats.

Mais aussitôt après, c’est le Syndicat national des greffiers, secrétaires de greffes et de parquets (Synag), qui a repris le flambeau les 15 et 16 février. Le Synag revendique, grosso modo, l’octroi d’une indemnité de participation à la judicature aux greffiers et aux secrétaires de greffes et parquets ; la relecture du décret n°95- 211 du 31 mai 1995 portant tarif des frais de justice en matière pénale et du décret n° 95-255 du 30 mai 1995 portant frais de justice en matière civile et commerciale; l’évaluation des ressources financières générées par la justice ; l’évaluation d’un guide de greffe ; la relecture de l’ordonnance n°05/104 du 22 juin 2005 portant statut du personnel des greffes, secrétaires de greffes et parquets pour une nouvelle qualification professionnelle commençant par la maîtrise en droit, complétée par une formation professionnelle de deux ans (BAC plus 6) à l’Institut de formation judiciaire; le changement de l’appellation «Secrétaires de greffes et parquets » en « Assistants des greffes et parquets ».

Le 8 février, le syndicat des travailleurs du ministère des affaires étrangères a brandi au gouvernement un préavis de grève signé de son secrétaire général Mohamed Kane ainsi libellé : « L’arrêt de travail d’une durée de 72 heures jours ouvrables débutera le 22 février à partir de 00 heure et prendra fin le 24 février à partir de 00 heure sur l’ensemble du département central et dans les missions diplomatiques et consulaires ».

Dans un autre préavis émanant du Syndicat national des travailleurs des collectivités territoriales du Mali (Syntract) et signé de son secrétaire général, Seydou Oumar Diallo, ses membres menacent « d’observer un arrêt de travail (grève) de 3 jours (du 22 au 24 mars) et une mesure conservatoire d’arrêt de mandatement des salaires des autres fonctionnaires, si les accords conclus( la prise en charge des salaires des fonctionnaires des collectivités du cadre de l’administration générale par l’état, l’application intégrale des 15 points d’accord du procès verbal de conciliation 12 mai 2015, l’intégration à la fonction publique des collectivités territoriales des contractuels de 2011 à 2015), avec le gouvernement ne sont pas mis en œuvre ».

Autorités contestées

Quel intérêt cachent les Autorités intérimaires à telle enseigne que les groupes armés y tiennent comme à la prunelle de leurs yeux ? Avec eux, l’Etat. Or, ces organes sont contestés aussi bien par les  populations des zones concernées que par certains mouvements armés, mais pour des motifs différents.

Prévues par l’Accord d’Alger, le chronogramme de ces autorités transitoires a été mainte fois ficelé, mais toujours reporté pour des raisons diverses et variées liées à des intérêts inavoués.

Au bout du rouleau, ces précieux organes ont pu être installés, non sans mal, dans certaines régions. Comme à Kidal, Gao et Ménaka. Les régions de Tombouctou et Taoudénit sont programmées pour ce lundi 6 mars.

L’installation des autorités intérimaires (là où cela est fait) a été précédée de moments de contestations, souvent violentes.

A Kidal, des mouvements de foule à l’aéroport pour protester la nomination d’Ichrach comme gouverneur a empêché une délégation étatique de s’y rendre pour présider l’installation initiale des autorités. Ce sera fait plus tard, avec deux drapeaux dans la salle : celui du Mali et celui de l’Azawad.

A Gao, la situation est restée longtemps préoccupante. La Cmfpr2 (coordination des mouvements et forces patriotiques de résistance), un groupe politico-militaire, a occupé l’Assemblée régionale de cette ville avec une centaine d’éléments armés qui interdisent l’accès à ce bâtiment aux agents de l’Etat. Elle a interdit aussi l’ouverture de tout service public et privé dans la ville. Selon ses responsables, cette mobilisation fait suite à ce qu’ils qualifient « d’attitude méprisante et discriminatoire du Gouvernement, de la médiation et de la CMA ainsi qu’au refus catégorique de prendre en compte leurs revendications».

En plus de ce mouvement, plusieurs autres estiment être « méprisés » par la communauté internationale et le gouvernement. Ils réclament plus de représentativité à Gao et l’intégration de leurs combattants dans le processus de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR).

Le ministre de la Réconciliation nationale, Mohamed El Moctar, a été dépêché sur le lieu pour rencontrer les groupes. Il a finalement pu les convaincre.

