Accord-cadre sur la transition malienne : Le texte intégral et sa vraie explication

2

Alors que les Maliens subissaient les premiers effets de l’embargo décrété par la CEDEAO, le médiateur burkinabè, Djibril Bassolé, a réussi à arracher un Accord-Cadre destiné à restaurer l’ordre républicain et à gérer une transition politique. Voici le texte de l’Accord-Cadre suivi des analyses de Tiékorobani.

Le Médiateur de la CEDEAO, d’une part,

Et le Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’Etat (CNRDRE), d’autre part;

Considérant que le retour à la normalité constitutionnelle passe par le respect des dispositions de la Constitution du 25 février 1992 dont l’article 36 organise l’intérim du président de la République en cas de vacance ou d’empêchement;

Rappelant que cet article 36 dispose que: “Lorsque le Président de la République est empêché de façon temporaire de remplir ses fonctions, ses pouvoirs sont provisoirement exercés par le Premier Ministre.En cas de vacance de la Présidence de la République pour quelque cause que ce soit ou d’empêchement absolu définitif constaté par la Cour Constitutionnelle saisie par le Président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre, les fonctions du Président de la République sont exercées par le Président de l’Assemblée nationale.Il est procédé à l’élection d’un nouveau Président pour une nouvelle période de cinq ans.L’élection du nouveau Président a lieu vingt et un jour au moins et quarante jours au plus après constatation officielle de la vacance ou du caractère définitif de l’empêchement. Dans tous les cas d’empêchement ou de vacance il ne peut être fait application des articles 38, 41, 42 et 50 de la présente Constitution.“.

Le Médiateur de la CEDEAO et le Comité National de Redressement de la Démocratie et de la Restauration de l’Etat (CNRDRE) ont convenu d’adopter le présent Accord-Cadre de mise en oeuvre de l’Engagement solennel du 1er avril 2012 dont la teneur suit:

Chapitre I: mise en oeuvre des dispositions de l’article 36 de la Constitution

Article 1: le Président de la République démissionne officiellement de ses fonctions.

Article 2: le Président du CNRDRE, conformément à sa déclaration solennelle du 1er avril 2012, déclenche le processus de mise en oeuvre de l’article 36 de la Constitution du 25 février 1992.

Article 3: conformément aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 36 de la Constitution, le président de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre saisissent la Cour constitutionnelle de cette démission pour faire constater la vacance du pouvoir. La Cour constitutionnelle, en référence aux dispositions de l’alinéa 2 de l’article 36 de la Constitution, constate la vacance de la présidence.

Article 4: le Président de l’Assemblée Nationale est investi par la Cour constitutionnelle  comme Président de la République par intérim, avec comme mission  d’organiser l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel de 40 jours.

Chapitre II: mise en place d’organes de transition

Article 5: Compte tenu des circonstances exceptionnelles que vit le pays du fait de la crise institutionnelle et de la rébellion armée dans le nord qui ont gravement affecté le fonctionnement régulier des institutions de la République, et dans l’impossibilité d’organiser les élections dans un délai de 40 jours comme le stipule la Constitution, il s’avère indispensable d’organiser une transition politique devant conduire à des élections libres, démocratiques et transparentes sur l’ensemble du territoire national.

Article 6: dans les circonstances évoquées à l’article 5 ci-dessus, les parties signataires du présent Accord conviennent de mettre en place des organes de transition, ci-après, chargés de conduire le processus de transition jusqu’à l’organisation de l’élection présidentielle avec un fichier électoral dûment révisé et accepté de tous.

a- Un Premier Ministre de transition, chef du gouvernement, disposant des pleins pouvoirs et ayant pour mission de conduire la transition, de gérer la crise dans le nord du Mali et d’organiser des élections libres, transparentes et démocratiques, conformément à une feuille de route, sera désigné;

b- Un gouvernement d’union nationale de transition composé de personnalités consensuelles et chargé de mettre en oeuvre la feuille de route de sortie de crise est mis en place;

c- le gouvernement d’union nationale oeuvrera à la miose en place de l’assistance humanitaire;

d- Les parties signataires, en concvertation avec toutes les parties prenantes, arrêtent une feuille de route pour la transition comprenant:

–  le délai et le chronogramme de la transition;

les tâches opérationnelles à accomplir par les différents organes de transition en vue d’une transition pacifique;

– les modalités d’organisation des élections visant à la normalisation définitive de la sitiation;

– la révision du fichier électoral.

e- le rôle et la place des  membres du CNRDRE pendant le processus de transition seront définis.

Chapitre III: adoption de mesures législatives d’accompagnement

Article 7: Au regard des circonstances exceptionnelles que connaît le pays du fait de la guerre et afin de permettre l’organisation des élections dans de bonnes conditions sur l’ensemble du territoire national, de renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale, un certain nombre de textes législatifs d’accompagnement du processus de transition seront votés par l’Assemblée Nationale:

a- une loi d’amnistie générale au profit des membres du CNRDRE et de leurs associés;

b- une loi portant indemnisation des victimes de la guerre et du mouvement insurrectionnel du 22 mars 20112;

c- une loi portant prorogation du mandat des députés jusqu’à la fin de la transition;

d- une loi portant orientation et programmation militaire pour les besoins d’organisation et d’équipement de l’armée.;

e- une loi portant création d’un comité miitaire de suivi de la réforme des forces de défense et de sécurité.

