Annoncée comme un événement très déterminant dans le rapport des forces entre pro et anti-putschistes, la grande marche avortée mardi dernier, du Front Uni pour la Sauvegarde de la Démocratie et de la République aura laissé plus d’un sur sa faim. Pas parce qu’elle n’était pas promise à un succès éclatant, mais pour avoir été reportée sine die. Les organisateurs y ont en effet renoncé au bout d’une médiation de dernière minute, conjointement conduite par les religieux et les familles fondatrices de Bamako, privant du coup le front anti-putschistes de deux opportunités : prouver sa suprématie représentative ainsi que son degré d’audience auprès du peuple, et démontrer par la même occasion qu’au Mali les positions politiques s’expriment autrement que par les voies de la violence.
Rien n’avait été négligé pour réussir une démonstration de force pacifique et prouver à la face du monde que notre pays, le Mali, regorge d’une catégorie de citoyens différente de la horde ayant versé dans la barbarie, lors de la récente insurrection contre les organes de la transition. Pour ce faire, le FDR n’a lésiné ni sur les efforts ni sur les moyens. À la puissante vague d’activistes de la capitale était prête à s’adjoindre une marée d’autres partisans massivement mobilisés de l’intérieur comme de l’extérieur, et tout aussi déterminés à exprimer leur ras-le-bol face à l’escalade de dérives dans laquelle est plongé le pays. Les banderoles et les slogans étaient également fin prêts, pour prendre d’assaut l’itinéraire de la marche : le tronçon qui accède à la Primature en passant par le Boulevard de l’Indépendance, à partir de la Place de la Liberté.
La motivation était donc à son comble et le siège de l’Adéma, transformé en QG de campagne pour la circonstance, ne désemplissait plus lorsque que la machine de la mobilisation a connu un brusque coup d’arrêt. Après plusieurs jours de vaines tentatives, les religieux sont en effet parvenus, en s’associant les représentants des familles fondatrices de Bamako, à faire reporter la marche pour laquelle des dizaines de milliers de personnes étaient mobilisées. L’accord tacite entre les deux parties est intervenu vingt-quatre heures avant le jour ‘J, à l’Hôtel Nord-Sud où le FDR, représenté par son président Siaka Diakité, son vice-président Iba N’Diaye, entre autres, a consenti au report sine die de sa démonstration de force, tant redoutée par les hautes autorités, mais attendue avec beaucoup d’intérêt et d’impatience par les observateurs nationaux et internationaux.
En échange de son renoncement au projet, le Front où converge la substance de ce que constituent la classe politique et la société civile maliennes, a obtenu des médiateurs qu’ils s’impliquent activement, à leur tour, afin que cessent le siège de l’Assemblée Nationale par les badauds de ‘Yéréwolo-Ton’, de l’ORTM ainsi que de l’Aéroport du Mali où règne une certaine atmosphère martiale, depuis le coup de force du 22 Mars 2012. La liste n’est pas exhaustive. Au nombre des doléances exprimées par le FDR figurent, par ailleurs, le retour définitif de l’armée dans les casernes, la sécurisation des organes de la transition, ainsi que le recours aux Forces en Attente de la Cédéao pour faire libérer le Nord-Mali sous occupation des forces d’Ançar Dine et du MNLA.
En dépit de ces contreparties, qui restent somme toute hypothétiques, la nouvelle du report de la marche est tombée comme un couperet. Elle a été accueillie avec froideur et indignation par les militants d’un Front très déterminé à prouver à la face du monde que les adeptes de comportements excessifs ne sont guère les plus dominants sur la scène publique malienne et que Dioncounda Traoré, président de la Transition physiquement agressé, jouit du soutien beaucoup plus important et consistant de la majorité consciente silencieuse.
Le vent de froid, transporté par le report de la marche, aura particulièrement soufflé sur la jeunesse du FDR. Manifestement choquée par la concession faite par ses dirigeants, les jeunes du Front n’ont pu contenir une colère que certains ont même manifestée par des jurons, des grossièretés et des propos peu amènes à l’adresse de leurs leaders. ”Comment expliquer aux militants déjà mobilisés à la base que le rendez-vous a ainsi unilatéralement capoté? “. Cette gênante interrogation revenait en leitmotiv sur les lèvres dans les rangs d’une jeunesse, qui arrivait à peine à digérer que tant d’élans soient brisés, à quelques encablures de la date et après tant de sacrifices consentis.
Pour les plus passionnés d’entre les militants, le désarroi découle de ressentiments purement subjectifs, tandis que la déception, pour d’autres, repose sur des arguments pour le moins rationnellement solides. Ils s’expliquent par exemple difficilement que les leaders du front aient aussi facilement sacrifié les énergies déployées pour la marche en cédant aux sollicitations de notabilités, qui ont visiblement failli à leur rôle dans la crise politique que traverse le pays depuis le coup d’Etat du 22 Mars dernier. Si les religieux et les notabilités de Bamako jouaient convenablement leur partition, elles auraient dû empêcher que l’Assemblée Nationale soit assiégée par des vandales, que des injures et incitations à la haine soient impunément proférées par certaines radios de la place, et qu’une manifestation antérieure ait pu déboucher sur une atteinte à l’intégrité physique et morale de la plus haute autorité de la République, soutiennent la plupart des activistes désemparés face à la décision de surseoir à la marche du Front anti-putschiste. Et d’autres d’ajouter, tout s’étonnant qu’une marche pacifique puisse susciter autant d’inquiétudes, que la neutralité n’a jamais été la vertu première de certains religieux depuis le déclenchement de la crise. Ils en veulent pour preuve, du reste, la précipitation avec laquelle certains leaders religieux du Haut Conseil Islamique ont rapproché les putschistes au lendemain du coup d’État, ainsi que l’intérêt à peine voilé qu’ils manifestaient pour la direction de la transition au détriment du politique.
A.Keïta