Mieux, dans un communiqué commun, les organisations de la société civile et des  mouvements politico-militaires de Tombouctou et de Gao ont exprimé leur hostilité aux autorités intérimaires. Ils ont annoncé le début d’une mobilisation « non violente » contre l’installation des autorités intérimaires. Ils précisent également que cette mobilisation, non violente va se poursuivre jusqu’à satisfaction de leurs revendications.

La branche politique de la CPA, un autre groupe armé, estime que la seule solution à ce problème est d’inclure les partis qui contestent l’installation des autorités intérimaires, où d’aller directement aux élections. Finalement, Gao a eu ses autorités intérimaires. Ménaka aussi.

A Tombouctou, samedi encore, un groupe armé cernait la ville avec des armes et des pick-up pour dissuader de la mise en place des autorités. La cérémonie, prévue initialement pour le vendredi 3 mars, a été remise à aujourd’hui. Va-t-elle avoir lieu ? Allez savoir.

Sans l’Opposition ?

Autre goulot d’étranglement dans la marche du Mali ? Les débuts sur fond de division de la Conférence d’entente nationale (CEN). En effet, une bonne frange de l’opposition se montre réticente, si elle ne décline pas tout simplement, sa participation à cette rencontre, jugée déterminante dans l’avenir politique du Mali.

Prévue au chapitre 2 de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali relatif aux «fondements pour un règlement durable du conflit », la Conférence d’entente nationale programmée par le président de la République Ibrahim Boubacar Kéïta pour le mois de mars rencontre déjà un obstacle de taille : la réticence d’un acteur majeur de la vie nationale, à savoir l’opposition. En effet, invités par le président de la Commission d’organisation pour participer à une rencontre d’information et d’échanges, le jeudi 16 février dernier sur l’organisation de la conférence d’entente nationale, les partis politiques de l’opposition disent Non. Dans cette déclaration, signée du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, ces partis prennent acte de l’invitation qui leur a été adressée par Baba Akhib Haïdara, également médiateur de la République mais déclinent l’offre. Avec des arguments.

Même réponse pour Soumana  Sacko, ancien  Premier ministre et président de la Cnas-Faso Hèrè (Convention Nationale pour une Afrique Solidaire) ainsi que l’Adps (Alliance des Démocrates Patriotes pour la Sortie de crise). Son niet est aussi catégorique que clair et précis : « la Cnas-Faso Hèrè et le regroupement politique dont elle est membre ont décidé qu’ils ne participeront, ni de près ni de loin, à aucune activité entrant dans le cadre de la mise en œuvre dudit Accord ».

Toutes ces incertitudes, sporadiques et ponctuelles, sont encadrées par une crise sécuritaire multidimensionnelle sans précédent, en passe de causer l’effondrement total du pays.

Jadis dénommée crise du nord parce qu’elle sévissait uniquement dans l’extrême septentrion (Tombouctou, Gao et Kidal), la situation sécuritaire s’est aujourd’hui déplacée vers le centre pour s’étendre dans le sud, avec des ramifications dans la région de Kayes. Nulle partie du territoire n’échappe désormais à des actes du grand banditisme ou du banditisme résiduel. Les régions de Mopti (centre du pays) et Ségou (sud) sont particulièrement touchées par le phénomène. Cas concrets : entre 13 et 42 habitants tués le 12 février 2017 dans des hameaux peuls près de Macina (région de Ségou) dans une vendetta ; entre 38 et 50 morts le 1er mai 2016 dans un conflit ethnique entre Peuls et Bambaras du village de Maleimana (région de Mopti) ; 25 forains égorgés et les corps jetés dans un puits par des rebelles le 18 mars 2013 vers Doungoura (région de Mopti) ; plusieurs dizaines d’assassinats ciblés d’imans, de chefs de villages, de conseillers, d’autorités politiques locales ; des exécutions sommaires régulières etc. Tous ces actes horribles et ignobles sont à l’actif des groupes armés, des djihadistes, ou mis au compte d’affrontements ethniques dus à des litiges fonciers et œuvres de vengeance. Ces zones sont de nos jours complètement abandonnées par l’Etat dont les symboles y ont disparu.

C’est tout ce doute qui fonde le Mali d’aujourd’hui.

Sékou Tamboura

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