Chapitre IV: engagements des parties signataires

Article 8: le Comité National de Redressement de la Démocratie et de la Restauration de l’Etat (CNRDRE) mettra en oeuvre le présent Accord sous l’égide du Médiateur de la CEDEAO et avec l’appui de la communauté internationale.

Article 9: dès la signature du présent Accord, le président en exercice de la CEDEAO prendra les dispositions nécessaires pour la  levée des sanctions décidées contre le Mali lors du sommet du 29 mars 2012.

Article 10: Au regard de la situation humanitaire très préoccupante, le président en exercice de la CEDEAO mettra à la disposition du Mali le fonds d’assistance humanitaire et sollicitera des partenaires techniques et financiers du Mali et de la communauté internationale une assistance humanitaire appropriée.

 

 Eclairages : Les silences de l’Accord

 Bien que les chefs d’Etat de la CEDEAO, empêchés d’atterrir à l’aéroport de Sénou par des manifestants pro-Sanogo, se soient réunis à Abidjan pour décréter un embargo sur le Mali, la médiation ne s’est pas arrêtée. Au lendemain de l’esclandre de Sénou, le capitaine Sanogo a dépêché à Ouagadougou un trio de militaires dirigé par le colonel Moussa Sinko Coulibaly. Devant la presse, le colonel a révélé que la junte était “d’accord” pour rétablir l’ordre constitutionnel au Mali et remettre le pouvoir aux civils. Les discussions se sont poursuivies à Bamako entre le ministre burkinabè des affaires étrangères, Djibril Bassolé, et le capitaine Sanogo lui-même: elles ont abouti à la signature de l’Accord-Cadre ci-dessus. Cet Accord donne, dès à présent, lieu à des interprétations divergentes que nous tentons, ici, d’élucider.

 

Pourquoi ATT a-t-il démissionné ? La junte ne voulait pas entendre parler d’un retour d’ATT au pouvoir. Et il ne pouvait y avoir de “retour à l’ordre constitutionnel normal” sans retour du président ATT au pouvoir. La solution la plus simple était de faire démissionner ATT. C’est pourquoi le ministre burkinakè a rencontré le président déchu qui, en boubou blanc, le visage  émacié barré de lunettes blanches, lui a remis, devant un comité de presse restreint, sa lettre de démission officielle. ATT a eu ces commentaires pathétiques: “Je démissionne de bonne foi, par amour du Mali”. Quant à Bassolé, il a déclaré: “Dans le cadre de l’accord de sortie de crise signé vendredi, nous venons de recevoir la lettre de démission formelle du président ATT. Nous allons donc saisir les autorités compétentes pour que la constatation de la vacance de la présidence soit faite et qu’on puisse prendre les mesures appropriées”. La démission d’ATT était d’autant plus nécessaire qu’on ne pouvait juridiquement parler de vacance du pouvoir suite à un putsch ayant renversé un président élu: c’eût été donner effet à un acte illégal.

Comment sera installé le président intérimaire ? La démission d’ATT une fois effective, l’article 36 de la Constitution de 1992 trouve à s’appliquer. Il prévoit que la vacance du pouvoir présidentiel soit constaté par la Cour constitutionnelle sur saisine du président de l’Assemblée nationale et du Premier ministre. Et la Cour, après avoir constaté la vacance, investit le  président de l’Assemblée nationale comme président intérimaire. Mais comme à ce jour, il n’existe pas de Premier ministre, il va d’abord falloir en nommer un ou, à la limite, faire sortir l’ancien (Cissé Mariam Kaidama) afin de saisir la Cour constitutionnelle et faire constater la vancance de pouvoir.

Combien de temps durera le mandat du président intérimaire ? Il est prévu à l’article 36 de la Constitution que le président intérimaire organise une élection présidentielle dans un délai maximal de 40 jours. Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale, sera donc là pour assurer cet intérim de 40 jours. Mais au-delà des 40 jours, va-t-il rester président intérimaire ? L’Accord-Cadre ne le précise pas. Certains interprètent ce silence comme la preuve que Dioncounda restera président jusqu’à la fin de la transition, quelle que soit sa durée. Mais à regarder de près l’Accord-Cadre, on constate que le texte proclame d’avance que le président intérimaire ne pourra pas organiser les élections dans le délai de 40 jours prescrit par la Constitution. Par conséquent, l’Accord-Cadre prévoit un régime de transition et détermine les organes de cette transition. Or parmi ces organes, le président intérimaire ne figure pas, ce qui permet à des juristes d’affirmer qu’au-delà du délai constitutionnel de 40 jours, Dioncounda cessera d’être président intérimaire et devra démissionner de  cette fonction. Il serait bon, avant qu’on aille loin et pour prévenir une nouvelle crise politique, que la CEDEAO et le CNRDRE précisent dans un Accord additif la durée réelle du mandat du président intérimaire.

