Vieux Farka Touré, artiste malien : “Mon père, Ali Farka ne voulait que je fasse de la musique” “J’ai beaucoup de projets dont un studio de production qui sera bientôt opérationnel”

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Comme son père feu Aly Farka Touré qui a porté haut le drapeau malien à travers sa guitare, Vieux Farka fait lui aussi la fierté de la musique malienne dans le monde. Très tôt plongé dans une internationale le talent de Vieux Farka échappe à de nombreux maliens. Pourtant le puiné de la famille Touré s’invite dans le cercle restreint des meilleurs guitaristes maliens, voire africains. L’artiste a bien voulu répondre à nos questions sur sa carrière musicale ainsi que ses projets artistiques dont un studio de production qui sera bientôt opérationnel.    

Aujourd’hui-Mali : Comment Vieux Farka est-il venu dans la musique ?

Vieux Farka Touré : Quand je faisais encore le second cycle à Niafunké et que je ne savais même pas que j’allais devenir musicien, notre père ne voulait que je laisse les études pour la musique, mais je partais voir mon cousin Afel Bocoum qui était le chef d’orchestre de Niafunké. J’aimais beaucoup la musique. Cette atmosphère m’a donné encore plus envie de devenir musicien.

Après mon DEF (Diplôme d’Etudes Fondamentales), quand on m’a envoyé faire le lycée à Kati, j’ai dit à mon tuteur, le capitaine feu Ousmane Maiga qui était un très bon ami à mon père, que je voulais entrer à l’Institut national des arts, Ina, pour devenir musicien. C’est ce dernier qui a convaincu mon père de me laisser faire de la musique, vu que je tenais vraiment à ça. Sinon notre père ne voulait pas que ses enfants fassent de la musique vu toutes les difficultés que lui-même a rencontrées dans ce milieu. Il voulait qu’on étudie afin de devenir des fonctionnaires d’Etat ou des militaires parce que son père était militaire. Mais grâce à mon insistance, il a fini par me laisser faire de la musique. Et arrivé à l’Ina, je m’intéressais plus à la batterie, mais j’avais un professeur, Moctar Diakité, qui m’a convaincu de prendre la guitare comme mon père et j’ai suivi se conseil. J’ai appris facilement la guitare comme si j’étais destiné à la jouer comme mon père.

Avez-vous rencontré des difficultés dans votre carrière notamment à vos débuts ?

Oui ! Mais beaucoup pensent que vu que mon père était déjà dans ce domaine, je n’allais pas rencontrer des difficultés. Mais ils se trompent. Mon père a été d’un grand apport pour moi, mais j’ai fait des efforts pour réussir dans ce monde. Quand j’arrivais dans la musique, les agents, les maisons de disque ne se cassaient plus la tête pour former un artiste ou à investir de l’argent qu’ils n’allaient pouvoir récupérer très vite donc ils se méfiaient. Mais il faut le reconnaitre, l’influence de mon père m’a facilité certaines choses, notamment la signature de mon premier contrat chez Toumani Diabaté qui était très proche de mon père.

Cependant, ce qui m’a vite éloigné des difficultés de la musique malienne, c’est que quand j’étais encore l’Ina, j’ai fait la connaissance d’un jeune Américain qui venait souvent chez moi pendant les vacances pour apprendre la guitare. Il s’appelait Éric Erman. Il m’a dit que j’avais du talent et que quand il terminera ses études aux Etats-Unis, il reviendra me voir. Quelques années après, en 2005, il est revenu me proposer de faire un album alors que je n’avais même pas terminé mes études. J’ai accepté et j’ai préparé mon premier album qu’on a produit au Studio Bogolan. Pour donner un peu plus d’ampleur à l’album, mon père et certains de ses amis comme Toumani Diabaté et Bassékou Kouyaté ont joué la-dans. D’où la réussite de l’album. Après, Erman a amené l’album aux Etats-Unis et moi je suis resté pour poursuivre mes cours au Conservatoire Balla Fasséké.

Quelques temps après, mon manager, Eric Erman, m’a appelé pour me dire de me préparer parce qu’on allait commencer les tournées. Je n’y croyais pas moi-même, mais qui ne tente rien n’a rien. J’ai arrêté les études au Conservatoire pour aller tenter ma chance. J’avais une tournée de quinze concerts aux Etats-Unis. Après cette tournée, les choses sont allées plus vite car la presse américaine en parlait et du coup les tournées se sont multipliées. C’est ainsi que tout est parti. Je pouvais faire six (6) mois sans venir à Bamako à cause de mes tournées aux Etats-Unis et en Europe. Je dirais que c’est la raison pour laquelle les Maliens n’ont pas vraiment connu ma musique. Mon tout premier concert, je l’ai fait à New-York. C’est pourquoi je me dis souvent que j’ai eu de la chance.

Selon vous, qu’est ce qui démarque votre musique de celle de votre père ?

Mon père et moi avons le même style, nous sommes tous deux guitaristes, mais quand je commençais je me suis dit qu’il fallait que je me démarque un peu de lui car je ne pouvais pas faire mieux que lui dans ce domaine. Avec les formations à l’Ina, au Conservatoire, et avec les autres musiciens, j’ai essayé de moderniser un peu plus mon style. Ce qui fait un peu de différence avec le celui de mon père.

