Démocratie malienne : Crise de croissance ou croissance d’une crise ?

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Dans la vie des peuples comme dans celle des nations, les grandes crises sont des occasions de réaliser des bonds qualitatifs, les crises sociales étant la conséquence de dysfonctionnements importants observés dans l’évolution du processus de gouvernance. Les démocraties anciennes aux pratiques bien rodées répondent à ce type de crise par l’alternance politique, au contraire des jeunes démocraties dans lesquelles règne une concentration de fait des pouvoirs. Dans ce cas, l’alternance s’obtient au forceps, prenant souvent la forme non républicaine du coup d’état militaire.

 

Le coup d’état institutionnel précède toujours le coup d’état militaire

 

Le Mali vient de connaître la crise institutionnelle la plus grave de l’ère démocratique avec le renversement du pouvoir d’ATT. Comment en est-on arrivé là ? Le débat sur la question, bien qu’éludé pour le moment,  n’est pas seulement souhaitable, il est nécessaire pour éviter d’avoir à revivre un tel cauchemar parce que nous sommes tombés de bien haut. L’objectif recherché est moins de trouver des coupables que d’exorciser un certain nombre de comportements qui ont fini, au vu et au su de tout le monde,  par dévoyer la démocratie en transformant certains de nos hommes politiques en pantins incapables de réaction devant des périls menaçant l’intégrité du territoire et l’unité nationale qu’ils avaient pourtant juré de sauvegarder en toutes circonstances, confirmant ainsi qu’un coup d’état institutionnel précède toujours un coup d’état militaire. La concentration de fait de tous les pouvoirs au niveau de l’exécutif (c’était le cas) est un coup d’état contre la démocratie en ce qu’elle porte atteinte au sacro-saint principe de la séparation des pouvoirs. Les citoyens, en même temps qu’ils  élisent le président de la république, élisent aussi dans la foulée des députés à l’Assemblée Nationale pour contrôler, en leur nom,  l’action du gouvernement. De ce fait, les députés ont des droits constitutionnels vis-à-vis de l’exécutif dont le plus connu est l’interpellation du gouvernement et ils ont des obligations vis-à-vis des citoyens en général. Ne pas assurer le contrôle de l’action gouvernementale, ne pas user de toutes les voies de droit pour mettre en minorité le gouvernement et obtenir sa démission lorsque la situation l’exige est un acte de trahison vis-à-vis du citoyen et du pays. Pour la première fois de notre histoire, nous avons appris que des militaires maliens ont déserté face à la rébellion, se réfugiant dans certains pays voisins. Cela a été appelé pudiquement repli stratégique. On comprendra plus tard que les assaillants étaient mieux armés, mieux informés, avec des soutiens au sein de la classe politique et de l’armée régulière. Au plan institutionnel, l’Assemblée Nationale, en ce qu’elle représente le peuple du Mali, devait porter les inquiétudes des populations et, au besoin voter une motion de censure du gouvernement. Elle ne l’a pas fait. Pourquoi ? On attend de savoir. L’armée nationale n’est pas composée d’extra terrestres. Elle est composée de citoyens maliens et elle est partie prenante du corps social. Elle a fini par descendre bruyamment dans la rue. On connaît la suite. Avant le coup d’état militaire du capitaine Sanogo, la majorité parlementaire avait déjà permis le coup d’état institutionnel en oubliant d’interpeller et de censurer le gouvernement. C’est pourquoi les protestations après le putsch ont plutôt sonné aux oreilles des citoyens comme un aveu de culpabilité. Le citoyen malien sait qu’un coup d’état n’est pas bon pour le pays mais il sait aussi que celui du 22 mars était évitable, n’eût été la démission de certains. Tout comme la population ne lynche pas les voleurs quand elle a confiance dans sa police, les militaires ne font pas des coups d’état dans les pays où les institutions fonctionnent correctement. Alors, celui qui outrepasse ses droits pour rétablir l’ordre est-il plus coupable que celui dont le refus d’exercer son droit constitutionnel créé le désordre ? Une fois de plus, le Mali souffre de ses hommes politiques dont la grande majorité s’illustre plus par l’affairisme et le manque de vertu. On les entend toujours très distinctement lorsque leurs intérêts personnels sont menacés et jamais quand ceux de la nation sont en péril. Le renouvellement de la classe politique est nécessaire si l’on veut réaliser le renouveau démocratique. En effet, il sera difficile de faire du neuf avec du vieux, surtout avec du vieux de mauvaise qualité.