Quelles seront les prérogatives du Premier ministre de transition ? L’Accord-Cadre prévoit la nomination d’un Premier ministre de transition, non par le président intérimaire, mais par le CNDRE et la CEDEAO. Ce “Premier Ministre de consensus” sera doté des “pleins pouvoirs”. En clair, il devra, pour être désigné, agréer à la fois à la CEDEAO, à la junte, aux partis politiques et à la société civile malienne. Seul chef du gouvernement et de l’exécutif, il ne sera pas révocable avant la fin de la transition. Les “pleins pouvoirs” visent à le mettre à l’abri de toute pression venant de l’une quelconque des factions politiques en présence. Mais cela s’avère plus facile à dire qu’à faire: il va falloir trouver une perle rare, un homme de poigne et impartial capable de diriger la guerre au nord (première priorité de la  transition) et d’organiser des élections transparentes (deuxième priorité de la transition). Quoi que l’on en dise, le fait d’imposer un Premier ministre  doté de “pleins pouvoirs” signifie que l’on a quelque peu tordu le cou à la Constitution qui ne prévoit rien de tel. Mais nécessité faisant loi, pouvait-on faire autrement dans un contexte où le pays se trouyve aux deux tiers occupé, où le président intérimaire est candidat à la présidentielle et où la         méfiance règne entre tous les acteurs du jeu politique ?

Quel gouvernement aura-t-on ? Le gouvernement que dirigera le Premier ministre sera une équipe “d’union nationale” et “composé de personnalités consensuelles”. Les signataires de l’Accord-Cadre veulent y faire figurer toutes les grandes sensibilités et les forces vives de la nation (partis, sundicats, associations, groupes religieux, etc.). Il s’agit, en fait, de rendre le gouvernement représentatif de l’ensemble du pays et d’éviter , par ce moyen, des contestations politiques et syndicales susceptibles de détourner la transition de ses missions essentielles: restaurer l’intégrité territoriale et organiser de bonnes élections. Bien entendu, le choix des ministres, quoiqu’en principe consensuel, sera forcément arbitraire puisqu’une marée de candidatures a déjà vu le jour, tant les ambitions personnelles restent aiguisées.

Que deviendront les militaires et le CNDRE ? L’Accord-Cadre n’oublie pas que le capitaine Amadou Sanogo et ses hommes se sont soulevés pour avoir de meilleures conditions de vie et de travail et que leur action s’est déroulée au péril de leur vie. C’est pourquoi, dès la mise en place du processus de transition, l’Accord-Cadre prévoit qu’une loi d’amnistie soit votée en faveur des putschistes et de leurs associés. De plus,  une loi de programmation militaire permettra de doter l’armée des équipements et de l’entretien qu’elle demande. Le CNRDRE va continuer à exister mais sous une forme que définiront les parties ultérieurement.

Quid de l’éligibilité des dirigeants de la transition ? L’Accord-Cadre reste muet sur la possibilité pour le capitaine Amadou Sanogo, le président intérimaire Dioncounda Traoré ou le Premier ministre de transition de se présenter à la future présidentielle. Ces précisions auraient dû être données quand on sait qu’au lendemain du putsch, Dioncounda Traoré s’était engagé à renoncer à sa candidature pour diriger la transition et que l’intérêt du pays veut que tous les dirigeants de la transition demeurent neutres et impartiaux. Au cas où les dirigeants de la transition seraient autorisés, comme cela semble être le cas, à briguer les suffrages des électeurs, on ferait bien alors de confier l’organisation des élections à la CEDEAO elle-même pour mettre le pays à l’abri d’une crise post-électorale.

 

Tiékorobani

Commentaires via Facebook :

2 COMMENTAIRES

  1. la classe politique doit tirer toute la leçon du Mali d’hier d’aujourd’hui et de demain, aussi il faudra qu’elle se repente sincèrement de son apostasie vis à vis de la république, il faut repenser la façon de gérer les affaires publiques et la responsabilité d’État au Mali, la mal que vit notre société est cancéreux pas facile à traiter donc il faut plus que courage et de la persévérance pour y arriver. CNRDRE ou transition avec la classe politique, l’important c’est de faire appliquer les principes de gestion valables pour sortir le pays de l’impasse dans lequel toi et moi l’avons plongé. faire du Mali un “réel pays émergent” SVP c’est pas un discours. bonne chance à tous!

  2. Ok les putschistes vont etre amnisties. Mais vont-ils retourner dans les camps et se battre comme les autres bons soldats au nord, oubien parce qu’ils ont risque leur vie (a la demande de qui je ne sais pas), cela les dispense de combattre les rats? Parce que si c’est le dernier cas, ca va etre trop facile et les coups d’etat ne finiront plus jamais dans ce pays.

Comments are closed.