Mon père était extraordinaire, unique en son genre. Mais ce que les gens oublient, c’est qu’on ne peut pas comparer les guitaristes par ce qu’au-delà de l’instrument et du talent, chacun à sa manière de jouer et la musique vient de l’être et de l’esprit de celui qui la joue.

Après une vingtaine d’années de carrière musicale à travers le monde et de nombreux albums, quelles sont les distinctions que vous avez glanées?

J’ai certes eu du succès sur la scène musicale, mais je n’ai pas eu beaucoup de distinctions. Je me dis, c’est parce que ma musique n’a pas été très bien connue au Mali et en Afrique. J’ai plus mené ma carrière musicale au succès aux Etats-Unis et en Europe. Néanmoins, j’ai été nominé dans plusieurs concours à travers le monde et j’ai quelques trophées comme le Djembé d’Or, le certificat de reconnaissance pour mon hommage à Cheick Anta Diop décerné par Dakar-Caytu. Cependant, je n’ai jamais fait des distinctions une priorité dans ma carrière. Pour moi, ce qui compte le plus, c’est juste la musique.

 On vous surnomme “Jimi Hendrix du Sahara”. Peut-on savoir ce que signifie ce surnom et comment il est venu ?

Ce surnom m’a été attribué aux Etats Unis. Jimi Hendrix était un grand et célèbre guitariste américain qui a marqué les esprits à son époque. Je crois que c’est grâce à ma rapidité à la guitare, mon style et de pourvoir jouer tout ce que dis, qu’ils m’ont comparé à ce grand guitariste en me surnommant ainsi.

Nous constatons que votre rue vient d’être dotée de pavés, alors pouvez-vous nous en parler ?

Oui effectivement, les travaux de pavage sont presque bouclés. La rue sera dédiée à la mémoire de mon père, feu Ali Fraka Touré. Elle a été financée par l’Etat malien et la marie de Lafiabougou.

Nous leur sommes vraiment reconnaissants pour cet acte qui prouve à quel point notre père a fait la fierté de la musique et de la culture maliennes à travers le monde. Cela, le Mali ne l’a pas oublié. C’est aussi le lieu de remercier le président de la Fondation Feu Ali Farka Touré, Diadié Sangaré, qui a vraiment joué un grand rôle dans cette initiative.  C’est lui qui a eu l’idée aussi du Monument Ali Farka Touré qui a été financé par la Fondation, les amis et les proches de notre père. C’est vraiment un honneur de voir la mémoire de notre père préservée à travers ces constructions qui demeureront longtemps.

Lors du dernier anniversaire de la disparition de votre père, le coordinateur de la ” Fondation Ali Farka Touré “, Ali Guindo, a passé le témoin à votre famille. Pouvez-vous nous en parler ?

Oui, il y a beaucoup de personnes qui pensent que la Fondation a été confiée à Vieux Farka Touré, mais il n’en est rien. Les coordinateurs de la Fondation ont passé le témoin à la famille Aly Farka Touré et non à Vieux Farka et jusqu’à preuve du contraire je ne dirige pas la Fondation.

Les coordinateurs de la Fondation ont dit qu’il serait mieux que les enfants d’Aly Farka soient impliqués dans la gestion de la Fondation. Elle pourra être dirigée par l’un de nous, mais on n’en est pas encore là car la Fondation est toujours dirigée par Diadié Sangaré (président) et Aly Guindo (coordinateur).

Qu’en est-il du Festival International Ali Farka Touré de Nianfunké ?

Une très bonne question ! Le Festival a été interrompu depuis l’édition de 2012, suite au début de la crise du nord du Mali. Mais nous comptons le relancer. Nous sommes en train de voir s’il est possible de l’organiser à Niafunké, mais les conditions ne sont propices au vu des problèmes du nord. Je pense qu’on le fera à Bamako ou ailleurs où les conditions nous permettront de le faire. Je ne peux vous dire réellement quand on pourra l’organiser, mais nous sommes en discussion pour le reprendre bientôt.

Quels sont les projets de Vieux Farka Touré ?

J’ai beaucoup projets dont un studio de production qui sera bientôt opérationnel. C’est un studio à cinq (5) cabines. J’ai déjà mis tous les matériels. J’ai constaté que les jeunes Maliens s’intéressassent à la musique exotique, alors que nous avons tout chez nous pour rivaliser avec tous les grands de la musique. La plupart de nos anciens instruments sont délaissés et moi je veux vraiment les valoriser. Mes conditions sont simples, il faut accorder beaucoup de valeur aux instruments traditionnels.

Parlant de projets, j’ai aussi mon association dénommée Association Malienne pour l’Humanitaire, la Construction et la Culture au Sahel (Amahrec-Sahel). Une association qui a déjà mené beaucoup d’actions depuis sa création en 2014. Nous venons en aide aux personnes démunies et nous aidons les artistes qui n’ont pas assez de moyens en leur offrant des instruments.

L’association collabore avec l’Ambassade des États-Unis, notamment sur le volet éducation. Nous parrainons 100 élèves de Tombouctou chaque année. De sa création à nos jours, l’Association a investi plus de dix millions de francs dans les actions caritatives et nous comptons continuer sur cette lancée.    

Réalisé par Youssouf KONE

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