 

Le renouveau démocratique nécessite un renouvellement significatif de la classe politique

 

Lorsqu’un débat serein aura été organisé au cours duquel on aura reçu enfin les excuses publiques des députés à la nation pour leur attitude face à la gestion de la crise du nord suivies de celles des auteurs du putsch, les conditions seront réunies pour faire table rase du passé et envisager ensemble l’avenir. Personne ne peut et ne doit se dédouaner en cherchant à rejeter toutes les fautes sur des militaires qui ont quand même fini par prouver qu’ils aiment leur pays en renonçant à toutes leurs prétentions pendant que d’autres continuent à sa battre pour occuper des postes. La seconde étape sera la restructuration des partis politiques dont la plupart se caractérisent actuellement par un manque total de lisibilité dans les projets de société. Avec plus de cent vingt partis en moins de vingt ans de pratique démocratique, il faut se demander si les premiers partis n’ont pas manqué de flair en ne créant pas un cadre attrayant pour les militants ou si la création d’un parti politique n’est une activité, un business qui peut nourrir son homme. Toujours est-il que les premiers militants d’un parti croient détenir un titre de propriété et finissent par créer une barrière presqu’infranchissable pour les nouveaux venus. Ceux-ci sont assimilés à des intrus dès qu’ils montrent quelque signe d’ambition et poussés vers la sortie. Les impatients  comprennent vite qu’il est plus simple et plus sain de créer son parti que de mener une guerre intérieure aux conséquences douloureuses et incertaines. Il faut tenir compte de toutes ces contraintes dans la perspective du renouveau démocratique. Depuis vingt ans, certains responsables politiques ne sont candidats ou ne soutiennent des candidats que pour obtenir un portefeuille ministériel. La politique malienne ressemble à la circulation à Bamako. Il y a tant de véhicules (auto, moto, vélo) en circulation parce que les transports publics n’offrent pas les services adaptés à un coût compétitif. De même, on peut justifier l’inflation de partis politiques par l’inorganisation (entretenue ?) du champ politique. Il faut inclure dans la charte des partis politiques certaines dispositions faisant du parti un espace de liberté autour d’un programme politique en vue de la conquête du pouvoir d’état. Le fondateur ou le responsable du parti incarne normalement ce programme et des débats intérieurs doivent permettre de choisir chaque fois le candidat présentant le meilleur profil pour défendre les couleurs du parti. En fait, ne trouvez-vous pas curieux que des hommes politiques « profondément attachés à la défense de la constitution » qui soutiennent bec et ongle le principe du renouvellement du mandat présidentiel une seule fois, s’accrochent depuis plus de vingt ans à la direction de leur parti, au point de créer la fuite des cerveaux et une hémorragie fatale? De tels hommes politiques donnent nécessairement des idées à un président de la république qui veut s’accrocher. Le mythe du héros, de l’homme fort doit appartenir au passé politique du Mali. Il faut résolument avancer vers la mise en place d’institutions fortes à même de réguler correctement la vie politique.

 

Le mythe du héros, de l’homme fort est révolu. Place à des institutions fortes.

 

Après la restructuration des partis politiques pour obtenir des groupes homogènes crédibles pouvant défendre un projet de société dans la différenciation, il faut revoir le fonctionnement des institutions pour qu’elles accomplissent effectivement les missions constitutionnelles qui leur sont dévolues. Pour cela, leur composition autant que leur direction doivent faire l’objet d’une attention particulière loin du clientélisme, en privilégiant la qualité des hommes (compétence, moralité, expérience). Le chantage à l’avancement, à l’attribution de primes doit être banni dans l’administration au profit de la reconnaissance du mérite. L’administration doit être considérée comme un outil de production dont on attend des performances. Une administration dans laquelle pullulent  de grands frustrés et de gens incompétents ne peut pas être efficace. Les nominations aux plus hautes fonctions de l’Etat ne doivent pas dépendre de la seule volonté d’une personne. Il faut permettre à la Cour Suprême par exemple de s’assurer de l’honorabilité d’un haut fonctionnaire, dans l’intérêt de l’autorité qui nomme et pour la sauvegarde des biens publics. Une telle mesure, exercée par une Cour Suprême elle-même au dessus de tout soupçon, serait salutaire pour moraliser la vie en société et au travail. Le Mali a besoin d’un président patriote doté de pouvoirs lui permettant d’exécuter son programme, il a besoin de parlementaires responsables, moralement et intellectuellement aptes à comprendre et à assumer leur mission, il a besoin de juges intègres pour que l’équité règne, il a besoin d’une armée forte et républicaine pour défendre son territoire et soutenir son développement économique. Le reste suivra. En tout état de cause, le succès ou l’échec d’une entreprise ne doit pas dépendre d’un seul homme. Les institutions doivent être complémentaires dans leur fonctionnement pour contribuer au succès final du programme de développement du pays.

Relever le défi démocratique pour un jeune Etat comme le nôtre n’est pas chose aisée, d’autant que cet Etat s’est bâti sur des civilisations plusieurs fois séculaires qui avaient proposé et expérimenté d’autres formes de gouvernance. Après vingt ans de pratique démocratique, au regard des insuffisances constatées, ne devrait-on pas donner la parole aux citoyens pour les entendre avant de faire le reste du chemin ? Jusque-là, notre démocratie a été plus visible dans la forme que dans le fond. Le principal combat mené par les présidents successifs aura été celui de consolider leur propre pouvoir en cherchant à tout prix à contrôler toutes les institutions. Entre temps, le Mali ne dispose toujours pas d’un fichier électoral fiable, la séparation des pouvoirs est un leurre, la corruption a gangrené la société et l’école est en faillite. La crise est générale et multiforme et il faudra une thérapie de choc pour nous remettre dans le sens de la marche. En prendre conscience, c’est faire la moitié du chemin.

 

Mahamadou Camara

BPE 3312 Bamako

Camara_m200-@yahoo.fr

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